4/ L’harmonisation optionnelle des règles fiscales

L’harmonisation optionnelle consiste à instituer un système réglementaire applicable aux produits destinés à circuler sur le marché intérieur, c’est-à-dire susceptible d’être commercialisés sur le territoire des Etats membres. Elle a la particularité de ne pas abroger les règlements nationaux. Son champ d’application est ainsi réduit et lorsqu’elle est utilisée, le droit régit les situations de dimension communautaire, mais ne régit pas en principe les situations internes. Les lois nationales s’appliquent, même si elles sont divergentes. Ainsi, un produit qui a une vocation à n’être distribué que dans un des Etats n’est soumis qu’à la réglementation technique de l’Etat concerné, et n’est pas tenu de respecter les directives communautaires.

La technique d’harmonisation optionnelle du droit est utilisée notamment en matière fiscale, avec l’adoption d’une directive320 sur la TVA qui s’applique aux importations, aux livraisons de biens et aux prestations de services. Elle frappe les assujetties, c’est-à-dire les personnes physiques et morales qui réalisent des opérations imposables réalisées à titre onéreux. L’activité des personnes morales effectuée dans le cadre des services administratifs, éducatifs, sociaux, et sportifs, et celle qui n’entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence ne sont pas assujetties321.

Les Etats peuvent accorder des exonérations sur la TVA pour les importations des biens définis à l’article 241 du Code des Douanes322, les livraisons directes par l’exportateur ou celles réalisées par l’intermédiaire d’un commissionnaire, les opérations liées au trafic international, notamment celles de transit et les services y afférents323. Les exemptions exceptionnelles concernent les marchandises en retour dans le territoire douanier, les dons offerts aux Chefs d’Etat et de Gouvernement et aux Etats, les privilèges et immunités diplomatiques, les effets et objets immobiliers importés à l’occasion d’un changement de résidence, les effets et objets en cours d’usage provenant d’héritage, les trousseaux d’élèves et de mariage, les envois dépourvus de tout caractère commercial, les importations à caractère social et religieux, les matériels et produits destinés aux usages techniques. En dehors de cette liste, aucune exonération n’est accordée à l’exception de l’application des régimes douaniers suspensifs.

Les Etats ont, toutefois, le droit d’accorder des régimes particuliers dans le cadre de leurs relations internationales, sous réserve de réciprocité et d’un quota fixé pour les biens destinés à l’usage officiel, aux missions diplomatiques étrangères et aux organisations internationales324.

L’imposition de la TVA est déterminée par chaque Etat qui fixe le seuil du chiffre d’affaires annuel à partir duquel toute personne physique ou morale doit être assujettie. A ce titre, chaque Etat a la possibilité d’assujettir d’office les personnes physiques ou morales et les personnes exerçant une activité non commerciale. Il peut autoriser les entreprises à formuler une option pour leurs assujettissements, dans les conditions et les modalités qu’il définit325.

Par ailleurs, les affaires réalisées dans un Etat sont soumises à la TVA326 en dehors de toutes considérations liées au domicile ou au siège social de la société débitrice. La réglementation prévoit que pour les transports internationaux, les opérations sont réputées faites dans l’Etat du lieu de la résidence habituelle s’il s’agit d’un transporteur individuel, ou du lieu du siège s’il s’agit d’une société, même si le principal de l’opération s’est effectué en dehors de cet Etat.

L’exigibilité de la TVA est constituée par le droit des services du recouvrement d’exiger du redevable, à une date donnée, le paiement de la taxe. Elle intervient lors des importations des biens sur le territoire des Etats membres de la Communauté, au moment de l’enregistrement de la déclaration de mise en consommation327. Sa base d’imposition est constituée par toutes sommes, et par tous avantages reçus ou à recevoir en contrepartie de la livraison.

La base de la TVA, pour les marchés de l’Etat financés par les budgets publics, les prêts ou les aides extérieures, est constituée par le montant des marchés, toutes taxes comprises, à l’exclusion de la TVA elle-même et de la taxe communautaire d’intégration (TCI)328. Elle s’applique aussi au marché des établissements publics à caractère industriel, commercial, scientifique, technique et administratif, aux sociétés d’économie mixte, aux collectivités et aux organismes de droit public qui jouissent ou non de la personnalité juridique et d’une autonomie financière329.

Les taux d’imposition de la TVA sont constitués d’un taux général fixé dans une fourchette comprise entre 15 et 18%, applicable à toutes les opérations taxables, à l’exclusion des opérations soumises au taux préférentiel zéro, et d’un taux zéro applicable aux exportations, à leurs accessoires et aux transports internationaux330. Ils sont applicables aux marchandises, services et produits locaux et biens importés. La TVA ayant frappé en amont les éléments du prix d’une opération imposable est déductible de celle applicable à cette opération pour les assujettis immatriculés et soumis à l’un des régimes éligibles au droit à déduction. Ainsi, est déductible la TVA qui a grevé les investissements, les achats, les charges supportées par l’entreprise pour les besoins de son exploitation331, les véhicules conçus pour le transport des personnes ou pour des usages mixtes constituant une immobilisation, les pièces détachées et accessoires. La déduction s’applique lorsque la taxe devient exigible chez le fournisseur.

Pour les importations, le droit à déduction prend naissance lors de la mise à la consommation332. La déduction n’est pas appliquée aux importations de biens et marchandises réexpédiées en l’état, aux produits pétroliers333, aux véhicules et engins conçus ou aménagés pour le transport des personnes ou pour des usages mixtes constituant une immobilisation, ou pour les pièces détachées et leurs accessoires. Mais, l’exclusion ne concerne pas les véhicules utilisés par les entreprises pour le transport de leur personnel334. La TVA est perçue à l’importation et liquidée par l’administration des douanes et droits indirects des Etats membres. Elle est déclarée avant l’enlèvement de la marchandise et ne peut être acquittée sous le bénéfice du régime de crédit d’enlèvement. L’administration fiscale a la charge du recouvrement et du contrôle de cette taxe qui est payée à la caisse du receveur des impôts dont dépend le siège social du redevable, son principal établissement ou le responsable qu’il a accrédité. La taxe est versée chaque mois par les redevables qui sont tenus de remettre à la recette des impôts une déclaration conforme au modèle prescrit par l’administration financière. Les exportateurs doivent annexer à leur déclaration mensuelle les références des exportations effectuées au rapatriement de fonds sur les ventes dont le remboursement est demandé335.

En somme, les règles harmonisées ont porté sur la reconnaissance réciproque des documents, l’uniformisation du régime des autorisations et des conditions d’accès au marché, la standardisation des équipements, l’unification des règles de circulation, de sécurité et de signalisation, l’harmonisation des instruments fiscaux et douaniers, l’uniformisation des systèmes internes de taxation336. Elles auraient permis d’abolir les frontières fiscales et douanières, de supprimer les contraintes techniques et sécuritaires, à partir des principes communs. C’est la simplification de la circulation dans l’espace communautaire qui est recherchée, partant la consolidation du marché, sans imposer aux Etats une fusion complète de leur droit. Mais, l’une des limites de cette politique est la non harmonisation des règles sociales.

En effet, l’intégration économique suppose des conditions égales de concurrence et de développement des entreprises des pays de la zone intégrée. Dans ce processus, la dimension sociale ne devrait pas être négligée. Elle a un coût pour les entreprises, notamment en terme de charges salariales et sociales, d’œuvres sociales de l’entreprise, etc. et doit être intégrée dans le coût de revient des biens et des services publics. De même, la disparité entre les législations sociales nationales pourrait entraîner des mouvements de migration importants d’un pays vers un autre considéré comme plus attractif. Elle peut créer, dans le pays d’immigration, des problèmes sociaux. Par conséquent, la prise en compte de la situation des personnes est essentielle dans un processus d’intégration régionale, comme celle de la CEMAC.

Cette importance de la dimension sociale des politiques de transport routier de transit ne semble pas faire l’objet de toutes les considérations nécessaires de la part des pouvoirs publics. Il existe bien une structure sous-régionale tripartite de dialogue social337 et un Plan d’action concernant les travailleurs migrants, mais le manque de moyens humains et budgétaires qui caractérise ces initiatives ne permet pas de conduire une politique commune efficace338.

La prise en compte insuffisante des aspects sociaux du transport routier est préjudiciable pour les travailleurs de ce secteur. Elle peut donner lieu à un développement non contrôlé du secteur informel qui correspond à toutes les activités économiques qui ne sont pas soumises à des règles contractuelles, à des autorisations, à une fiscalité, à une inspection du travail, ou ayant un caractère structuré. Ce n’est pas à l’intérieur d’un tel secteur que les règles de droit sont le mieux respectées, puisque l’informel échappe de droit ou de fait à la compétence de la réglementation. On en arrive à une application minimale du Code du travail, avec le non respect du salaire minimum, le travail des enfants, le dépassement des horaires légaux de travail. Dans le cas du transport, il peut être un important facteur de l’insécurité routière339.

L’expansion de ce secteur informel n’est pas non plus favorable aux agents économiques340. Elle réduit les ressources des Etats, et donc les dépenses publiques ; créée des distorsions au détriment des entreprises du secteur formel, en termes de prélèvements obligatoires ; dissuade la prise de risque par les investisseurs potentiels ; cantonne les populations dans des activités peu productives et non qualifiées. Par conséquent, elle est très préjudiciable pour l’économie régionale. L’absence d’une législation sociale, pour ce qui concerne le temps du travail est, à la fois pour la santé, la sécurité et la concurrence loyale sur le marché commun, une des limites de la politique de transport routier. C’est un facteur d’accroissement des accidents de circulation dont les coûts humains et économiques sont énormes.

La CEMAC se doit, par conséquent, de valoriser les règles sociales en incluant, par exemple, dans son droit le concept de statut des transporteurs341, et en rapprochant notamment de marché342. le régime des personnels343 qui interviennent dans le transport. Car, réaliser l’intégration normative sur le plan fiscal, douanier et technique, aux dépens du social ne nous semble pas se justifier. Enfin, il convient de se poser la question sur la pertinence même du choix de la technique d’harmonisation des droits pour conduire les politiques communes de transport routier.

Notes
320.

Directive n°1/99/CEMAC-028-CM-03 du 17 décembre 1999 portant harmonisation des législations des Etats membres en matière de taxe sur la valeur ajoutée (T.V.A.) et du droit d’accises (D.A.).

321.

Article 3 de la directive n°1/99/CEMAC-028-CM-03 portant harmonisation des législations des Etats membres en matière de taxe sur la valeur ajoutée (T.V.A.) et du droit d’accises (D.A.).

322.

L’Acte 2/92-UDEAC-556-CD-SE1 qui fixe les conditions d’application de l’article 241 du Code des douanes a été modifié par l’Acte n°28/94-UDEAC-556-CD-56 et par l’Acte n°18/96-UDEAC-556-CD-57.

323.

Conformément aux dispositions des articles 158 et suivant du Code des Douanes de la CEMAC.

324.

Article 8 de la directive n°1/99/CEMAC-028-CM-03 du 17 Décembre 1999.

325.

Article 4

326.

La liste de ces exemptions à la T.V.A. est dressée à l’article 6.

327.

Idem, article 13.

328.

La valeur imposable est définie par les articles 23 à 26 du Code des Douanes de la CEMAC.

329.

L’article 10 précise que les procédures d’assujettissement et les modalités particulières de perception de la T.V.A. pour les marchés sont fixées par chaque Etat membre.

330.

Ce taux zéro s’applique uniquement aux exportations ayant fait l’objet de déclaration visée par les services de douanes.

331.

A l’exception des importations des biens et marchandises réexpédiées en l’état.

332.

Articles 22 et 23.

333.

Exception faite des carburants achetés pour la revente par des importateurs ou grossistes, ou achetés pour la production d’électricité devant être revendue.

334.

Ceux comportant plus de 8 places assises et utilisés par les entreprises pour le transport exclusif de leur personnel, les immobilisations des entreprises de location de véhicules, les immobilisations des entreprises de transport public de personnes, les dépenses de transport des professionnels de tourisme pour leurs clients, les stocks de véhicules des concessionnaires et les véhicules des concessionnaires et les véhicules d’essai ou de démonstration (article 24 et 25).

335.

Articles 38 à 45 de la Directive n°1/99/CEMAC-028-CM-03 du 17 décembre 1999 portant harmonisation des législations des Etats membres en matière de taxe sur la valeur ajoutée et du droit d’accises.

336.

Toutefois, il faut signaler que la situation des personnes n’a pas été traitée.

337.

En vue d’assurer la paix sociale, il est mis en place un Comité Tripartite Sous-régional de Dialogue Social, organe consultatif qui devra aider le Comité Inter-Etats dans l’étude des dossiers sur les questions du travail. Il reste que des moyens tant matériels, humains que financiers manquent pour son fonctionnement. Cf. Rapport d’activités de la première étape du processus d’intégration économique de la CEMAC pour la période 1999-2004, 28 pages.

338.

Un accord-cadre de coopération a été signé entre la CEMAC et le BIT sur les questions relatives au dialogue social.

339.

Les accidents de circulation constituent un problème de santé sérieux pour la région. Outre les souffrances humaines non comptabilisées, leur coût économique est estimé pour les pays en développement à environ 2% du PNB. Cf. T. Assun, La sécurité routière en Afrique – évaluation des initiatives de sécurité routière dans cinq pays africains, document de travail SSATP n°33F, Février 1998, 46 pages.

340.

J.-P. de Sauvageot, « les publications des missions économiques » du 05 octobre 2003.

341.

A propos de ce concept de statut des transporteurs lire N. Maggi-Germain, « l’apport du concept de statut du personnel dans la construction juridique des réseaux transeuropéens », in G. Hénaf (sous la dir. de), Concurrence et services publics : enjeux et perspectives, Presses universitaires de Rennes, année 2002, pages 241 à 261.

342.

CJCE, 9 novembre 1983, Michelin, 322/81, Rec. 3461.

343.

Le dispositif réglementaire à mettre en place doit porter sur les conditions de travail et d’emploi englobant les règles de protection de la santé et de la sécurité au travail, de prévention des accidents, d’uniformisation et de protection des travailleurs du secteurs des transports routiers.