Section 3 L’harmonisation des droits

Pour mener à bien les politiques communes, les Etats ont procédé à l’intégration de leurs droits. Il s’agit d’un transfert de compétences juridiques étatiques des Etats membres à la CEMAC, organisation dotée des pouvoirs de décision et des compétences supranationales. Cette politique d’intégration normative peut être assurée au moyen des techniques d’intégration juridique que sont notamment l’unification, l’uniformisation ou l’harmonisation du droit282.

L’unification est une opération qui consiste à adopter un texte unique, directement applicable dans les Etats membres, et ne souffrant d’aucune altération dans l’ordre juridique interne. Les Etats doivent, dans ce cadre, se conformer de manière identique aux règles unifiées.

L’uniformisation du droit se présente comme une méthode plus radicale de l’intégration juridique, puisqu’elle consiste à effacer les différences entre les législations nationales en leur substituant un texte unique, rédigé en des termes identiques pour tous les Etats concernés. Elle peut suivre une voie douce consistant à proposer aux parlements nationaux un texte unique préparé par une instance internationale. La souveraineté nationale est respectée, mais elle est contraignante à cause de l’application du principe de supranationalité qui permet d’introduire directement des normes dans l’ordre juridique interne des Etats.

L’harmonisation consiste à mettre en accord les règles de droit d’origine différente, plus spécialement à modifier les dispositions existantes, afin de les mettre en cohérence entre elles ou avec une nouvelle réforme. Tout en respectant plus ou moins le particularisme des législations nationales, l’harmonisation consiste à réduire les différences et les divergences entre elles.

Ainsi, le choix d’une stratégie d’intégration révèle le degré d’engagement des Etats membres dans la recherche des solutions communes aux problèmes auxquels ils font face. Il s’agit, soit de construire un droit uniforme comme solution radicale à la complexité, ou tendre vers l’harmonie, c’est-à-dire la simple mise en compatibilité des différences. C’est la deuxième solution qui a été choisie par la CEMAC, en vue d’agir pour atteindre les objectifs de développement économique et social de ses Etats membres. La Convention qui régit l’Union économique de l’Afrique centrale (UEAC) affirme, à cet égard, « la nécessité de favoriser le développement économique des Etats membres grâce à l’harmonisation de leurs législations, en agissant dans la limite des objectifs que le Traité de la CEMAC et la présente Convention lui assigne, et dans le respect de l’identité nationale de ses Etats membres 283 ». Dans ce cadre, « ses organes sont autorisés à édicter les prescriptions minimales qu’il appartient aux Etats membres de compléter en tant que de besoin, conformément à leurs règles 284 ».

La technique d’harmonisation vise à instituer une coordination entre les législations nationales et une coopération entre les organismes chargés de les appliquer. Un tel résultat s’obtient au moyen de techniques juridiques douces telles que les directives ou les recommandations qu’une organisation internationale adopte et adresse aux Etats qui en sont membres. Ces directives et recommandations se contentent d’indiquer les résultats à atteindre sans imposer les formes et moyens pour y parvenir si ce n’est que la norme internationale doit être revêtue d’un imperium suffisant pour s’imposer dans l’ordre juridique interne285. L’harmonisation respecte donc en principe la souveraineté législative et règlementaire nationale.

La fonction principale de l’harmonisation du droit est de rapprocher les règles de droit dont la diversité est considérée comme un vrai frein aux échanges commerciaux. Elle dissuade les consommateurs et les Petites et Moyennes Entreprises de s’engager dans des opérations régies par des règles différentes ; la multiplication des sources de droit étant considérée comme un facteur qui augmente les coûts des transactions dans les relations de transit286.

L’harmonisation repose sur un accord des Etats sur les principes applicables à une question donnée, et sur la signification des concepts fondamentaux qui s’y rattachent. Elle a pour objectif de rapprocher les fondements même du droit, non pas en procédant à l’élaboration des règles communes, mais en rapprochant les droits dans leur mode de pensée, au moyen d’un noyau de concepts et de méthodes communs287. L’accord entre les Etats peutainsise limiter à définir un mode de présentation des règles, prendre le parti de mettre en valeur l’autorité particulière d’une source du droit, ou aller jusqu’à définir les concepts communs288.

L’argument principal en faveur de cette technique est que la législation communautaire reconnaît que la suppression des droits de douane et l’établissement d’un tarif douanier commun, envers les pays tiers, ne suffisent pas à eux seuls de créer un marché commun efficace. Il faut éliminer les autres obstacles aux échanges. La Convention s’occupe elle-même de certains de ces obstacles. Elle interdit, par exemple, les taxes d’effet équivalent à des droits de douane et à des restrictions quantitatives à l’importation et à l’exportation. Pour autant, elle ne règle pas tous les obstacles non tarifaires qui limitent les échanges. Il subsiste, d’abord, des entraves pour l’élimination desquelles elle ne fixe que des principes généraux. Ce sont surtout les restrictions légales à la libre circulation pour les ressortissants des Etats membres, et des dispositions relatives aux impôts indirects. D’autres entraves ne sont ni mentionnées, ni réglées en détail. Le droit communautaire se contente simplement de traiter les clauses générales à partir desquelles les Etats peuvent interdire ou restreindre l’importation, l’exportation, ou le transit des biens, lorsque ces interdictions sont justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique ou de la vie des personnes289.

Ces restrictions légales à la libre circulation concernent les contrôles frontaliers non douaniers290 qui peuvent porter sur les licences d’importation, les nombreuses prescriptions concernant la fabrication, la composition, la nature, la qualité, l’emballage, le contrôle et la mise dans le commerce de certains produits291. La Convention ne s’occupe pas de ces obstacles. Elle laisse à l’harmonisation du droit le soin de les éliminer292. C’est grâce à cette technique que les Etats peuvent agir en vue de la libre circulation, et la réalisation de l’intégration.

L’objectif fonctionnel de la technique d’harmonisation du droit est ainsi confirmé dans les règles particulières en matière douanière, mais aussi de circulation de la main-d’œuvre, de l’établissement des travailleurs non salariés, de la circulation des services et des capitaux. L’élimination des restrictions à ces libertés permet d’établir les conditions égales de concurrence293.

L’harmonisation devrait favoriser la cohérence des politiques dans le cadre de l’intégration régionale. Grâce à elle, les Etats peuvent prendre en compte la diversité des droits. Mais, au-delà de cette prise en compte de ces divergences entre les ordres juridiques, elle permettrait de comprendre leur portée, afin de déterminer la solution qui leur est la plus appropriée294.

Elle est aussi une technique qui permet de respecter le pluralisme juridique. C’est ainsi qu’elle est considérée comme un garde-fou contre les tentations hégémoniques qui pourraient naître à l’occasion d’un projet d’intégration, du fait que cette démarche repose sur la possibilité accordée à chacun des ordres juridiques impliqués dans le projet d’exprimer ses particularités.

Elle permettrait, enfin, de tenir compte des différents niveaux de développement économique des Etats, car elle permet un traitement spécial et différencié de chacun d’eux. La prise en compte de la diversité des droits devait ainsi permettre d’élaborer des normes riches de potentialités, et plus adaptées à l’intégration. C’est ainsi que l’émetteur d’une norme nationale ou internationale peut profiter des enseignements tirés de l’expérience d’autres systèmes juridiques, pour élaborer une norme adaptée aux besoins que l’intégration vise à satisfaire.

De même, plus qu’une simple source d’inspiration basée sur la connaissance des droits étrangers, la technique d’harmonisation du droit devrait offrir à chacun des Etats parties prenantes l’occasion d’avoir un recul critique sur son propre droit295. En mettant en relation les solutions apportées par différents droits nationaux aux mêmes problèmes, elle fournit les outils pour apporter un regard extérieur sur ces droits296. Ce faisant, elle permet de mieux en saisir les forces et les faiblesses. C’est la raison pour laquelle l’harmonisation devrait favoriser la production des normes d’une qualité particulière du fait qu’elle repose sur un droit comparable. Ces normes ne sont plus le reflet de la meilleure solution nationale antérieure, mais plutôt la combinaison des avantages respectifs de chacune des solutions nationales antérieures.

C’est en tenant compte de ces arguments en faveur de la technique d’harmonisation, envisagée comme un moyen d’intensification des échanges dans la CEMAC, que l’étude présente la typologie des règles harmonisées en matière de transport routier (§1). Elle se penche, ensuite, sur la question de l’opportunité du choix de cette technique pour conduire cette politique (§2).

Notes
282.

Définition du Vocabulaire juridique Capitant, citée par J. Issa-Sayegh, « Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des actes uniformes OHADA », Revue de droit uniforme, Institut international de droit privé, janvier 1999, page 5-32.

283.

Préambule de la Convention régissant l’Union économique des Etats de l’Afrique centrale (annexe 2)

284.

Article 8 de la Convention régissant l’Union économique des Etats de l’Afrique centrale (annexe 2).

285.

J. Issa-Sayegh, « Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des actes uniformes OHADA », Revue de droit uniforme, Institut international de droit privé, janvier 1999, page 5 à 32.

286.

V. Heuzé, « A propos d’une initiative européenne en matière de droit des contrats», in Pensée juridique française et harmonisation européenne du droit, société de législation comparée, Paris, année 2003, page 203.

287.

J. Renauld, Aspects de la coordination et du rapprochement des dispositions relatives aux sociétés, année 1967, page 619.

288.

R. David, L’avenir des droits européens : unification ou harmonisation, in : Le droit comparé : droits d’hier, droits de demain, page 295.

289.

Article 16 de la Convention régissant l’Union économique de l’Afrique centrale (annexe 2).

290.

Ces contrôles peuvent être opérés pour des raisons de taxation, de santé, de sécurité de travail, de sécurité des transports, de protection en matière d’assurance, de protection phytosanitaire, etc.

291.

P. Daillier, « De quelques aspects de la politique d’harmonisation des législations douanières dans la C.E.E. », in Revue trimestrielle de droit européen, Paris, éditions Sirey, Janvier – mars, année 1969, pages 475 à 486.

292.

En raison de leur nombre, de leur diversité, de leur caractère caché et de leur imbrication avec les ordres juridiques des Etats membres, elles ne se laissent pas éliminer automatiquement par de simples interdictions ou règles impératives.

293.

Ivo E. Schwartz, « De la conception du rapprochement des législations dans la Communauté économique européenne », in Revue trimestrielle de droit européen, éditions Sirey, Paris, Janvier – avril 1967, page 242.

294.

M. delmas-marty, critique de l’intégration normative, Paris, PUF, année 2004, page 240.

295.

H. Muir Watt, « La fonction subversive du droit comparé », RIDC, année 2000, n°3, page 503.

296.

M.-L. Izorche, « Propositions méthodologiques pour la comparaison », RIDC, année 2001, n°2, page 289, spéc. P.301.