§1. La concession des services publics

La concession des services publics est définie comme un contrat qui charge un particulier, ou une société, d’exécuter un ouvrage public ou d’assurer un service public, à ses frais, avec ou sans subvention, avec ou sans garantie d’intérêt, et que l’on rémunère en lui confiant l’exploitation de l’ouvrage public ou l’exécution du service public, avec le droit de percevoir des redevances sur les usagers de l’ouvrage ou sur ceux qui bénéficient du service public449.

La technique de concession est différente des autres notions proches comme le contrat d’affermage, la régie intéressée ou les marchés d’entreprise de travaux publics450. D’abord, le contrat d’affermage est diffèrent de la concession des services publics car les ouvrages utiles à l’exploitation du service ne sont pas réalisés par l’exploitant mais par l’administration. De surcroît, le « fermier » ne conserve pas la totalité des rémunérations qu’il perçoit des usagers. Il verse à l’administration une somme forfaitaire en contrepartie du droit d’exploiter l’ouvrage.

En régie, l’exploitant intervient pour le compte de l’administration sans percevoir de rémunération des usagers. Il est rémunéré sur le budget de la collectivité qui a financé elle-même l’établissement du service. Alors que le concessionnaire jouit d’une entière autonomie, le régisseur agit pour le compte de l’administration qui demeure chargée de la direction de l’exploitation.

Enfin, la technique de concession des services publics se distingue du marché de travaux publics. L’entreprise chargée du marché ne noue aucune relation avec les usagers desquels il ne perçoit pas de redevance. L’entrepreneur est payé forfaitairement par l’ouvrage public ouvert à la concession. Et, les règles du Code des marchés publics lui sont applicables lors de l’attribution du marché. Ainsi, une mise en concurrence et une procédure d’appel d’offre sont nécessaires, alors qu’ils ne sont pas requis lors de la passation du contrat de concession.

Les éléments constitutifs du modèle concessif sont au nombre de trois. D’abord, la concession reste une convention. Même si parfois le modèle concessif se rapproche de l’acte réglementaire par ses effets, il reste un contrat par sa nature. C’est ainsi qu’il ne peut y avoir recours pour excès de pouvoir et que la concession se distingue des procédés unilatéraux d’habilitation à gérer un service public. Deuxièmement, la concession est un contrat dont l’objet est une activité de service public. Un tel contrat peut se doubler d’un bail ou se cumuler avec un mandat. De surcroît, la notion de service public connaît une extension et s’applique à des domaines variés. La dévolution d’un service public constitue le troisième élément du contrat de concession. Le concédant, personne publique, transfère son activité au concessionnaire, entité publique ou privée. Cette délégation de service public est un élément primordial de la qualification de la concession. Cela signifie que le concessionnaire gère le service en son nom et pour son compte, mais le concédant ne perd pas tout contrôle sur l’activité. La nature même du service public oblige le concédant à garder le contrôle de l’activité.

De ces éléments constitutifs se dégagent ses principes fondateurs. Tout d’abord, le versement des redevances par les usagers du service au concessionnaire est un élément majeur du contrat de concession des services publics. Mais, il peut bénéficier d’autres revenus qui ne sont pas incompatibles avec les principes de concession. A ce titre, le concessionnaire peut recevoir des subventions ou percevoir des recettes liées à l’exploitation du service. Un autre principe du modèle concessif est que l’exploitation du service est réalisée aux risques et périls du concessionnaire. L’exploitant prend en charge les frais d’établissement, et doit financer les installations.

En outre, le concessionnaire prend à son compte l’ensemble de la gestion du service avec ses bénéfices et ses pertes. Ce principe connaît des exceptions du fait des garanties financières accordées au concessionnaire par les banquiers ou le concédant pour couvrir les risques d’exploitation.

Enfin, les protagonistes de la concession ne peuvent pas se soustraire de l’application des règles de service public. D’autre part, les usagers doivent être placés sur un pied d’égalité pour l’accès du service concédé. Enfin, en vertu du principe de mutabilité, le concessionnaire des services publics doit l’adapter aux exigences nouvelles afin de répondre aux besoins des usagers.

Le recours à la concession présente des avantages aussi bien pour le concédant que le concessionnaire. Pour le concédant, il lui permet d’enrichir son patrimoine local. Puisque le concessionnaire est rémunéré par les redevances versées par les usagers du service, le patrimoine local s’enrichit sans avoir augmenté les prélèvements fiscaux. Ensuite, les biens concédés retournent en fin de concession dans le patrimoine du concédant. Cet enrichissement n’est pas négligeable, puisque l’administration récupère les infrastructures qu’elle n’a pas financées.

De surcroît, avant l’expiration de la concession, le concessionnaire a l’obligation de remettre ces biens en bon état de fonctionnement. La technique de concession permet aussi de faire jouer la concurrence en confiant à plusieurs des concessionnaires la gestion d’un même service public, mais répartis en des secteurs géographiques différents. De cette concurrence naît entre les exploitants une émulation qui peut se révéler être un gage de qualité pour le service exploité.

Par ailleurs, une entreprise n’entreprendra pas un projet s’il n’a pas de rationalité économique, et s’il n’offre pas un retour sur investissement correct au regard des risques encourus. La délégation par la technique de concession des services publics est un très bon test de viabilité de l’opération, car le concessionnaire doit être capable de maîtriser les coûts exacts de son exploitation, tant pour satisfaire les usagers que pour la continuité du service public.

De même, le transfert a lieu, d’une part, vers le concessionnaire qui agit à ses risques et périls. Les pouvoirs publics ne lui donnent en principe aucune garantie, même s’ils lui confèrent des droits tels que la liberté tarifaire ou l’exclusivité temporaire de l’exploitation. D’autre part, l’administration ne supporte aucun risque financier. Cette responsabilité est transférée aux investisseurs privés qui doivent alors assumer toute défaillance du concessionnaire.

Enfin, déléguer n’est pas céder. L’autorité concédante garde les facultés d’infléchir les orientations suivies par le concessionnaire dans l’intérêt du service délégué. Le concédant supporte l’obligation de surveiller la bonne exécution de la gestion de son service et d’en sanctionner éventuellement les manquements. Dans ce cas, les pouvoirs publics ont le droit d’imposer des pénalités, voire même de résilier la concession en reprenant le projet sans compensation. Pour sa part, le concessionnaire a l’assurance d’une juste rémunération. Le service concédé doit être organisé pour permettre une exploitation rémunératrice, qui assure la couverture de ses coûts réels. Si l’administration rompt unilatéralement cet équilibre, elle doit pourvoir à le rétablir dans l’intérêt du service, et dans celui de son cocontractant. Alors que les recettes sont limitées mais perdurent dans le temps, les pertes sont envisageables mais restent faibles.

La technique de concession porte, ensuite, sur la réalisation des projets dont le financement est assuré par le concessionnaire. Les recettes n’étant pas immédiates et leur montant étant limité, le concessionnaire apprécie la faisabilité de son projet sur la durée de l’exploitation. Plus elle est longue, plus l’amortissement est réalisable, plus les capitaux sont disponibles.

Par ailleurs, la durée du contrat étant longue, une relation de confiance s’instaure entre les parties pour la gestion du service. Outre sa soumission aux règles d’organisation contenues au cahier des charges, ce service peut être financé d’une façon dont seul le concessionnaire est redevable. Une liberté de gestion lui est, en conséquence, offerte. Tant que l’objectif est atteint, l’administration n’a pas à se prononcer sur les procédés retenus à cette fin. De même, le rôle du concédant ne peut être joué que par une personne publique. Ceci offre, d’une part, une garantie de solvabilité du partenaire avec lequel l’entité concessionnaire contracte. D’autre part, consciente des difficultés de gestion et de rentabilité de certaines activités, l’administration a la possibilité d’intervenir pour soutenir financièrement son partenaire par des prêts à long terme, par la prise des risques de refinancement, et parfois par une contribution au capital sous forme d’avance. Ce type de partenariat qui est très actif de la part du concédant est inévitable si ce dernier cherche à réaliser des investissements lourds qui ont un coût élevé. Le concessionnaire, attributaire d’une telle politique, ne peut donc qu’en récolter les fruits.

Enfin, le concessionnaire jouit d’un monopole d’exploitation. Hormis ce cas exceptionnel, tout cocontractant de l’administration bénéficie de privilèges d’exploitation s’ils sont prévus au contrat. Soit l’administration alloue une exclusivité au concessionnaire, soit elle s’engage à refuser les autorisations administratives qui sont nécessaires pour l’exercice d’activités concurrentes. Néanmoins, la protection ne porte que sur les seules activités concédées.

La technique de concession devra renforcer la participation des opérateurs privés au financement des infrastructures. Cette participation est un facteur d’allègement de l’endettement. Elle a aussi pour avantage d’être un facteur de création d’emplois, d’accès aux techniques modernes de gestion, tout en renforçant les compétences, et en établissant les liens avec les marchés extérieurs. On lui reconnaît enfin de stimuler la concurrence, l’exigence de qualité, et le développement d’une tissue d’entreprises nationales compétentes. Cependant, une partie de la doctrine considère que l’implication des opérateurs dans les projets au moyen de la technique de concession des services publics ne donne pas les garanties suffisantes aux créanciers451.

Notes
449.

G. Dupuis, Marie-José Guédon, Patrice Chrétien, Droit administratif, Paris, éditions Dalloz, année 2004, page 401.

450.

Charles-Henry Chenut, Le financement privé des grands travaux publics et la technique concessive, in Gazette du Palais, anneée 1996, pages 179 à 1280.

451.

Cette contrainte est spécifique au système juridique français. La distinction entre le domaine du droit public et privé est une première différence de fond avec les financements de projets réalisés dans les pays de common law où le contrat passé entre la société de projet et la personne publique est soumis au droit commun privé des contrats.