§3. La liberté de circulation des services

La liberté de circulation des services est énoncée par l’article 27 c de la convention UEAC172. Elle est appliquée par priorité aux services qui interviennent de façon directe dans les coûts de production ou dont la liberté contribue à faciliter les échanges de marchandises, et bénéficie aux personnes physiques et morales de la sous région, et notamment aux investisseurs. Cet article pose en effet le principe que tout ressortissant communautaire établi sur le territoire d’un Etat membre, et exerçant une activité économique indépendante, est en droit d’offrir et de réaliser des prestations, à titre temporaire, sur le territoire de tout autre Etat membre173.

La liberté de prestation de services est astreinte au respect de six conditions préalables. D’abord, celui qui invoque la libre circulation des services doit être titulaire de la nationalité d’un Etat membre174. Cette liberté ne bénéficie pas, sauf exception, aux ressortissants des Etats tiers.

Ensuite, celui qui invoque ce principe doit être établi sur le territoire de la Communauté. Un ressortissant communautaire dont l’établissement serait situé dans un Etat tiers ne peut, par conséquent, invoquer à son profit l’article 27 c de la Convention régissant l’UEAC.

En troisième lieu, celui qui revendique son droit à la libre prestation doit exercer une activité indépendante, à défaut de quoi sa situation relève du principe de liberté de circulation des travailleurs.

En quatrième lieu, cette liberté s’applique à ceux qui offrent des services et non qui proposent la vente de marchandise, auquel cas il leur sera appliqué le régime de la liberté de circulation des marchandises. La liberté de circulation des services présente en effet un caractère subsidiaire qui en écarte l’application chaque fois qu’une des autres trois grandes libertés de circulation peut normalement trouver lieu de s’appliquer175. Les services sont définis de ce point de vue comme des actions personnelles comportant des obligations de faire et supposant ainsi la liberté de mouvement des personnes qui les exercent ou qui en bénéficient. La définition de la liberté de circulation englobe les activités médicales176, bancaires177 ou d’assurance178 ; mais aussi les transports179, le tourisme180, la construction181 ou l’audiovisuel182.

La liberté de prestation des services bénéficie, en cinquième lieu, à ceux qui n’exercent leurs activités professionnelles sur le territoire d’un autre Etat membre qu’à titre temporaire. S’ils décident de quitter définitivement leur établissement initial pour s’installer d’une manière stable et continue sur le sol de l’Etat d’accueil, ils ne relèvent plus de la liberté de prestation des services, mais plutôt de la liberté de circulation des personnes183. Pour autant, cet exercice temporaire d’une activité indépendante sur le territoire d’un autre Etat membre n’exclut pas la possibilité de se doter dans cet Etat d’une infrastructure, pourvu qu’elle soit nécessaire à la fourniture de ses prestations et n’implique pas un établissement permanent184.

Enfin, celui qui évoque la libre prestation des services doit fournir ses prestations par-delà les frontières des Etats membres, sinon sa situation reste ancrée dans l’ordre interne et soumise à la seule autorité de l’Etat de l’établissement185. La prestation de services doit donc comporter, en d’autres termes, des éléments d’extranéité. Tel est le cas lorsque le prestataire se déplace pour fournir ses services jusque dans l’Etat de résidence du client186, lorsque le client lui-même franchit la frontière pour venir à la rencontre du prestataire et bénéficier de ses services187, ou lorsque c’est la prestation elle-même qui franchit la frontière séparant son prestataire et son destinataire188. Cette extranéité doit en outre être réelle, et non feinte ou artificielle189.

Lorsque ces conditions préalables sont réunies, le bénéficiaire de la libre circulation peut alors invoquer le principe de l’égalité de traitement et celui de l’interdiction des restrictions aux prestations transfrontières de services. L’Etat sur le territoire duquel la prestation est offerte par un étranger communautaire ne peut dès lors lui opposer la moindre disposition discriminatoire fondée sur la nationalité ou la résidence190, ni plus généralement requérir de lui qu’il remplisse toutes les conditions nécessaires à un établissement191. Interdiction lui est faite d’appliquer au prestataire les dispositions impératives restrictives lorsque l’intérêt qu’elles protègent est déjà sauvegardé par les règles auxquelles le bénéficiaire de la liberté de circulation des services est soumis dans le pays de son établissement192. La seule limite à l’exercice de la libre prestation des services réside dans la possibilité pour un Etat d’invoquer son ordre public national pour justifier l’application des dispositions restrictives de sa loi. Mais, là encore, le juge est appelé à exercer un contrôle strict quant à l’existence d’une vraie menace à l’ordre public, et au caractère proportionné de ces mesures193.

Notes
172.

Annexe 2

173.

C. Berr, Perplexités juridiques à propos du marché commun des services, R.M.C.U.E., 1993, page 444 ; L. Defalque, Liberté d’établissement et libre prestation des services, J.T.E., 2001, page 180 ; V. Hatzopoulos, Le principe communautaire d’équivalence et de reconnaissance mutuelle dans la libre prestation de services, Bruylant, 1999 ; P. Mercier & O. Jacot-Guillarmod, La libre circulation des personnes et des services, Helbing & Lichtenhahn, 199&. Cités par F. Viangalli, La théorie des conflits de lois et le droit communautaire, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, année 2004, page 72.

174.

Les Etats membres sont seuls compétents, conformément au droit international public, pour définir les règles d’acquisition et de perte de nationalité : CJCE 7 juillet 1992, C 369/90, Micheletti, Rec. 4239.

175.

CJCE 28 février 1991, C 332/89, Marchandise, Rec. 1027 ; CJCE 31 janvier 1984, C 286/82 & 26/83, Luisi & Carbone, Rec. 377 ; CJCE 17 décembre 1981, C 279/80, Webb, Rec. 3305.

176.

CJCE 31 janvier 1984, C 286/82 & 26/83, Luisi & Carbone, Rec. 377.

177.

CJCE 21 septembre 1988, C 267/86, Van Eycke, Rec. 4769.

178.

CJCE 1er décembre 1998, C 410/96, Ambry, Rec. 7875.

179.

CJCE 18 juin 1998, C 266/96, Corsica Ferries, Rec. 3949.

180.

CJCE 7 juin 1997, C 398/95, Settg, Rec. 3091.

181.

CJCE 28 mars 1996, C 272/94, Guiot, Rec. 1905.

182.

CJCE 9 juillet 1997, C 34/95 & 35/95, De Agostini & TV shop, Rec. 3843.

183.

La jurisprudence considère qu’un Etat ne peut subordonner l’exécution d’une prestation de services sur son territoire à l’observation de toutes les conditions requises pour un établissement, sous peine de priver de tout effet utile les dispositions du Traité assurant la libre prestation des services transfrontaliers. CJCE 25 juillet 1991, C 76/90, säger, Rec. 4221.

184.

CJCE 30 novembre 1995, C 55/94, Gebhard, Rec. 4165.

185.

CJCE 23 avril 1991, C 41/90, Höfner, Rec. 1979.

186.

CJCE 27 mars 1990, C 113/89, Rush Portuguesa, Rec. 1417.

187.

CJCE 29 avril 1999, C 224/97, Ciola, Rec. 2517. Il en est de même lorsque le prestataire et le destinataire se déplacent simultanément, et que le service est rendu sur le territoire d’un autre Etat membre que celui de leur résidence : CJCE 26 février 1991, C 154/89, Commission c/ France, Rec. 659.

188.

CJCE 10 mai 1995, C 384/93, Alpine Investments, Rec. 1141.

189.

CJCE 3 décembre 1974, C 33/74, Van Binsbergen, Rec. 1299 ; CJCE 3 février 1993, C 148/91, Veronica, Rec. 487 ; CJCE 5 octobre 1994, C 23/93, TV 10, Rec. 4795.

190.

CJCE 25 juillet 1991, C 76/90, Säger, Rec. 4221.

191.

CJCE 18 janvier 1979, C 110 et 111/78, Van Wesemael, Rec. 35.

192.

CJCE 29 mai 1992, C 106/91, Ramrath, Rec. 3351.

193.

CJCE 28 avril 1998, C 118/96, Safir, Rec. 1897. La Cour est en effet très attentive au respect du principe de reconnaissance mutuelle. Elle s’assure ainsi qu’il n’existe pas déjà dans l’Etat où le prestataire est établi une réglementation protégeant suffisamment l’intérêt invoqué pour que l’Etat sur le territoire duquel la prestation est offerte n’ait pas réellement besoin d’exiger au surplus le respect de la sienne propre : CJCE 9 juillet 1997, C 222/95, Parodi, 3899.