1/ Les Fonds européens de développement

L’intégration régionale est l’un des axes essentiels de la politique de coopération que mène la Communauté européenne avec les pays tiers. Le soutien de la Communauté à cette politique remonte à la convention signée à Yaoundé en 1969 qui donne la possibilité aux organisations régionales concernées de bénéficier de l’aide de la Communauté. Dans l’Accord de Cotonou393 qui a été signé le 23 juin 2000 les objectifs assignés à la coopération sont mentionnés. C’est ainsi qu’à son article 28, cet accord indique notamment que « la coopération contribue efficacement à la réalisation des objectifs et priorités fixés par les Etats ACP dans le cadre de la coopération et de l’intégration régionale et sous-régionale ». Le but que poursuit la coopération de la CE avec les pays tiers est d’encourager l’intégration progressive des Etats ACP dans l’économie mondiale ; d’accélérer la coopération et le développement économique, tant à l’intérieur qu’entre les régions des Etats ACP ; à promouvoir la libre circulation des populations, des biens, des services, des capitaux, de la main-d’œuvre et de la technologie entre les pays ACP ; à accélérer la diversification des économies des Etats ACP et l’harmonisation des politiques régionales et sous-régionales de coopération, et, enfin, à promouvoir et développer le commerce inter et intra-ACP avec les pays tiers.

De plus, l’article 35 dispose que « la coopération économique et commerciale se fonde sur les initiatives d’intégration régionale des Etats ACP, considérant que l’intégration est un instrument clé de leur intégration dans l’économie mondiale ». Cette coopération s’appuie d’une part sur le « Consensus européen » qui préconise la croissance économique et le développement du commerce comme facteurs de développement durable, d’autre part, sur la « Stratégie pour l’Afrique » de la CE qui soutient un pacte euro-africain pour accélérer le développement de l’Afrique à travers le renforcement du soutien dans les domaines prioritaires.

Dans le cadre du 8ème Fonds européen de développement (FED), d’un montant de 91 millions d’euros, la coopération régionale en Afrique centrale a visé l’appui à l’intégration économique régionale à travers une concentration sur les actions de mise en place des infrastructures de transport et d’appui à la CEMAC. Ainsi, on ne relevait pas de distinction précise entre les objectifs spécifiques de l’intégration économique d’une part, d’autre part le secteur des transports qui était considéré comme le secteur fondamental pour l’intégration économique.

Dans le 9ème FED, l’intégration se concentre, tout en incluant un programme de facilitation des transports (FASTRAC), sur la création d’un marché intérieur. Une attention plus soutenue est accordée aux aspects institutionnels et notamment au rôle des organisations régionales dans la mise en œuvre de la stratégie. C’est aussi la première fois que les organisations régionales ont été associées à la préparation du Programme indicatif régional (PIR) dans le cadre de l’Accord de partenariat de Cotonou et ont été reconnu responsable de sa mise en œuvre.

Le programme actuel d’intégration économique s’engage dans une voie différente de celle qui consistait à promouvoir l’intégration physique des pays africains avant de parler d’intégration des marchés. Il vise le renforcement de l’intégration des marchés et des institutionset la contribution à la prévention des conflits et au dialogue politique dans la région. Ces deux programmes indicatifs régionaux (PIR) complétés par des programmes nationaux (PIN) permettent à la CE d’appuyer la construction des infrastructures routières de la CEMAC.

Dans les PIR, l’objectif poursuivi par la coopération régionale est principalement la constitution d’un réseau routier régional, reliant Bangui au port de Douala et Ndjaména au port de Douala. Dans les PIN, les interventions de la CE394 concernent principalement le sous-secteur routier : construction et réhabilitation des routes principales (mais aussi des routes rurales), appui institutionnel et à l’entretien routier aux administrations de transport. Ces deux instruments devraient être complémentaires dès la conception des programmes de coopération. Mais la complémentarité des PIN et des PIR n’était pas réalisée lors de leur conception.

La stratégie de la CE, en matière d’entretien routier est que chaque pays assure lui-même l’entretien des tronçons routiers régionaux situés sur son territoire. Cette politique est pertinente car sur la plupart des axes d’intérêt régional, le trafic national restera sans doute majoritaire. Si chaque pays dispose d’un système de gestion de l’entretien routier efficace, s’il s’assure lui-même correctement l’entretien des tronçons régionaux situés sur son territoire, il n’y a aucune raison d’imaginer un système régional ou supranational pour la gestion du réseau régional. Les projets régionaux réalisés ou en cours, dans le cadre de ces programmes, sont les suivants395 :

  • La construction de la route Ngaoundéré-Touboro-Moundou (250 km) qui a été inaugurée en juillet 2000. C’est le premier grand projet d’infrastructures financé par la Communauté européenne en Afrique centrale.
  • L’achèvement de la route Ngaoundéré-Touboro-Moundou (435km), deuxième grand projet routier régional met le terminal ferroviaire de Ngaoundéré (Cameroun) à seulement 393 km de la ville de Moundou au Tchad.
  • La réalisation des études de faisabilité pour la route Garoua Boulaï-Meiganga-Ngaoundéré (270km) et pour la route Bouar-Garoua Boulaï (159 km). Elles permettent de disposer d’un portefeuille de projets prêts à être financés.

En dehors des nouvelles routes construites ou en cours, il faut noter la construction de deux ponts sur le Ntem (terminée en 2005), en réponse au problème de franchissement du fleuve Ntem. Un obstacle physique majeur à la libre circulation des marchandises et des personnes a ainsi été levé dans cette zone des trois frontières (Cameroun, Gabon et Guinée Equatoriale).

La construction de ces ponts est complétée par l’aménagement de la route Biyi Elba-Meyo Kye (18,5 km) en route revêtue entre le Gabon et le Cameroun sur financement de la BAD. Ainsi, la CE contribue activement à la construction de nouvelles routes (soit 685 km) et des ponts.

L’évaluation a posteriori de la route Bertoua – Garoua Boulaï (BGB) qui a été terminée en 2001, à partir des critères relatifs au désenclavement du Tchad et de la RCA, des effets socio-économiques des aménagements routiers ; des prix et délais de transport ; de la comparaison entre trafics prévus et trafics réalisés ; des coûts et délais de transports, montre ce qui suit396.

L’aménagement des routes Bertoua – Garoua Boulai et Ngaoundéré – Touboro- Moundou contribue au désenclavement du Tchad, de la RCA ainsi que des régions nord du Cameroun.

La liaison Ngaoundéré- Touboro – Moundou permet de raccourcir le trajet entre Moundou, au sud de la République du Tchad, et le terminal ferroviaire de Ngaoundéré au Cameroun de 340 km.

Du point de vue socio-économique, les projets réalisés ont d’abord visé l’intégration des pays de la sous-région397. Mais, ils ont aussi permis d’améliorer la situation des populations vivant dans les zones rurales qui ont pu profiter de leurs effets indirects, notamment en matière de création d’emplois. Les aménagements des routes Bertoua - Garoua Boulaï et Ngaoundéré-Touboro-Moundou ont ainsi été bénéfiques pour les populations riveraines398, en matière d’accès aux centres de santé, aux établissements scolaires, aux points d’eau ; à la création de nouvelles activités économiques399comme les compagnies de transport400. Le temps de transport sur ces trajets a aussi été réduit de moitié, soit trois heures contre six heures auparavant. Au niveau des usagers, le coût d’exploitation des véhicules au kilomètre sur la route réhabilitée a diminué par rapport à celui sur route en terre. Un autre impact positif concerne la baisse du prix du transport des voyageurs passé de 4500 à 3500 FCFA.

Il faut toutefois relever que en dépit des efforts financiers consentis en vue d’intégrer physiquement la CEMAC par la construction d’un réseau routier qui relie les principales villes de la sous-région, il y a encore des problèmes récurrents qui peuvent handicaper ces politiques. Au nombre de ceux-ci, la faible emprise de la CEMAC sur ses propres projets, et notamment la manière dont la Communauté européenne conçoit ce partenariat qui soulève des interrogations.

Dans le cadre du 9ème FED, les projets routiers mis en place ont une pertinence reconnue par les Etats401. Pourtant, lors de la revue à mi-parcours de ce programme, la Communauté européenne a décidé de façon unilatérale d’abandonner certains projets. Ainsi, la route Bouar-Garoua Boulaï (155 km) qui constitue un tronçon important de l’axe principal de désenclavement routier Bangui-Douala et de la future route transafricaine Monbassa-Lagos, et qui est la première priorité de la politique des transports de la RCA, n’a pu être aménagée402.

Cette décision unilatérale de la Communauté européenne, qui a suscitée une forte désapprobation de l’ensemble de la sous-région, soulève des interrogations de fonds. Comment les Etats membres de la CEMAC peuvent-ils utiliser à bon escient les relations partenariales pour se développer, tout en ayant la maîtrise de leur destinée ?.Comment les programmes doivent-ils être conçus pour répondre aux besoins profonds des pays bénéficiaires ?

Ces programmes sont pluriannuels et indicatifs. En règle générale, ils sont négociés avec les pays ou la région ACP bénéficiaires, mais la complexité de la bureaucratie des institutions de la CE met en évidence leurs lacunes en matière de gestion des projets (retards, problèmes de réorganisation, procédures qui ne sont pas univoques, contrôles financiers tatillons).

En effet, la coordination interne de la CE n’est pas aisée en raison du nombre limité des personnes ressources au sein de la Commission et des Délégations qui s’occupent des programmes régionaux. Les projets mis en place dans le cadre de l’intégration régionale sont de la responsabilité de la Délégation de Bangui dont la section a en charge cette activité. Au niveau du siège à Bruxelles (EuropeAid, DG Trade, et DG Dev) existent des personnes spécialistes sectorielles qui sont chargées de suivre également les programmes régionaux sectoriels.

Il a été relevé les lacunes dans ce dispositif du fait de la complexité des procédures, des visions parfois divergentes des thématiques, et de la centralisation du travail à Bruxelles. Les circuits des documents de décision au sein de EuropeAid, de la DG DEV et du cabinet du Commissaire illustrent la complexité du fonctionnement de ces services centraux de la CE. La coordination entre les directions n’est pas optimale et visible ; les approches ne vont pas toujours vers la même direction, de même qu’il y a un changement fréquent d’interlocuteurs. Les Délégations manquent de visibilité sur les projets gérés à Bruxelles, et le suivi des APE par les Délégations de la CE dans les Etats membres n’est pas aisé car tout est piloté par Bruxelles403.

Toutefois, les services de la coopération extérieure de la CE ont connu ces dernières années d’importantes réformes. La séparation des fonctions de conception et de mise en œuvre d’une part, et la déconcentration de la gestion de la mise en œuvre du siège de la CE vers les Délégations afin de rapprocher les instances de décision des réalités du terrain visent à améliorer l’efficacité et l’efficience de l’aide. Le rôle des Délégations dans la gestion financière et le traitement des dossiers a ainsi significativement augmenté. On note aussi une augmentation récente du personnel technique (infrastructures et transport) tant à la Délégation de Bangui que de Yaoundé. Cette augmentation du personnel technique devra être poursuivie afin de réduire les délais de traitement des dossiers et d’améliorer le suivi de la mise en œuvre des projets.

Le renforcement des capacités des Délégations doit aller de pair avec celui de la Commission de la CEMAC qui ne dispose que de deux personnes qui travaillaient sur le transport et l’infrastructure ; Cela est faible pour la mise en œuvre efficace des programmes régionaux.

En outre, il semble que les mesures récentes qui découlent de la réunion régionale tenue à Douala au Cameroun, le mois d’avril 2006, entre les représentants des délégations sur les Infrastructures et transports, ont eu un impact positif sur l’exécution des projets financés par la CE. Les résolutions prises au cours de cette réunion dans le sens d’une coordination interne efficace de la Communauté européenne ; de la mise à la disposition des délégations des documents, des guides et outils pratiques comme des modèles de Termes de Référence ou d’indicateurs de suivi des projets ; de la mise en circulation des exemples de bonnes pratiques dans le secteur des transports ; d’intensification des échanges entre les spécialistes infrastructures et transports des délégations et ceux de Bruxelles (forums d’échanges électroniques, e.mail, missions de courtes durées et organisation des séminaires régionaux entre les spécialistes infrastructures des délégations) sont des mesures qui, si elles sont bien appliquées, apporteront un plus dans la réalisation des projets d’infrastructures routières dans la CEMAC.

Il faut toutefois relever, pour le déplorer, que presque tous les projets/programmes de transport la CE en Afrique centrale ont bénéficié d’expertises externes, tant au niveau de la conception, des études de faisabilité que de la mise en œuvre des interventions. L’assistance technique de la CE dans le secteur des transports a pris plusieurs formes dont les principales sont :

  • l’appui à la mise en œuvre des projets routiers du Programme Indicatif Régional avec la création de la « Cellule Infrastructures de Transport » puis du « Dispositif pour le Développement du Transport Régional (DDTR) » ;
  • l’appui à l’entretien routier : mise en place des fonds d’entretien routier, financement de l’entretien routier, renforcement des capacités, et notamment celles du secteur privé dans l’entretien routier ;
  • l’appui aux Cellules de coordination des ordonnateurs nationaux et régionaux ;
  • l’appui de nombreux bureaux d’études et de consultants individuels (monitorings, audits et évaluation).

Il est vrai que lorsque l’assistance technique est mobilisée dans les délais, elle peut constituer un facteur de succès pour la réalisation des projets. Mais, elle peut aussi compromettre le processus d’appropriation de ces projets par ses bénéficiaires. De plus, l’utilisation intensive de l’assistance technique par la CE a souvent présenté d’autres difficultés : les procédures de recrutement des experts de la CE sont très longues et complexes dès que l’importance de l’intervention nécessite le recours à un appel d’offre international404. Par ailleurs, les montants prévus dans les conventions de financements ont été souvent dépassés.

En définitive, la CE qui assure le leadership en matière de transports405 doit encore affiner ses méthodes de coopération pour responsabiliser davantage ses partenaires en matière de conduite des politiques, en tenant compte de l’étroitesse des espaces économiques nationaux et régionaux qui rend difficile la rentabilisation des investissements, de l’inégale répartition de la population qui pose le problème de l’entretien des infrastructures, et du mauvais état des interconnexions régionales qui impose des coûts de transport élevés (ce qui est un sérieux handicap à la compétitivité des économies). Le Plan d’action de la Banque mondiale répond à ces préoccupations, en mettant l’accent sur la problématique de la bonne gouvernance.

Notes
393.

L’accord signé le 23 juin 2000 couvre une durée de vingt ans, avec une clause de révision tous les cinq ans et un protocole financier pour chaque période de cinq ans.

394.

Pour la période 1996-2006, le montant total décidé dans le cadre des PIN pour le secteur des transports s’élève à 276 millions d’euros et 258 millions d’euros pour le seul secteur routier, soit 25% du total des montants décidés pour la période.

395.

Voir en annexe 8 le plan relatif à ces projets routiers régionaux.

396.

Aménagement de la route Bertoua-Garoua Boulaï – Evaluation a posteriori – Rapport final établi par LuxConsult, Juin 2004.

397.

La proportion de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté (646 FCFA/jour) est de 40% en milieu rural contre 18% en milieu urbain (source : enquête ECAM de 2001).

398.

La réalisation des travaux routiers Ngaoundéré-Touboro-Moundou a eu des effets directs positifs pour les villages situés le long de la route : l’emploi du personnel camerounais et tchadien pour l’exécution des travaux ; les propriétaires trouvent des locateurs ; des maisons sont construites ou louées ; le commerce augmente ; des nouveaux champs de cotons apparaissent le long du tracé. Par contre, la présence des malfaiteurs et les problèmes de sécurité dans la zone du chantier sont, entre autres, les impacts négatifs de la réalisation du projet.

399.

Création d’un dépôt de ciment à Garoua Boulaï ; installation de la téléphonie mobile ; projet d’extraction de l’Or, etc.

400.

Les commerces ont été créés aux abords de la route. Le nombre de taxis et des minibus ont augmenté procurant ainsi des emplois à des chauffeurs.

401.

Il s’agit d’établir un réseau de transport de surface prioritaire et bien entretenu par les Etats.

402.

Cet abandon a suscité une forte désapprobation de la région Afrique centrale.

403.

C. ASBL-GRET, « Evaluation de la coopération de la Communauté européenne en matière d’appui institutionnel aux ordonnateurs nationaux et régionaux du Fonds Européens de développement », Rapport final, Juin 2002.

404.

Par exemple, les assistants techniques du DDTR ont été mis en place avec trois ans de retard.

405.

Le programme indicatif régionalprévoit 35 à 40% des ressources pour le développement des transports et télécommunications.