La Convention régissant l’Union économique de l’Afrique centrale (UEAC) fait du Secrétariat exécutif de la CEMAC (remplacé par une Commission depuis la réforme de 2007) le garant de l’application des actes juridiques adoptés par les organes de décision270. Sa compétence est à la fois générale et spécifique. Il est notamment chargé de veiller à l’application des actes pris par les organes de l’Union économique. Ainsi, le contrôle de l’application du droit de la concurrence relève de sa compétence. Parallèlement, le Règlement n°1/UEAC-CM-639 portant réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielle prévoit un Organe de Surveillance de la Concurrence (OSC)271, composé du Secrétariat exécutif de la Communauté, et d’un Conseil Régional de la Concurrence (CRC) qui est le vrai titulaire du pouvoir de décision. Il délibère et arrête les décisions relatives aux infractions aux règles communes de concurrence, « excluant » le Secrétariat exécutif qui, dans le fond, ne joue qu’un rôle limité.
La doctrine note que cette compétence exclusive du CRC, et la nature des pouvoirs qui lui sont attribués, est contraire aux dispositions des textes fondamentaux de la CEMAC. D’abord, malgré les dispositions de l’article 25 de la Convention UEAC, seules les institutions communautaires ne sont pas efficacement représentées au sein du Conseil Régional de Concurrence. Le Secrétariat exécutif y désigne un expert enquêteur pour chaque affaire, mais il participe aux séances du Conseil « sans voix délibérative ». Le Secrétariat exécutif de la Communauté n’est chargé que de « l’instruction des pratiques prohibées ». Autrement dit, il instruit les affaires et les transmet au CRC qui statue et décide de la réalité ou non de l’infraction. Le CRC se substitue ainsi au Secrétariat exécutif de la Communauté, qui est relégué au rang de « préparateur des décisions ». C’est donc « un véritable transfert de pouvoir de veiller à l’application des règles communautaires » qui est effectué au profit du CRC.
Le CRC exerce ainsi des pouvoirs importants pour garantir la liberté de concurrence. Ces pouvoirs portent sur l’application de la réglementation et la sanction des infractions. A ce titre, il peut interdire certains actes ou sanctionner les auteurs de comportements anticoncurrentiels, qu’ils soient publics ou privés. Il peut, par ailleurs, procéder à des vérifications dans les Etats membres, avec l’assistance des administrations nationales. Il a enfin la compétence d’autoriser, à titre dérogatoire, des ententes entre entreprises à qui il accorde l’autorisation à leurs projets de concentration. Il dispose pour cela d’une compétence exclusive.
Par ailleurs, le CRC est compétent, à l’égard des Etats membres, pour autoriser les aides accordées par les pouvoirs publics. Il a une « compétence exclusive pour déterminer [si ces aides] sont compatibles ou non avec le marché commun ». Il s’assure également du respect de la libre concurrence par les entreprises bénéficiant d’un monopole légal, ainsi que de la conformité des modalités de passation des marchés publics nationaux soumis au droit de la Communauté.
Il a, en outre, un pouvoir d’injonction à l’égard des auteurs de l’infraction, afin qu’ils y mettent fin. Ainsi, il peut imposer à des entreprises de mettre un terme aux accords constitutifs d’entente, ou d’interrompre leurs regroupements incompatibles avec le marché commun. Ces injonctions peuvent aussi être adressées aux opérateurs publics. Enfin, le CRC a un pouvoir d’infliger des sanctions financières aux acteurs économiques coupables d’infraction à la concurrence. A ce titre, il dispose de pouvoirs à l’égard d’actes juridiques nationaux272.
Les pouvoirs transférés au Conseil Régional de la concurrence sont comme le note la doctrine immenses pour un organe considéré comme non communautaire. Ils révèlent les difficultés qui ont handicapées le fonctionnement de la CEMAC qui s’est fait avec des institutions qui n’ont pas de poids pour remplir leurs missions273. C’est ainsi que la réforme de 2007 est fondée sur la nécessité de renforcer le poids et la cohérence des institutions communautaires pour leur permettre de jouer efficacement leurs rôles. La Commission mise en place, en lieu et place du Secrétariat exécutif, a ainsi été dotée d’une équipe de direction renforcée et collégiale, dotée de pouvoirs accrus, lui permettant d’initier les politiques communautaires, et d’avoir un pouvoir d’injonction et un droit d’initiative dans le processus législatif.
Il est tôt pour juger de l’impact de cette réforme sur l’efficacité des institutions communautaires. Mais, elle semble répondre aux valeurs de bonne gouvernance qui sont nécessaires à leur fonctionnement. En tout état de cause, en matière de concurrence, il est important que la Commission joue un rôle accru. Mais, il faut aussi ne pas perdre de vue la nécessité de créer les conditions pour que le Conseil régional de concurrence assure sa mission.
En effet, le Conseil régional de concurrence doit répondre aux critères d’efficacité d’une autorité de concurrence que sont la compétence, la transparence, l’indépendance et l’efficacité. Pour lui permettre d’agir convenablement, suivant les missions qui lui sont dévolues, il doit être indépendant de la Commission qui est un organe politique. Celui doit en effet définir les grandes orientations de la politique de concurrence de la Communauté. Mais, dans les procédures internes de prises de décision, il est important qu’il n’ait pas à peser sur les instructions, pour éviter que des tentatives d’interférence politiques viennent fausser ses décisions274.
Le deuxième critère d’une autorité de concurrence capable de remplir ses missions est la compétence technique275. Il est important qu’une bonne interprétation soit donnée au droit. Cela nécessite une bonne connaissance des principes fondamentaux du droit, de l’économie et de la gestion des entreprises qui doivent être mis à jour et élargis en permanence. Cette façon de mesurer l’efficacité doit aussi être basée sur le nombre de personnes qui travaillent et qui sont qualifiées. Par sa composition276, le CRC répond à ce critère. Cependant, son efficacité dépendra des moyens mis à sa disposition pour améliorer ses réflexions et ses prises de position.
Les entreprises doivent disposer, par ailleurs, de la possibilité de faire réexaminer la décision de l’autorité de concurrence. Cette possibilité doit être incorporée dans la loi et, en même temps, il faut s’assurer que les tribunaux qui étudient les affaires aient suffisamment de connaissances en droit de concurrence pour juger avec efficacité277. Or, les systèmes juridiques des Etats de la CEMAC sont loin de répondre à ce critère, compte tenu de leurs faiblesses278.
Par ailleurs, les raisons pour lesquelles les décisions sont prises doivent être notifiées et expliquées aux entreprises. Cette notification doit être faite au cours de la procédure et non pas seulement à sa toute fin. C’est un critère qui permet d’estomper les incertitudes et d’éviter des erreurs. Une telle approche permet d’améliorer l’acceptation de la décision par l’entreprise. La transparence passe aussi par l’information du public. Les évaluations doivent être discutées par des parties tierces, la presse ou les universitaires. Or, quand on sait l’opacité qui caractérise les affaires publiques, on présage que ce critère sera parmi les plus difficiles à remplir.
Une autorité de concurrence intervient, enfin, toujours dans un processus économique qui peut représenter une lourde charge pour les entreprises. C’est pourquoi, le facteur temps doit être sérieusement pris en compte pour leur garantir une concurrence efficace. Cette contrainte impose des procédures qui soient rapides pour limiter les facteurs d’incertitude279. Pour autant, il faut que les informations soient demandées au cas par cas afin que celles qui ne posent pas de problème au départ ne soient pas alourdies par des obligations qui ne soient superflues.
En tout état de cause, l’efficacité de la politique de concurrence régionale dépend de la capacité des Etats à réunir les moyens d’investigation. Il faut fournir aux institutions les moyens de détecter les pratiques prohibées, puis de prononcer des sanctions. Ainsi, la probabilité de la détection des pratiques illicites et les sanctions qui les accompagnent sont les deux plus grands défis qui doivent être résolus pour l’efficacité de la politique de concurrence280.
Si l’efficacité de la politique de concurrence, y compris dans sa dimension dissuasive, ne se réduit pas aux sanctions. Celles-ci ont en effet un rôle majeur. Elles seules peuvent décourager les entreprises de développer des pratiques malsaines sur le marché. C’est pourquoi, il faut faire en sorte que le profit espéré par une entreprise qui adopte un comportement anticoncurrentiel ne l’emporte pas sur celui qu’elle pourrait obtenir en se comportant d’une manière concurrentielle, lorsque des sanctions sont prises contre cette entreprise281.
En définitive, l’efficacité de la politique de libéralisation des prestations de services de transport dépend de la capacité des institutions communautaires et nationales à mettre en œuvre le principe de libre circulation et à réprimer les pratiques frauduleuses des entreprises. Poser la règle du jeu ne suffit pas. Il faut aller au-delà, en créant les conditions d’un développement des échanges entre les opérateurs économiques. Il faut aussi faire un effort de rapprochement les règles en présence, pour faire du droit un vrai outil d’exécution des politiques publiques. La technique d’harmonisation permet-elle de conduire efficacement cette politique ?
En vertu de l’article 25 de la Convention régissant l’Union économique de l’Afrique centrale, le Président de la Commission est chargé de l’application des règles de concurrence définies sur le fondement des articles 23 et 24 de ladite Convention.
Article 17 du règlement n°1/99/UEAC-CM-639 portant réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles. (Annexe 3).
Ce qui n’est pas le cas du Secrétaire exécutif de la Communauté.
Rapport du Comité de pilotage du Programme de réformes institutionnelles de la CEMAC du 22 février 2007.
U. Böge, « Les critères d’efficacité d’une autorité de la concurrence », in Gazette du Palais, Janvier Février 2003, pages 104 à 105.
Idem
Selon l’article 18 du règlement n°1/99/UEAC-CM-639 le Conseil régional est composé d’un magistrat, d’un représentant d’une Chambre de commerce, d’un fonctionnaire du Ministère en charge de la concurrence, d’un spécialiste du droit des affaires, de deux économistes, et enfin d’un représentant des associations des consommateurs (annexe 3).
H. du Rouret, « les besoins des entreprises », in Gazette du Palais du dimanche 26 au mardi 28 janvier 2003, pages 94 à 95.
M. Tidjani Alou, « la justice au plus offrant », in Politique africaine, n°83, octobre 2001, page 63. Lire aussi la conclusion des Travaux des états généraux de la justice tenus à N’Djaména au Tchad du 1er au 21 juin 2003.
L’article 22 du règlement n°1 portant réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles dispose que « la publication doit tenir compte de l’intérêt légitime des entreprises et, notamment, éviter de divulguer des secrets d’affaires ». (Annexe 3).
A. Perrot, « L’efficacité des sanctions pécuniaires », in Gazette du Palais, Janvier Février 2003, pages 123 à 128.
L. Vogel, « L’intérêt des sanctions civiles et pénales », in Gazette du Palais, Janvier Février 2003, pages 120 à 122.