Section 2 La mobilisation des ressources publiques

La politique de financement des infrastructures routières envisagée par la CEMAC, pour assurer la construction de son réseau prioritaire et intégrateur correspond à la fin de la période d’embellie économique384 où s’est opérée partout en Afrique une très grande mutation du rôle joué par les Etats : jusqu’alors maître d’ouvrage qu’il exploitait directement, les Etats se sont progressivement désengagé de la gestion des ouvrages pour confier cette tâche aux privés385.

En effet, la construction des infrastructures entamée par les anciennes puissances coloniales a, en dehors de quelques exceptions notables, régulièrement marqué le pas à l’époque des indépendances. Les moyens, mais aussi les priorités et les objectifs poursuivis avaient changé, même si ces infrastructures demeuraient indispensables au développement des économies.

Vint ensuite une époque où, dans un certain nombre de pays d’Afrique, une embellie correspondant à celle des économies et à un appui marqué des aides bilatérales et multilatérales ont permis de relancer le marché de la construction des infrastructures. Les travaux furent l’apanage des Etats tant dans les choix de la conception, de l’implantation que du financement. Ce fut souvent de bons et de solides ouvrages dont les coûts de construction, d’exploitation et l’utilité réelle ne furent pas toujours la préoccupation des maîtres de ces ouvrages. Il faut reconnaître que ces infrastructures, qui ont englouties d’énormes moyens, n’ont malheureusement pas toujours été édifiées pour satisfaire aux besoins du plus grand nombre.

Durant ces périodes la répartition des rôles était la plupart du temps la suivante. Les Etats ou leurs émanations étaient maîtres d’ouvrage, régulièrement maîtres d’œuvre et clients. Les entreprises privées intervenaient essentiellement comme entrepreneurs de travaux, prestataires de services, fournisseurs de biens ou sous-traitants de ces entrepreneurs et prestataires. Peu de projets intégraient donc une obligation d’entretien et de maintenance à la charge des constructeurs et prestataires, et encore moins une garantie sur un domaine de performances attendues. Enfin, l’exploitation de ces ouvrages était assurée dans la plupart du temps par des démembrements de l’Etat ou des sociétés dont ce même Etat était l’actionnaire unique.

Sur le plan juridique, les rôles, les risques et responsabilités qui en découlaient étaient faciles à définir, et clairement identifiables. La durée des contrats dépassait rarement un à deux ans. Les garanties étaient des plus classiques, même si leur mise en œuvre s’avéra parfois difficile. Les droits applicables étaient ceux reçus en « héritage » du législateur français, mal connus, et les recours devant le juge sont venus s’ajouter aux incertitudes. La pratique de l’arbitrage était rare, et les dispositions y afférentes dans les contrats, sont restées lettres mortes. Les représentants des Etats étaient peu familiers de ses dispositions, et les litiges se réglaient souvent, après des manœuvres d’intimidation de part et d’autre et quelques interventions politiques, par des négociations plus ou moins âpres et satisfaisantes pour les deux parties. Les assureurs furent mis à contribution, pour une bonne part en couverture des « risques pays », lorsque les Etats africains ne furent plus en mesure d’honorer leurs engagements.

La fin de cette période d’embellie économique marqua, pour une dizaine d’années, la fin des grands chantiers de construction des infrastructures. Pire, les Etats ne trouvèrent souvent pas les moyens nécessaires à l’entretien et celles-ci connurent une dégradation très rapide. A l’issue de cette décennie, les infrastructures encore exploitées étaient souvent à « bout de souffle ». Elles nécessitaient, tout à la fois, réhabilitation, modernisation et extension. Entre-temps, les Etats, le plus fréquemment sous la pression des institutions de Bretton Wood, avaient été contraints de redéfinir leurs missions et leurs priorités. Ils étaient entrés dans le cycle des Plans d’ajustement structurels et s’engageaient dans des programmes ambitieux de privatisation. Cette époque constitue, pour une large part du marché des projets d’infrastructures, un tournant dans la distribution des rôles et responsabilités des acteurs de ce marché.

En effet, la réorientation des missions des Etats, concrétisée par des privatisations de certains secteurs et de services publics, les a conduits à revoir leurs rôles et leur implication dans la conception, la construction, le financement, l’exploitation et l’entretien des infrastructures. Corollairement au retrait du rôle occupé auparavant par les Etats, la recherche d’une plus grande implication des opérateurs privés a eu pour effet de modifier, tout à la fois, la nature, et la durée des contrats relatifs aux grands projets d’infrastructures. Concevoir, construire, financer, exploiter, assurer l’entretien et la maintenance sont autant des tâches pour lesquelles les entreprises sont de plus en plus sollicitées pour intervenir en lieu et place des Etats, soit dans le cadre d’une simple substitution, soit dans le cadre d’une délégation de service public.

Les Plans Sectoriels des Transports (PST)386 mis en place dans les années 90 dans la plupart des Etats, dont l’objectif est d’assurer une meilleure efficacité et un développement durable du secteur, correspondent à cette politique de modernisation des infrastructures. Les principaux axes d’action de ces Plans Sectoriels des Transports variaient peu d’un pays à l’autre. Après avoir mis en œuvre deux PST (1989-1993 et 1994-1998) la République du Tchad s’est dotée, avec le concours de la Communauté européenne (CE), d’une Stratégie Nationale des Transports pour la période 2006-2010387 avec pour objectifs le désenclavement intérieur et extérieur du pays ; la réduction des coûts de transport ; la conservation d’une accessibilité minimum à l’ensemble des régions du pays ; l’obtention d’un linéaire suffisant de routes praticables toute l’année et permettant de relier les principales villes du pays ; et enfin la poursuite du processus de libéralisation du secteur et de la modernisation de l’administration.

Au Cameroun, la période 1996-2003 a été marquée par la mise en œuvre du PST1 qui a été clôturé en 2003. En l’absence d’une nouvelle stratégie des Transports, le Gouvernement avec l’appui de la CE a élaboré un Mémorandum of Understanding (MoU) sur le secteur routier en février 2004 qui fut révisé en 2005388. Les objectifs prioritaires du Gouvernement portent sur les domaines suivants : le financement du Fonds routier ; les mesures de protection du patrimoine routier ; les réformes institutionnelles ; l’amélioration de la qualité des travaux et des prestations dans le secteur routier ; la préparation du PST2. Le Cameroun, avec le concours de la CE, a préparé un Plan directeur routier389 et a élaboré une Stratégie du Secteur du Bâtiment et des Travaux Publics390 qui comporte un volet important sur les infrastructures routières.

Le Gouvernement de la République Centrafricaine (RCA) a lancé le programme sectoriel des transports en janvier 2000 qui a été concrétisé par la Déclaration de politique générale dans ce secteur. Les objectifs globaux de ce programme sont les suivants : garantir le potentiel de développement économique ; réduire la pauvreté ; développer l’esprit d’entreprise. Leurs objectifs spécifiques sont : l’utilisation de tous les modes de transport ; l’entretien d’un réseau primaire de transport ; la promotion de tous les modes de transport ; la promotion du secteur privé ; et enfin l’adaptation du secteur public à ses fonctions fondamentales. La mise en œuvre de cette politique repose sur trois programmes d’action majeurs: le premier concerne l’investissement dans les infrastructures de transport et a fait l’objet du second Programme Sectoriel des Transports 2000-2006 (PST2); le second concerne l’exploitation des transports et comprend la poursuite de la libéralisation du secteur ainsi que la facilitation du transit international ; le troisième concerne le renforcement institutionnel391 .

L’ordre des priorités de ces Plans varie peu d’un pays à l’autre. C’est ce qui a permis à la CEMAC de rechercher la convergence des actions à mener dans le domaine du financement de son réseau routier intégrateur à travers la mobilisation des capitaux externes (§1) et internes (§2).

Notes
384.

Cette période correspond au milieu des années 80.

385.

D. Tapin et F. Yala, Les projets d’infrastructures en Afrique : évolution et sécurisation des contrats, in Accomex, novembre/décembre 2001, n° 42, 7 pages

386.

Ces Plans Sectoriels des Transports étaient élaborés sous l’égide de la Banque mondiale et des autres bailleurs de fonds.

387.

République du Tchad, « Stratégie Nationale des Transports 2006-2010 », décembre 2005.

388.

République du Cameroun, « Mémorandum of Understanding sur la réforme et le financement du sous-secteur routier au Cameroun », version mars 2006.

389.

Coopération Cameroun - Union Européenne, « Plan Directeur Routier du Cameroun », Progetti, Février 2006.

390.

Ministère des Travaux Publics, « Stratégie du secteur du Bâtiment et des Travaux Publics », version de mars 2006.

391.

En matière d’investissements dans les infrastructures de transport, la réhabilitation du corridor routier Bangui-Douala est la première priorité de la RCA, suivie de celle du corridor RCA-Tchad et l’amélioration des activités de transport fluvial.