1/ Les ententes

Les ententes sont définies comme « toutes décisions d’association d’entreprises, et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre les Etats membres, et qui ont pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence 203 ». Les comportements qui illustrent ces ententes, dont la liste est non exhaustive sont : fixation de prix d’achat ou de vente, répartition de marché, contrôle de production. Ces ententes, qui sont incompatibles avec le marché commun, sont constituées par la réunion de trois éléments cumulatifs.

La poursuite d’une activité économique est le critère principal qui caractérise l’entreprise désignée, indépendamment de son statut et de son mode de financement204. Ainsi, en premier lieu, l’activité économique n’est pas tributaire de la qualification industrielle ou commerciale de l’entreprise205. Des personnes physiques qui exercent des professions libérales, ou même des professions artistiques, peuvent recevoir valablement la qualification de l’entreprise.

En deuxième lieu, l’activité économique n’est pas subordonnée à la recherche d’un but lucratif206.

En troisième lieu, l’activité économique est indifférente à la forme juridique de l’entreprise. Un établissement public national à caractère administratif207, une fondation de droit privé208, une association209 ont été qualifiés d’entreprise au sens du droit de la concurrence.

En quatrième lieu, le caractère public ou privé de l’opération est sans conséquence sur l’appréciation de son activité économique. Le droit s’applique aux comportements d’une entité publique lorsque, à travers cette entité, l’Etat exerce des activités économiques de caractère industriel ou commercial consistant à offrir des biens ou des services sur le marché. En dehors des activités purement administratives, le droit communautaire s’applique aux activités de gestion et d’exploitations détachables de celles qu’il exerce comme autorité publique.

En cinquième et dernier lieu, l’activité suppose pour l’entreprise d’agir pour son propre compte et, dès lors, de pouvoir déterminer de manière autonome son comportement sur le marché. Il ne peut donc avoir entente entre les entreprises s’il n’y a pas d’indépendance réelle des opérateurs économiques. Les dispositions sur les ententes ne visent pas les accords, ou pratiques concertés, entre entreprises appartenant au même groupe en tant que sociétés mères et filiales, si les entreprises forment une unité économique à l’intérieur de laquelle la filiale ne jouit pas d’une autonomie réelle dans la détermination de leur ligne d’action sur le marché210.

Ainsi le droit communautaire retient une conception assez extensive de la notion d’activité économique, en tant que critère de qualification de l’entreprise, au sens du droit de la concurrence. Cette appréciation est confortée par le fait que, lorsque les organes communautaires font échapper certaines activités à l’emprise de cette branche du droit, c’est à la suite d’une analyse méticuleuse et très stricte. La qualification d’entreprise est bien la règle et son rejet l’exception. En ce sens, les organismes dont les activités ne présentent pas un caractère économique, mais un caractère social, ne relèvent pas de la qualification d’entreprise.

Le deuxième élément constitutif de l’entente prohibée a trait à la collusion. Ce concept doit s’entendre comme un accord secret réalisé entre entreprises au détriment d’une autre. Trois cas peuvent être appliqués à cette expression : l’accord, la décision d’associations d’entreprises, la pratique concertée. L’accord reçoit une définition très large des organes en charge du droit communautaire de la concurrence. Pour qu’il y ait accord, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée. Le contrat est le seul cadre évident de cette expression commune de volonté211. Il peut aussi procéder de l’existence d’une entreprise commune, de l’adhésion à des directives de l’une des parties, d’engagement non formalisé et, même d’engagements sur l’honneur212.

La décision désigne un acte unilatéral émanant d’une ou plusieurs associations d’entreprises.

La pratique concertée, enfin, est de loin le mode de collusion le plus difficile à caractériser, tant au plan conceptuel que pratique. D’une certaine manière, il est possible de dire que la pratique concertée est une catégorie « fourre-tout » qui permet de qualifier d’entente des comportements de collusion qui n’entrent pas dans les deux catégories précédentes.

Dès lors, on ne comprend la pratique concertée que par la comparaison des autres catégories et, notamment, l’accord213. C’est une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence ; que par sa nature même, la pratique concertée ne réunit donc pas tous les éléments d’un accord, mais peut notamment résulter d’une coordination qui s’extériorise par le comportement de ceux qui y participent.

Le dernier élément de la caractérisation des ententes est la restriction de la concurrence. L’incompatibilité des ententes avec le marché commun se justifie par le fait que les accords, les décisions d’associations d’entreprises ou les pratiques concertées sont susceptibles d’affecter le commerce entre les Etats membres et ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre pou encore de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Ainsi, toutes les ententes communautaires ne doivent pas être considérées comme prohibées.

Deux conditions expresses et cumulatives doivent être remplies pour qu’une entente soit légale. Il convient d’une part que l’entente restreigne le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun ; d’autre part qu’elle soit susceptible d’affecter le commerce entre les Etats membres. La restriction répond donc à deux conditions positives et une condition négative.

Le comportement doit d’abord avoir pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence. Ces conditions présentent un caractère alternatif, et leur appréciation est hiérarchisée : ce n’est que dans la mesure où l’objet restrictif n’apparaît pas nettement que l’on s’attache à l’effet restrictif de la concurrence qui suppose une analyse économique et pragmatique de contexte d’application du droit. L’efficacité de la lutte contre les accords ; les décisions d’associations d’entreprises, ou les pratiques concertées nécessite alors de comprendre que « la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue, dès qu’il apparaît qu’il a pour objet de restreindre, empêcher ou fausser le jeu de la concurrence214 ». Cette jurisprudence permet d’interdire une entente, quand son objet est restrictif de concurrence même si elle n’a pas reçu d’application dans les faits, ou lorsqu’elle a pour effet de restreindre la concurrence, même si les parties à l’accord n’ont pas au départ une telle intention.

La restriction doit, ensuite, être « sensible ». La réglementation ne s’applique qu’aux seules ententes qui affectent sensiblement le jeu de la concurrence (on parle de seuil de sensibilité). Seules les hypothèses dans lesquelles le niveau de puissance économique des entreprises concernées conduit à des comportements restrictifs de la concurrence sont prises en compte.

L’affectation du commerce entre Etats membres appelle certaines précisions. D’abord il apparaît que ne sont concernées que les ententes susceptibles de porter atteinte à la réalisation des objectifs de l’édification d’un marché commun entre les Etats membres. Cette exigence a été formulée par la CJCE qui considère que « l’accord dont il s’agit doit, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager, avec un degré de probabilité suffisant, qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre Etats membres […]. Dès lors, pour rechercher si un contrat relève du champ d’application des ententes, il convient de savoir s’il est en mesure, notamment, de rendre plus difficile l’interpénétration économique voulue par le traité 215 ».

Ainsi, sont concernées les ententes qui conduisent à une fermeture, à un cloisonnement des marchés des Etats membres ou, à un détournement des courants d’échanges entre les Etats membres. Ce critère finaliste explique, dès lors, qu’une entente entre des entreprises d’un même et unique Etat membre peut parfaitement affecter le commerce entre les Etats membres216. Il faut relever qu’il n’est point besoin que l’entente ait affecté les échanges communautaires. Il suffit que l’accord ou la pratique concertée soient de nature à avoir un tel effet217.

L’interdiction de ces ententes n’est pas, par ailleurs, absolue. Certains accords peuvent être autorisés, dans la mesure où ils peuvent apporter effectivement une contribution au développement de l’efficience économique ; être indispensable à la réalisation de l’efficience économique ; apporter un bénéfice ou un profit certain aux consommations ou encore aux utilisateurs218.

La contribution au progrès économique conduit à prendre en compte des aspects variés comme l’amélioration de la quantité et de la qualité des produits ou des services, la protection de certaines formes de distribution, et même la préservation de l’environnement. Ainsi, au-delà des formes que le progrès peut prendre, l’appréciation doit s’attacher au caractère objectif, réel et perceptible dans une dimension communautaire. Par ailleurs, l’entente communautaire, pour être valide, ne doit pas contenir des restrictions de concurrence qui ne seraient pas indispensables au progrès obtenu ou recherché, ni entraîner l’élimination de la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ce n’est qu’après avoir vérifié que l’accord en cause ne conduirait pas à la disparition de toute concurrence qu’il est autorisé219.

Notes
203.

Article 3 du règlement n°1/99/UEAC-CM-639 du 25 juin 1999 portant réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles (annexe 3).

204.

CJCE, 23 avril 1991, Hôfner, C-41/90, Rec.I-1979.

205.

CJCE, 19 février 2002, wouters e.a.c/Algemene Read van de Nederlandse Orde van advocaten, c-309/99, Rec.I-157.

206.

CJCE, 1 novembre 1995, FFSA, C-244/94, Rec.I-4013.

207.

Déc.78/823, INRA, 21 septembre 1978, JOCE L286, 12 octobre 1978.

208.

Déc. 94/272, SCK, 13 avril 1994, JOCE L117, 7 mai 1994.

209.

Déc. 01/478,UEFA, 18 avril 2001, JOCE L 171, 26 Juin 2001 ; TPICE, 26 Janvier 2005, FIFA, T-193/02, nep.

210.

CJCE, 31 octobre 1974, Centrafarm BV, 15/74, Rec.1147.

211.

CJCE, 30 janvier 1985, BNIC c/clair, 123/83, Rec. 391.

212.

Déc. 69/240, entente internationale de la quinine, 16 juillet 1969, JOCE L 192, 5 août 1969.

213.

CJCE, 14 juillet 1972, ICI, 48/69, Rec. 619.

214.

CJCE, 17 juillet 1997, Ferriere Nord, C-219/95 P, Rec. I-4411.

215.

CJCE, 30 juin 1966, LTM, 56/65, Rec. 337.

216.

C’est d’ailleurs très exactement ce que relève la CJCE dans l’affaire des expéditeurs en douane italiens. CJCE, 18 juin 1998, Commission c/Italie, C-35/96, Rec. I-3886.

217.

CJCE, 21 Janvier 1999, Bagnasco e.a., C-215/96 et C-216/96, Rec. I-161.

218.

Article 3 du Règlement n°1/99/UEAC-CM-639 portant Réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles.

219.

Déc. 00/400, Eurovision, 10 mai 2000, JOCE L 151, 24 Juin 2000.