2/ La taxe communautaire d’intégration

C’est une taxe d’affectation spéciale instituée436 aux fins du financement du processus d’intégration de la CEMAC. Elle s’applique aux importations mises à la consommation en provenance des pays tiers. Liquidé sur la valeur en douane, son taux est fixé à 1%. Les ressources dégagées sont destinées à couvrir les dépenses de fonctionnement, à financer les compensations, et à constituer des dotations au Fonds de Développement de la Communauté (FODEC)437 .

Les compensations des moins values budgétaires générées par l’application du tarif préférentiel généralisé TPG sont supposées prises en charge par le Guichet II du Fonds de Développement de la Communauté FODEC. Ledit fonds est institué par l’article 77 de la Convention régissant l’Union économique de l’Afrique centrale (CEMAC) afin « de promouvoir le développement harmonieux de tous les Etats membres, …et pour surmonter les handicaps à l’intégration économique et sociale que constituent l’enclavement et l’insularité… ». Le guichet compensatoire a été inclus dans le champ d’application du Fonds en application de l’article 15 de la Convention UEAC qui stipule notamment que « le Conseil des Ministres tient compte des effets que le démantèlement des protections douanières pourrait avoir sur l’économie de certains Etats membres, et prend en tant que de besoin les mesures appropriées ». Le budget annuel du FODEC correspond ainsi à la totalité des moins values qui sont enregistrées par tous les Etats membres. Ledit budget est alimenté par les contributions des Etats membres, calculées au prorata de la part de chacun d’eux dans le commerce intra-communautaire de l’exercice de référence. Les ressources du Fonds reçoivent 40% des ressources pour les compensations438 et 60% des ressources pour les projets intégrateurs439.

L’institution de cette taxe devait améliorer le financement des institutions. Or, le reversement partiel et souvent tardif par les Etats de leurs contributions ne cesse de limiter son impact. Il traduit la réticence des Etats à s’engager pleinement dans ce processus d’intégration440.

En effet, des manquements ont été identifiés dans le fonctionnement de la TCI. Il s’agit du refus, par les Etats, de prélever séparément la TCI du cordon douanier, le refus de reverser les prélèvements effectués, le refus d’autoriser le débit automatique du produit de la TCI, et enfin la distraction d’une partie de la taxe collectée. Au niveau du Secrétariat exécutif, les états comptables sont inexacts sur la TCI collectée suivant les principes d’accord parties, lesquels devraient être fondés sur la règle de prorata du poids des budgets de chaque institution441.

L’adoption de la TCI traduisait l’ambition des Etats de disposer d’un mode de financement suffisant et pérenne. Environ 30% des ressources devaient assurer le fonctionnement des institutions, et 70% financer les compensations de pertes de recettes et les projets intégrateurs, autrement la solidarité et le développement. Or, les ressources recouvrées n’ont permis de ne couvrir que les dépenses de fonctionnement. La partie des ressources qui devait permettre d’abonder le Fonds de développement de la Communauté n’est pas mise de côté. Il en résulte qu’aucun projet intégrateur n’a démarré à ce jour. Et, les Etats membres qui estiment avoir subi des pertes de recettes fiscales dues à la mise en place de la Taxe Préférentielle Généralisée à taux zéro ne reçoivent pas les compensations attendues. C’est donc une situation qui remet en cause le principe de solidarité sous-jacent à l’intégration régionale.

Les graves dysfonctionnements du mécanisme de la TCI remettent en cause la raison d’être de la CEMAC, le seul financement des institutions ne pouvant être une finalité. En réalité, même le bon fonctionnement des institutions de la CEMAC a été pénalisé par le versement tardif des contributions des Etats442. Ainsi, verser sa contribution en retard est la règle. Et, les régularisations ne se font souvent qu’à la veille des Sommets pour éviter des sanctions443.

Le Secrétariat Exécutif de la CEMAC a été amené à effectuer des versements au fur et a mesure des contributions des Etats membres, avec des ressources inférieures aux besoins de trésorerie des institutions communes. II est, par conséquent, obligé d’affecter des arbitrages au quotidien sur les actions à maintenir et celles qu’il faut décaler ; ce qui rend difficile la mise en œuvre cohérente du plan d’activité et du budget communautaire, ainsi que les politiques communes. Ces manquements ne sont pas de nature à conforter ce processus d’intégration. Si, dans toutes les Communautés d’intégration, ce sont les pays les plus riches qui contribuent le plus au niveau financier au bénéfice des pays moins dotés, il faut dire qu’en réalité, les gains sont partagés. Les grands pays, avec une économie diversifiée, exportent vers le marché communautaire sans droits de douane, en vertu des principes de l’union douanière. Cela entraîne les pertes de recettes douanières pour les pays dont le tissu industriel n’est pas très large.

En contrepartie de ces pertes, les processus d’intégration prévoient, pour une période transitoire, le transfert des ressources sous la forme de compensations, et de financer les projets intégrateurs dans les pays les moins développés. A terme, les pays les moins développés augmentent leurs capacités à la faveur des aides communautaires et peuvent devenir de plus gros contributeurs. Ainsi s’exprime la solidarité entre pays riches et moins riches au sein d’une même zone. Les plus forts d’un moment tirent les autres vers le haut. Le poids et la taille du Cameroun l’imposent comme le premier contributeur de la CEMAC, le poids de son secteur privé en faisant le premier bénéficiaire. Mais, en matière de contribution, ce leadership est non assumé et constitue un blocage majeur pour la construction du marché commun. Le Cameroun et le Gabon dont la contribution devait représenter 80% du budget en 2003 et 2004 n’ont versé sur cette période que 27% de leur TCI. Le Gabon s’est généralement « rattrapé » en réglant ses arriérés, mais pas le Cameroun. Ainsi, depuis 2002, ce pays n’est que le troisième contributeur, loin derrière le Gabon, et le Congo. Ce leadership non assumé est une des raisons du blocage du financement des politiques communes qui ont été envisagées.

En dépit de l’existence des textes juridiques, de la création des organismes ainsi que des institutions chargées de la mise en œuvre de la politique communautaire, sans oublier la multiplication des rencontres au plus haut niveau, la libre circulation des personnes et des biens, preuve et fondement du marché commun et de la vie communautaire n’est pas encore devenue une réalité satisfaisante au sein de la CEMAC, principalement à cause des égoïsmes nationaux. Ainsi, en dehors des handicaps naturels, l’intégration régionale de la CEMAC est mise à mal par les égoïsmes nationaux qui se manifestent par le refus d’appliquer les textes communautaires. L’ouverture des frontières nationales constitue un manque à gagner pour certains pays qui voient leurs ressources tarir du fait de la suppression des visas ; d’où des résistances.

Par ailleurs, certains Etats membres estiment que les conditions de sécurité dans la sous-région ne sont pas encore réunies pour leur permettre de lever les contrôles aux frontières. Enfin, d’autres, plus lotis, ont tendance à protéger leurs marchés, leurs emplois et leurs richesses. Par conséquent, il semble que les Etats tardent à s’approprier les politiques communes, alors même que les avantages d’un processus d’intégration sont nombreux pour la région. Il en résulte que le financement des infrastructures routières pose des défis aux Etats membres de la CEMAC qui doivent créer les conditions de la validité axiologique des textes communautaires. A cet égard, la question de la légitimité des institutions est essentielle aux yeux des populations. Dans la mesure où une organisation régionale acquiert des compétences propres, elle devient un acteur de gouvernance, avec des pouvoirs lui permettant d’intervenir au niveau des Etats membres (par exemple par l’énonciation des règles de droit communautaire d’application directe), mais elle est aussi redevable envers les citoyens qui doivent accepter l’application des règles émanant de ce niveau de gouvernance pour qu’elle soit effective.

Dans la pratique, la question de la légitimité tourne autour de deux aspects : les citoyens considèrent-ils que le processus d’intégration, promu par les structures régionales, apporte des bénéfices tangibles (critère d’efficacité comme base de légitimité de l’organisation) ? Les citoyens se reconnaissent-ils dans le projet d’intégration et dans son système de régulation (la relation affective comme base de légitimité, exprimée par un sens d’appartenir à une communauté) ? Ces critères déterminent la validité des politiques communes. C’est pourquoi, tout doit être mis en œuvre par la CEMAC pour développer l’esprit communautaire qui est, à la fois, un moteur et un outil d’évaluation de l’intégration régionale. L’esprit communautaire est un concept subjectif lié à la psychologie des individus, et donc difficile à mesurer. Néanmoins, plusieurs indicateurs permettent d’en faire une évaluation raisonnable444. Il se traduit d’abord par la forte défiance entre les différentes parties prenantes.

Au niveau des responsables des institutions régionales, qui sont les garants de l’intérêt communautaire, la faiblesse de l’esprit communautaire se manifeste par la perception qu’ont d’eux les ressortissants des Etats membres qui les considèrent souvent comme les défenseurs d’intérêts nationaux. Cette perception négative traduit une défiance vis-à-vis des responsables des principales institutions communautaires par rapport à leur engagement à poursuivre l’intérêt régional. Ce déficit de confiance entraîne, par ailleurs, un manque d’enthousiasme à différents niveaux, contribuant à rendre difficile l’exécution de la mission assignée aux institutions. Par ailleurs, certains faits et actes majeurs au niveau de certains Etats membres jettent un doute sérieux sur leur engagement, et traduisent une défiance à l’égard des règles communautaires. Il en est ainsi des nombreuses entraves à la mise en œuvre des décisions communautaires relatives à la libre circulation, ou encore celles liées au non respect des règles de financement qui montrent que les Etats doutent de la volonté communautaire de leurs partenaires. La peur de l’envahissement a été aussi très clairement exprimée comme l’un des freins à l’application des décisions communautaires. Ainsi, les Etats dotés de richesses naturelles et faiblement peuplés craignent que les autres Etats, fortement peuplés, n’insistent sur la libre circulation des personnes et l’instauration rapide du passeport CEMAC que pour les « envahir ».

Enfin, pour des personnes travaillant dans les institutions communautaires et donc chargées de la promotion de l’idéal communautaire, l’intégration n’a guère progressé445. Cette situation est assez préoccupante, car d’ordinaire, ces institutions observent une sorte d’autosatisfaction des progrès réalisés. Il en résulte que, auprès des populations, des communautés de base et de la société civile, la perception de l’idéal communautaire est encore plus faible.

En définitive, les conditions nécessaires de validation des politiques de transport routier dans la CEMAC sont la reconnaissance de l’importance de la dimension régionale pour l’efficacité de ces politiques; le respect des principes démocratiques ; la bonne gouvernance, la nécessité de créer les conditions d’une gestion rationnelle des ressources et la diversification des sources de financement, avec notamment la mobilisation des financements privés.

Notes
436.

Acte Additionnel n°3/00-CEMAC-046-CM-05 du 14 décembre 2000 instituant un mécanisme autonome de financement de la Communauté.

437.

Les conditions de mise en place et d’opérationnalisation du Fonds ont été définies par les règlements 10/99-UEAC, 1/01 et 5/01-CEMAC-046, avec prise d’effet au 1er janvier 2002.

438.

Le droit à compensation CEMAC est exercé à concurrence de 40% des moins values budgétaires générées par les échanges des produits bénéficiant du TPG, toutes catégories confondues. L’expression « moins-values » a été consacrée par les traités africains pour désigner la part des droits et taxes d’entrée qui n’a pas été perçue au moment de la mise à la consommation d’un produit originaire.

439.

L’espace régional n’est pas seulement projeté comme une réponse à l’exiguïté des marchés nationaux, mais aussi et surtout comme un cadre de développement multisectoriel, avec des programmes et projets communs.

440.

Sous l’UDEAC, par exemple, les fonctionnaires ont accusé jusqu’à quatorze mois sans salaire, ce qui n’est plus le cas depuis le démarrage de la CEMAC.

441.

Performances Management Consulting - ECDPM, Diagnostic institutionnel, fonctionnel et organisationnel de la CEMAC, tome 1, février 2006, page 29.

442.

En 2005, les institutions de la CEMAC ont reçu 8,2 milliards FCFA de TCI pour des prévins estimées à 12,7 milliards FCFA.

443.

Sur 32 milliards de contributions versées par les Etats membres depuis 2002, la moitié l’a été sous forme de régularisation d’arriérés.

444.

Au nombre de ces indicateurs, on cite le fait que les individus membres de la Communauté connaissent la CEMAC ; ils partagent son but et ses valeurs, et y retrouvent un intérêt commun ; qu’ils veulent participer à sa mise en œuvre (par exemple les fonctionnaires de la CEMAC agissent en tant qu’agents de la Communauté et non pas en tant qu’agents de leur pays d’origine ; que les Etats paient leurs contributions au budget communautaire, etc..).

445.

A cet effet, une enquête a été réalisée par Performances Management Consulting – ECDPM auprès du personnel des principales institutions de la CEMAC. Cette enquête porte sur leur perception du niveau de l’idéal communautaire au sein des citoyens de la Communauté et sur l’évolution de cet idéal durant les cinq dernières années.