4/ Les aides d’Etat

En octroyant une aide à tel ou tel opérateur économique (et pas à tous), l’Etat porte atteinte à l’égalité de ces opérateurs économiques sur le marché. Par ailleurs, la compétition économique est faussée car les effets du plus fort ne sont pas récompensés, en tout état de cause mis à mal par le plus aidé. A l’inverse, le soutien de l’Etat peut être nécessaire pour permettre aux nouveaux opérateurs d’entrer sur le marché (logique de création d’entreprise) conduisant, par conséquent, à favoriser l’émergence d’une concurrence là où elle n’existait pas auparavant. Ces aides d’Etat sont traitées par la réglementation et se caractérisent par des « avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence, en favorisant certaines entreprises ou certaines productions 243 ».

Certains critères permettent de déterminer ces aides : l’aide peut être le fait d’une action ou d’une abstention de l’Etat ; elle est indépendante du fait de savoir si elle émane de l’Etat lui-même, ou si elle est accordée au moyen des ressources d’Etat ; elle peut, enfin, être comprise par référence au standard de l’investisseur privé. Chacun de ces critères doit être présenté.

Tout d’abord, une aide d’Etat peut procéder « non seulement de prestations positives telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise244 ». En d’autres termes, l’aide résulte tout autant d’une action que d’une abstention de l’Etat. Par exemple, des subventions constituent une hypothèse évidente d’aide d’Etat245, mais aussi un apport en capital246, des dégrèvements fiscaux247, ou la réduction d’une part des cotisations patronales248.

Ensuite, la notion d’aide d’Etat renvoie naturellement à l’expression « Etat » dont il apparaît qu’elle doit être prise dans un sens large. Par Etat, on envisage aussi bien l’administration centrale d’un Etat membre que ses démembrements territoriaux (régions et communes), les entreprises publiques, et les organismes privés ou publics qui créé pour gérer une aide249. Ce qui est déterminant en toute hypothèse, c’est le transfert de ressources étatiques.

Enfin, la jurisprudence de la CJCE fait recours à un standard comme indice de l’existence de l’aide d’Etat : l’investisseur privé en économie de marché. Face à la variété des situations, à l’ingéniosité développée par les Etats membres, il est fait recours à cet indice économique et pertinent. Ainsi, dans le cas de l’apport en capital d’une entreprise aux moyens de ressources d’Etat, on demande si l’Etat qui investit dans une société a la contrepartie qui est logiquement attendue, c’est-à-dire un retour sur investissement que traduit le versement de dividendes250.

Selon la CJCE, « en vue de déterminer si de telles mesures présentent le caractère d’aides étatiques, il y a lieu d’apprécier si, dans des circonstances similaires, un investisseur privé d’une taille qui puisse être comparée à celles des organismes gérant le secteur public aurait pu être amené à procéder aux apports de capitaux de cette importance 251 ». Et la Cour de justice de souligner que s’il ne s’agit pas nécessairement du comportement « de l’investisseur ordinaire plaçant des capitaux en vue de leur rentabilité à plus ou moins long terme, il doit au moins être celui d’un holding privé ou d’un groupe privé d’entreprises poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle, et guidé par des perspectives de rentabilité à plus long terme252. Ce critère, souvent utilisé, est un indice de l’existence de l’aide.

Une importance a été apportée par la Cour dans une hypothèse qui suscitait des interrogations : le cas de financements publics apportés à un prestataire en contrepartie de l’exercice d’une mission de service public. La Cour juge que ces financements ne constituent pas des aides d’Etat si l’entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l’exécution d’obligations de service public et que ces obligations sont clairement définies, que les conditions de la compensation aient été préalablement établies de manière objective et transparente, et que cette compensation soit strictement nécessaire au regard d’une entreprise moyenne253.

Des hypothèses variées ont à cet effet été établies : il s’agit de maintenir artificiellement une entreprise sur un marché, octroyer un avantage à une catégorie d’opérateurs économiques qui répondent à cette logique. Ce qui semble en jeu, c’est le fait qu’en aidant telle ou telle entreprise, et non toutes les entreprises, le jeu normal de la compétition est faussée254. Toutefois, dans certaines hypothèses, l’affectation du jeu de la concurrence apparaît insuffisante. On retrouve alors l’idée de seuil de sensibilité du droit de la concurrence255.

La réglementation retient que les aides d’Etat sont soit compatibles, soit peuvent être considérées comme compatibles, dans des hypothèses différentes qu’elle énumère. Ainsi, deux catégories d’aides ont été considérées comme étant compatibles de plein droit. Il s’agit d’abord des aides à caractère social octroyées aux consommateurs individuels, à condition qu’elles soient accordées sans discrimination liée à l’origine des produits. Ensuite, sont envisagées les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements, à condition qu’elles soient imprévisibles et insurmontables par l’entreprise.

D’autres types d’aides sont susceptibles d’être considérées comme compatibles avec le marché commun : les aides aux entreprises destinées à favoriser le développement économique des régions défavorisées ou souffrant d’un retard notoire dans leur développement économique ; les aides destinées à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt sous-régional commun256, ou à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un Etat membre ; les aides aux entreprises destinées à faciliter le développement de certaines activités, ou les aides destinées à promouvoir la culture, la conservation du patrimoine et la protection de l’environnement quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ; les aides aux Petites et Moyennes Entreprises.

Ces aides compatibles avec le marché commun procèdent d’une même logique, malgré leur diversité : certaines sont dictées par des objectifs particuliers (développement régional, perturbation économique, promotion de la culture) peuvent être déclarées compatibles sous réserve de respecter des exigences qui tiennent essentiellement à ce qu’elles n’altèrent pas les échanges et la concurrence dans une mesure contraire à l’intérêt commun. Sans entrer dans le détail de chacune de ces catégories, on peut relever que trois axes essentiels se dégagent : bilan concurrentiel, transparence et caractère temporaire. En d’autres termes, une aide peut être déclarée compatible avec le marché commun si elle satisfait cumulativement à ces conditions257.

Notes
243.

CJCE, 2 juillet 1974, Italie c/Commission, 173/73, Rec. 709.

244.

CJCE, 23 février 1961, Steenkolen mijnen, Rec. 39.

245.

TPICE, 8 juin 1995, Siemens SA, T-459/93, Rec. II-1679.

246.

Déc. 1988/454, Renault, 29 mars 1988, JOCE L 220, 11 août 1988.

247.

CJCE, 1- mai 2002, ARAP c/Commission, C-321/99 P, Rec. I-4287.

248.

CJCE, 5 octobre 1999, France c/Commission, C-251/97, Rec. I-6654.

249.

La Cour de justice de la Communauté européenne a pu ainsi considérer que la fourniture d’une assistance logistique et commerciale par une entreprise publique – La poste – à une de ses filiales de droit privé – Chronopost – pouvait constituer une aide d’Etat en raison du fait que la rémunération de la seconde versée à la première était inférieure à des conditions normales de marché. Cf. CJCE, 11 juillet 1996, SFEI, C-39/94, Rec. I-3577.

250.

Partant de cette question, la Cour a consacré le critère de l’investisseur privé en économie de marché notamment dans un arrêt du 21 mars 1991. Cf. CJCE, 21 mars 1991, Italie c/Commission, C-305/89, Rec. I-1603.

251.

Idem

252.

Ibidem

253.

CJCE, 24 juillet 2003, Altmark, C-280/00, Rec.I-7747. Cet arrêt est contraire à la démonstration de la TPICE qui avait considéré que le fait qu’un avantage soit destiné à compenser une charge de service public n’était pas de nature à exclure la qualification d’aide d’Etat.

254.

CJCE, 14 février 1990, France c/Commission, C-301/87, Rec. I-307.

255.

L’article 4 du Règlement n°4/99/UEAC-CM-639 portant réglementation des pratiques étatiques affectant le commerce entre les Etats membres évoque la nécessité de déterminer le plafond de ces aides aux entreprises, en laissant le soin aux Conseils des Ministres, sur proposition du Secrétariat Exécutif, d’arrêter les conditions et les modalités.

256.

Les Etats de la CEMAC peuvent par exemple accorder des aides pour la réalisation du Plan directeur consensuel des transports de l’Afrique centrale.

257.

C. Nourissat, droit communautaire des affaires, Paris, éditions Dalloz, 2ème édition, année 2005, pages 314 à 316.