1/ Un contrat déséquilibré

Les contrats de concession de services publics sont des contrats généralement marqués par un déséquilibre des prestations, du fait que le régime qui s’y attache est caractérisé par le concept de « prérogatives de la puissance publique concédante », et par les obligations qui pèsent sur le concessionnaire, en raison de la nécessité d’assurer la qualité et la continuité du service concédé. Ce déséquilibre s’expliquerait par des raisons juridiques aussi bien qu’historiques.

Juridiquement, l’élément fondamental est la présence d’un service public. L’Etat, ou la collectivité publique compétente en est, à l’égard des usagers, le garant dans le strict respect des principes de continuité, d’égalité et d’adaptabilité dites lois de service public457. C’est parce que l’objet même du contrat porte sur un service public dont l’exploitation doit être sans faille, que l’autorité publique ne peut pas renoncer à ses prérogatives de contrôle et de police. Et, c’est parce que l’intérêt général est en cause que l’Etat, dans les conditions contrôlées par le juge, pourra intervenir de façon unilatérale dans l’exécution et, le cas échéant, dans la résiliation anticipée du contrat de concession. Ce contrôle de la personne publique sur les modalités d’exécution de la concession est très important en matière de tarification des services.

Historiquement, ce déséquilibre s’explique également par la pratique quasi généralisée, dans le passé, des cahiers des charges-types imposés par voie réglementaire, et par le contrôle exercé par les représentants de l’Etat qui ont eu pour conséquence une intégration des concessions d’une manière plus étroite dans l’entreprise administrative, selon la doctrine458 française. Mais, cette évolution, qui ne relève que du droit français des concessions, n’a pas d’équivalent dans la CEMAC, compte tenu de son expérience récente en la matière, et par le fait que le déséquilibre du contrat est tempéré par des garanties offertes aux privés.

En effet, il n’y a pas en Afrique, sauf exception, de cahiers des charges-types, et les lois de réformes sectorielles laissent en général toute liberté aux parties dans la conclusion des contrats de concession, sous réserve du respect des lois du service public. Or, l’expérience montre qu’en la matière, les négociations entre les grands groupes concessionnaires bénéficiant d’une très longue expérience nationale et internationale et, de l’autre côté, des Etats africains parfois insuffisamment conseillés, n’ont pas toujours tourné au bénéfice des derniers459.

Pour ce qui est du risque que représente, pour le contractant privé, l’interventionnisme de l’autorité concédante (risque que ce contractant est, par ailleurs, réputé assumer selon la théorie classique de la concession « aux risques et périls »), il est tempéré par un principe, tout aussi intangible que celui du respect des lois de service public, qu’est l’équilibre financier de la concession. Cet équilibre est un droit absolu pour le concessionnaire, dans la mesure où il lui permet notamment d’assurer la continuité du service public. Il lui confère des protections auxquelles les contractants de droit privé n’ont pas accès, s’agissant du droit à indemnisation en cas de sujétions imprévues, ou de l’application des théories de l’imprévision460 et du fait de prince461.

Ces protections se révèlent d’une particulière importance dans le cadre des projets soumis à des risques politiques et commerciaux élevés, et dans lesquels les prêteurs seront particulièrement sensibles à tout ce qui pourra garantir la stabilité contractuelle et l’indemnisation de leur débiteur. Ainsi le déséquilibre contractuel doit, pour ce qui est de la CEMAC, être replacé dans un contexte de « retour aux sources » de la concession de service public respectueux de la liberté contractuelle des parties, et dans la limite de la bonne fin du service concédé. En tout état de cause, il ne peut être considéré comme une des contraintes majeures à la participation des investisseurs privés aux financements des infrastructures routières.

Notes
457.

Ces principes ont valeur constitutionnelle en France.

458.

O. Fille-Lambie, « aspects juridiques des financements de projets appliqués aux grands services publics dans la zone OHADA », in Revue de droit des affaires internationales, n°8, année 2001, pages 931.

459.

En France, la croissance record du chiffre d’affaires et les bénéfices des principaux groupes concessionnaires depuis trente ans démontre que le déséquilibre juridique au profit de la collectivité publique ne reste que théorique.

460.

Véritable théorie jurisprudentielle, l’imprévision impose à l’administration contractante l’obligation d’aider financièrement le contractant à exécuter le contrat lorsqu’un événement imprévisible et étranger à la volonté des parties a provoqué le bouleversement de l’économie du contrat.

461.

Le fait du prince vise le cas où l’administration contractante, agissant en dehors du cadre du contrat, a par son action ayant eu pour conséquence une modification du contrat, rompu l’équilibre financier de ce dernier. Elle est alors tenue de verser à son cocontractant une indemnité permettant de rétablir intégralement cet équilibre.