4/ Les recours juridictionnels

La concession de service public est soumise au contrôle du juge administratif, ainsi que le contentieux qui en découle, lorsqu’il s’agit du contentieux entre l’autorité concédante et le concessionnaire. Par contre, le contentieux entre le concessionnaire et le usagers du service relève, lorsqu’il présente un caractère industriel et commercial, de la compétence du juge civil.

Le recours devant le juge administratif est donc possible, dans des conditions de procédures similaires à celles qui prévalent en France en matière de recours pour excès de pouvoir ou de plein contentieux. En particulier, un tel recours est toujours recevable contre les actes détachables du contrat de concession479, nonobstant la présence d’une clause compromissoire. Cependant, la procédure d’excès de pouvoir est, de façon générale, très rare en Afrique, a fortiori dans le domaine de la concession de service public où, contrairement aux marchés publics, les modes de passation ne font l’objet d’aucun texte général d’encadrement480.

Dans la pratique africaine, les parties ont tendance à choisir la voie de l’arbitrage, et en particulier de l’arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), surtout dans les cas où le concessionnaire peut être considéré comme ressortissant d’un Etat contractant en raison du contrôle exercé sur elle par des intérêts étrangers 481 . Or, en dehors des cas particuliers où l’arbitrage repose sur une convention internationale régulièrement ratifiée par le pays de l’autorité concédante, la question s’est posée de savoir si les Etats avaient la capacité de compromettre, du moins pour ceux ayant repris dans leur législation interne les dispositions de l’ancien Code de procédure civil français relatives à l’interdiction faite aux personnes morales de droit public de compromettre482.

Cette question a trouvée sa réponse dans la jurisprudence française dite « Galakis483 » aux termes de laquelle la prohibition posée par le droit interne, quand elle existe, n’est pas applicable à un contrat international passé pour les besoins, et dans des conditions conformes aux usages du commerce international. Autrement dit, les Etats ne peuvent recourir à un arbitrage que lorsqu’il présente un caractère international, par opposition à un arbitrage interne.

Il faut rappeler ici toute la portée de la jurisprudence Galakis, qui a servi de référence à de nombreuses décisions judiciaires et sentences arbitrales internationales considérant que la solution dégagée avait valeur de principe « universellement reconnu tant dans les rapports étatiques que dans les rapports internationaux privés ». De fait, les Etats africains ont pris part à de nombreux arbitrages ad hoc ou institutionnels484, ce qui n’a jamais réellement posé de difficultés dès lors qu’il s’agissait bien d’un arbitrage international au sens de la jurisprudence précitée.

Sur la question des immunités des Etats, la difficulté s’est posée en matière d’immunité d’exécution, y compris en présence des clauses de renonciation expresse. Pour les biens situés sur le territoire de ces Etats, la question de leur exécution relève de leur droit administratif respectif et il est probable que l’ancienne jurisprudence française du Tribunal des conflits485 s’applique à une majorité des pays, à savoir que les biens des personnes publiques, comprenant les établissements publics, ne peuvent faire l’objet de voies d’exécution de droit commun. Pour les biens situés en dehors de leur territoire, la question relève davantage du droit international privé du for où le bien fait l’objet d’une procédure d’exécution. En France, on constate que ces procédures sont assez largement accordées par le juge dès lors que l’exécution porte sur des biens qui relèvent de la seule activité économique des Etats concernés (que ces derniers aient ou non renoncé à leur immunité486). C’est dans ce cadre que l’on a pu voir, ces dernières années, des créanciers pratiquer, parfois avec succès, des saisies de valeurs mobilières appartenant à des Etats africains ou à un de leurs démembrements.

Les Etats africains, en adhérant au Traité OHADA, et en particulier à son article 21 relatif à l’arbitrage, ont permis la reconnaissance par tous les pays Etats membres de cette organisation de la validité du recours à l’arbitrage, sans considération de la nature publique ou privée de la partie ayant signé la clause compromissoire ou le compromis487. En outre, il est prévu que les sentences arbitrales rendues conformément au Traité OHADA aient l’autorité de la chose jugée dans tous les Etats membres, et qu’elles puissent faire l’objet d’une exécution forcée sous réserve d’exequatur. Il n’est donc pas exclu que, dans ces conditions, les parties soient incitées à prévoir un recours à un arbitrage OHADA, dans la mesure où celui-ci serait moins long et moins coûteux qu’un arbitrage rendu sous l’égide du CIRDI ou de la CCI488.

En définitive, la concession est un contrat qui est par essence déséquilibré au profit de l’autorité publique concédante, et insuffisamment protecteur du contractant privé. Elle ne permet pas la constitution de droits réels au profit des concessionnaires et ne leur reconnaît, d’une façon générale, pas de véritables droits de propriété sur les ouvrages qu’ils ont construits. La concession est, par ailleurs, un acte dont la nature juridique est incertaine et complexe, en ce sens qu’elle revêt un caractère à la fois contractuel et réglementaire. Elle est, enfin, un contrat qui n’est pas susceptible de recours préjudiciel, tout au moins dans le contexte africain. Toutefois, du fait de son équilibre et de sa stabilité au cœur du dispositif contractuel, la concession est susceptible d’accorder une protection satisfaisante pour les prêteurs.

Notes
479.

Par exemple le décret ou l’arrêté d’approbation.

480.

Il est très peu probable qu’une procédure d’annulation d’un acte réglementaire approuvant une concession aurait des chances de prospérer, contrairement à ce qui s’est passé en France ces dernières années dans le domaine des concessions d’autoroutes.

481.

Pour justifier la compétence matérielle de ce centre d’arbitrage. Cf. article 25 (2) (b) de la Convention de Washington du 18 mars 1965.

482.

C’est-à-dire en réalité la quasi-totalité des pays d’Afrique francophone.

483.

Du nom de cet arrêt de la Cour de Cassation du 2 mai 1966, D. 1966.375, note Jean Robert.

484.

En particulier dans le cadre de la Chambre de Commerce International (CCI) de Paris.

485.

Arrêt dit « Association syndicale du canal de Gignac » du 9 décembre 1899, GAJA n°7.

486.

Sur la base de la jurisprudence dite « Eurodif » en référence à cet arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 1984, Civ 1re, Sté Eurodif c/Rep. Islamique d’Iran, JCP 1984, II.20205, obs. Synvet.

487.

L’article 2 de l’Acte Uniforme Droit de l’Arbitrage énonce en outre le principe général selon lequel l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics peuvent compromettre « sans pouvoir invoquer leur propre droit pour contester l’arbitrabilité d’un litige, leur capacité à compromettre ou la validité de la convention d’arbitrage ».

488.

P. Le Boulanger, L’arbitrage et l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Revue de l’Arbitrage 1993, n°3.