2/ Le Plan d’action de la Banque mondiale

Le Plan d’action pour l’infrastructure détermine le cadre du partenariat entre la Banque mondiale et l’Afrique en matière de financement des infrastructures406. Ce Plan est, en effet, fondé sur l’idée selon laquelle l’intégration régionale peut contribuer fortement à la réduction de la pauvreté, en renforçant les liens entre les pays enclavés, plus pauvres, et leurs voisins côtiers plus prospères ; et en établissant les bases d’une croissance économique et rapide. Dans ce cadre, la Banque a mis en place un programme d’assistance pour soutenir la CEMAC dans les domaines de l’intégration et de la coopération régionale, avec deux degrés d’implication : actions centrales où elle prévoit d’avoir un rôle de chef de file, et les actions non centrales où elle prévoit de s’associer aux autres partenaires de développement devant être le leader407.

Les infrastructures entrent dans les actions centrales de la Banque qui prévoit un financement IDA de 100 millions d’USD pour un projet d’investissement routier qui permettra de compléter le réseau régional de transports terrestres. Il s’agit d’apporter les réponses à l’intégration, en résolvant la question de la médiocrité des infrastructures de transport, la faiblesse des échanges commerciaux, ou le peu de complémentarité économique entre les Etats.

Les infrastructures sont un domaine qui offre de vastes possibilités de coopération régionale. Aussi, la Banque entend-t-elle centrer son assistance sur le transport régional, mais elle ne la dissocie pas du transport national. Depuis 1998 elle a, dans ce cadre, mis en place un crédit d’ajustement structurel au Cameroun pour améliorer le fonctionnement du port de Douala. Un « guichet unique » où sont effectuées toutes les procédures portuaires est ainsi institué. Toutefois, le secteur connaît encore des problèmes comme les barrages qui handicapent le fonctionnement des échanges et de la chaîne logistique du transport. Ils entraînent des coûts de transaction élevés pour les acteurs économiques des pays enclavés. C’est pourquoi, la Banque entend poursuivre son assistance pour faciliter leurs échanges et développer les infrastructures408.

Le projet de facilitation des échanges prévoit d’établir un inventaire des pratiques anormales, de moderniser les opérations douanières et portuaires liées au transit des marchandises; d’examiner les systèmes utilisés pour garantir le paiement des droits par les importateurs; d’évaluer les systèmes d’entretien des routes de revoir les règlementations relatives à la charge par essieu; de faire des études sur la possibilité d’instituer les postes de contrôle frontaliers côte à côte; et de favoriser la publication et la vulgarisation du Code de la route régional.

En matière d’infrastructures, la Banque prend en compte la coopération entre la CEMAC et la CE qui a permis de construire partiellement le réseau routier régional. Elle se propose, par ailleurs, de revoir la faisabilité économique de ce programme, pour déterminer les investissements appropriés, en cohérence avec ses programmes nationaux409 . Mais, suivant quelle légitimité, et comment la Banque mondiale s’implique dans les affaires internes aux Etats ?

Ce Plan met en lumière la stratégie de coopération de la Banque pour le financement des infrastructures. Elle y réaffirme son engagement à répondre à l’augmentation de la demande d’infrastructures de ses pays clients. Dans ce cadre, elle entend jouer son rôle de catalyseur, en proposant à ses partenaires une approche pragmatique fondée sur des critères objectifs d’efficience, de qualité et de tarification pour améliorer la fourniture de services d’infrastructures. A cet égard, une initiative de collecte des données sur les pays a été lancée pour approfondir l’état de connaissance des différents aspects de l’organisation des services d’infrastructures, améliorer les instruments de mesure pour mieux comprendre le rôle de l’infrastructure au développement économique, identifier les besoins d’investissement prioritaires et mesurer l’impact de l’infrastructure et ses résultats. Le modèle « Évolution économique récente dans le secteur de l’infrastructure » a été élaboré pour renforcer ces analyses410.

La Banque a aussi entrepris d’élaborer une série d’indicateurs de base pour le secteur de l’infrastructure pour améliorer la qualité des diagnostics et mieux mesurer et gérer les résultats. Ces indicateurs visent à disposer d’indicateurs pour montrer l’impact des interventions dans le secteur et suivre les progrès réalisés. Elle entend, de ce fait, renforcer les capacités techniques des pays dans la collecte et l’utilisation des données relatives à l’infrastructure.

Par ailleurs, la stratégie de la Banque vise à aider les pays membres à accroître le montant des capitaux privés par unité de ressources publiques. Elle considère que la participation des privés et des collectivités territoriales est la condition nécessaire pour l’efficacité des interventions en matière d’infrastructure. Cependant, la faible solvabilité et la mauvaise gouvernance qui caractérisent beaucoup d’entités sont des obstacles majeurs à l’octroi des prêts, en l’absence d’un soutien de l’administration centrale. C’est pourquoi, la Banque a élaboré les instruments d’atténuation des risques qui donnent des indices d’une bonne politique à mener afin de donner confiance aux privés. Elle agit également pour encourager la participation des collectivités locales aux projets d’infrastructures. Ainsi, ont été adoptées des approches novatrices qui subordonnent les investissements d’infrastructure dans les Etats/régions et aux municipalités aux preuves des réformes engagées pour renforcer ces institutions.

En outre, elle travaille à la mise au point d’un mécanisme qui permettrait d’accroître le nombre des collectivités territoriales qui peuvent avoir accès aux marchés financiers privés, sans l’appui de l’administration centrale. La mise en place de ce mécanisme a pour but d’aider les administrations locales dans les pays partenaires à mener des réformes économiques, à renforcer leurs capacités et à obtenir l’autonomie budgétaire. D’autres instruments d’atténuation des risques sont envisagés dans les domaines du risque réglementaire pour soutenir les transactions liées aux privatisations et l’élaboration de titres d’emprunts en monnaie locale.

La Banque mondiale explore aussi les approchés fondées sur l’utilisation de l’aide basée sur les résultats (ABR), afin d’améliorer l’organisation des services dans les pays emprunteurs, en attirant des partenariats publics/privés régis par des contrats programmes. A ce titre, un intérêt croissant est porté au développement des opérations d’appui de la Banque au niveau régional, afin de compléter le soutien qu’elle apporte traditionnellement au niveau des pays.

Ces mesures signifient que, désormais, l’octroi des prêts est conditionné à la viabilité économique des projets pour lesquels les financements sont recherchés. Les pays emprunteurs qui donnent de sérieuses garanties de les observer seront les mieux éligibles aux programmes d’aide de développement. Cette position est-elle critiquable, comme le fait cette doctrine411 qui s’insurge de l’implication de la Banque dans la gestion des affaires intérieures des pays pauvres ?

Pour nous, les principes de souveraineté et de non ingérence, comme principes de droit international ont une portée limitée dans le contexte actuel où l’accès aux ressources est difficile. Si l’engagement de ces institutions internationales dans les affaires intérieures des pays emprunteurs met en cause les principes du droit international de souveraineté ou de non ingérence412, il paraît en adéquation avec leur statut. Car, ce qui de la part d’une organisation internationale est une intervention licite ou illicite dépend des fonctions, ou de l’objet de son activité.

En effet, la Banque mondiale participe aux décisions internes des pays bénéficiaires comme analyste économique, conseiller, créancier et organe de contrôle. Elle est aujourd’hui plus que jamais engagée dans un processus qui devrait aider les Etats à gérer efficacement les ressources mises à leur disposition, en vertu de son double statut d’entreprise d’affaires (fonction de banque) et d’organisme public international (fonction d’institution de développement)413.

La Banque exerce ses fonctions de conseiller à l’occasion de prêts: assistance pour identifier les projets, avant l’ouverture des négociations au sujet d’une demande de prêt, ou au cours, et par le moyen des pourparlers afférents à la conclusion d’un prêt; assistance pendant ou après l’exécution des projets, par exemple sous forme de conseils aux sociétés financières de développement et aux projets de planification familiale. La Banque se charge aussi d’enquêtes et d’études sectorielles de pré investissement, soit pour son propre compte, soit comme représentant du Programme des Nations Unies pour le Développement. Enfin les représentants résidents de la Banque dans les régions sont chargés non seulement d’assurer la surveillance des projets financés par le Groupe, mais d’aider et de conseiller les pays emprunteurs.

Les conseils au développement ne sont pas seulement dispensés qu’à l’occasion des prêts. Dès les premières années de son activité elle a envoyé des missions spéciales pour faire une étude et présenter un rapport sur la situation et les perspectives de développement des Etats membres en matière économique. Elle élabore des rapports annuels, en général confidentiels, sur l’économie des pays emprunteurs. De même, son personnel de recherche économique élabore et publie un grand nombre d’études. La Banque dispense, en outre, une formation à grande échelle à des fonctionnaires et à des ressortissants des pays en développement.

Les activités de la Banque mondiale, comme conseiller du développement, revêtent des formes diverses. Au début, il a semblé nécessaire de lui confier ce rôle parce que trop peu de projets étaient mis au point d’une façon conforme à ses vues et à ses méthodes. Avec le temps, le rôle de conseiller du développement est devenu une fonction autonome, sans cesser pour autant de se rattacher étroitement aux prêts. Les conseils que donne la Banque peuvent tirer argument de la promesse expresse ou tacite, d’un prêt ou d’un crédit et là réside l’une des raisons de leur efficacité. D’autre part, la Banque exerce simultanément deux fonctions distinctes: prêter et conseiller; cela ne peut manquer d’influer sur l’exercice de l’une et de l’autre. Certes, la Banque insiste sur l’ensemble harmonieux que forment ses deux rôles. Pour autant on imagine sans peine des situations dans lesquelles le conseiller du développement se doit de donner des avis qui s’écartent de la politique, et de l’attitude d’une institution de prêt. S’il est vrai que la Banque a su s’affranchir de plus en plus des contraintes des idées reçues de la communauté financière, elle n’en reste pas moins une banque et ses conceptions portent forcément la marque de ce caractère. Par conséquent, il appartient à la région de ne pas se cacher derrière les considérations de souveraineté politique qui ne contribuent qu’à desservir la région, lorsqu’il s’agit de mobiliser les capitaux pour le développement des infrastructures. Les projets présentés dans le cadre du Fonds spécial multi donateurs semblent le prendre en compte.

Notes
406.

La Banque mondiale a accru de manière significative son financement des infrastructures en Afrique subsaharienne qui est passé de 600 millions de dollars en l’an 2000 à environ 1,7 milliards de dollars en nouveaux engagements en 2006, avec une augmentation projetée à 2,4 milliards de dollars en nouveau prêts pour l’exercice 2008 (la fin de la période de l’IDA-14). Cf. http://www.icafrica.org/fr/membres/organismes-multilateraux/worldb… imprimé le 27/04/2008.

407.

FMI, Union européenne, France, et BAD

408.

Mémorandum du Président de l’Association internationale de développement aux administrateurs sur une stratégie d’assistance à l’intégration régionale pour l’Afrique centrale, document n°25328-AFR, 10 janvier 2003, 66 pages.

409.

Un montant de 100 millions d’USD est prévu pour 2007.

410.

Les diagnostics effectués à l’aide de ce modèle devra présenter un instantané de l’état des services et des institutions du secteur de l’infrastructure dans un pays et les besoins d’investissement qui en découlent, ainsi qu’une analyse des questions de fond qui se pose dans le secteur. L’approche méthodologique des modèles REDI devra être intégrée dans les autres analyses de la Banque, telles que les examens des dépenses publiques.

411.

A. Peters, « Le droit d’ingérence et le devoir d’ingérence - vers une responsabilité de protéger », in Revue de droit international et de droit comparé, Bruxelles, éditions Établissements Émile Bruylant, Année 2002, pages 291 à 308.

412.

C. Cordier, Devoir d’ingérence et souveraineté nationale, Paris, édition L’harmattan, année 2005, 83 pages.

413.

A.A. Fatourous, « Le rôle de la Banque mondiale dans le droit international », in Journal du Droit international, Paris, Éditions Techniques S.A., n°3, Juillet Août Septembre, Année 1977, pages 590 à 591..