Partie 2 Les exigences des politiques de transport routier dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.

Le transport routier dans la CEMAC ne répond pas aux conditions de sécurité requises491. Au nombre des contraintes relevées, il y a la persistance de lourdes procédures et de multiples documents de transit qui conduisent à une succession de procédures aux passages des frontières.

Une autre difficulté tient à la sécurité douanière qui doit être assurée par la mise en place d’un mécanisme permettant d’assurer que les marchandises de transit ne soient déversées sur le marché du pays de transit sans que les droits et les taxes de douanes n’aient été payés.

De même, les conditions d’obtention de l’agrément des véhicules ne sont pas souvent remplies par le parc des véhicules affectés au transport. Les véhicules sont vétustes et les opérateurs évoquent les difficultés d’accès au crédit qui les empêchent de renouveler leurs parcs.

Le non-respect des normes techniques492 et les fraudes commises par les transporteurs ont, par ailleurs, favorisé l’accroissement des points de contrôle qui varient d’une période à l’autre dans un même pays, et ce malgré les textes qui réglementent leur implantation. En fait, la détermination des points de contrôle dépend de la volonté des pouvoirs publics des Etats d’en limiter le nombre. Ces contrôles entraînent des dépenses considérables pour les transporteurs493.

L’escorte, une pratique sécuritaire des douanes, devait être exceptionnelle. Mais, elle est devenue courante dans la CEMAC. Elle est, en effet, fondée sur les doutes que suscitent les normes techniques des véhicules et les pratiques frauduleuses des opérateurs. C’est ainsi que les services de douanes ont systématisé l’escorte douanière, malgré le paiement de la caution. Ils estiment que le préjudice subi lors du déversement des marchandises dans un pays de transit n’est pas uniquement financier, mais il est aussi économique par le fait que les entreprises nationales des pays de transit subissent une concurrence déloyale à cause des fraudes.

L’une des conséquences de ces escortes est l’allongement des délais d’acheminement des marchandises. Elles ne sont pas organisées tous les jours. Mais, en pratique, les transporteurs sont obligés d’attendre plusieurs jours aux postes frontières. Ces escortes occasionnent des dépenses supplémentaires dont la prise en charge diffère d’un pays à l’autre. Elles sont l’une des causes des entraves à la libre circulation. La longue file des véhicules étant très difficile à dépasser, alors qu’ils roulent lentement. Cela occasionne de nombreux accidents.

Les accords réglementant les transports ne prennent pas en compte les questions relatives au personnel qui accompagne le véhicule, à savoir le chauffeur et les « apprentis ». Ce personnel est confronté au problème de documents administratifs qui limitent la liberté de circuler.

Les transporteurs routiers sont aussi caractérisés par leur inefficacité. La profession est exercée par des opérateurs qui ne disposent pas de qualifications en matière de gestion des transports. Ils ignorent dans leur majorité les règles et les techniques de gestion moderne d’une entreprise. En outre, ils disposent d’un parc réduit et d’un âge avancé. La vétusté du parc entraîne des coûts élevés d’entretien des véhicules et reste un facteur négatif pour la fiabilité et la sécurité du service. Elle contribue à accroître les coûts des services offerts aux usagers.

Dans certains pays, les transporteurs sont organisés en associations corporatistes qui constituent souvent un groupe de pression hostile aux tentatives de modernisation de la profession. Au niveau des agents de conduite, la profession de chauffeur routier est très peu réglementée. C’est ainsi que le métier s’apprend souvent sur le tas, le personnel ignore ses droits et ses devoirs, donnant ainsi l’occasion aux agents de contrôle indélicats d’opérer à leur guise.

La mauvaise organisation et le manque de qualification des opérateurs constituent leurs handicaps. Ainsi, ils ne peuvent pas offrir des services fiables et à des tarifs compétitifs. S’agissant des commissionnaires, la plupart d’entre eux n’ont pas souvent la qualification requise pour exercer efficacement leurs activités, la profession de transitaire est caractérisée par la disparité dans la taille et dans l’organisation des entreprises. Et, les transitaires ont des difficultés pour passer des contrats internationaux, et sont vulnérables aux circonstances économiques.

Les longs délais et les divers frais déboursés le long des couloirs accroissent les coûts de transport. Ces coûts de transport élevés jouent sur les prix des produits, tant pour la consommation intérieure que pour les exportations. Ils constituent un sérieux handicap pour la compétitivité de la sous région494. Ces coûts de transport élevés sont dus à l’insuffisance et à la mauvaise qualité des infrastructures qui pèsent sur la qualité et le prix des services de transport routier; les charges d’exploitation élevées des entreprises de transport; l’existence des taxes et des faux frais à payer à chaque voyage et les longs délais d’attente; l’inefficacité et la multiplicité des réglementations et procédures mises en place; le déséquilibre des échanges.

Enfin, le transport de transit est handicapé par les problèmes de communication tant pour le contrôle, le suivi de la marchandise et le moyen de transport. Les services de contrôle qui sont situés aux postes frontières ne sont pas bien équipés, ce qui ne permet pas d’accélérer les liaisons.

L’analyse de ces contraintes qui handicapent le secteur routier de la CEMAC passe par une étude des conditions de validité du droit adopté en la matière. Il s’agit, comme c’est le propre du droit économique, de revoir les conditions d’adaptation du droit au fait495, à partir d’une méthode qui repose aussi bien sur l’analyse substantielle496 (que les auteurs critiquent de porter atteinte à la sécurité juridique car elle ne permettrait pas une prévisibilité suffisante497) que sur une analyse formelle498 qui permet d’interpréter le fait conformément à la norme applicable499. Il apparaît à cet égard que la validité des politiques envisagées par la CEMAC dépend de la capacité des Etats à créer les conditions pour la sécurisation juridique (chapitre 3), mais aussi de la sécurisation du financement des infrastructures routières (chapitre 4).

Notes
491.

Commission économique pour l’Afrique (CEA), « Les transports et l’intégration régionale en Afrique », Paris, éditions Maisonneuve & Larose, année 2004, 228 pages ; CEA, « Les infrastructures de transport et l’intégration régionale en Afrique centrale », Paris, éditions Maisonneuve & Larose, année 2005, 92 pages.

492.

T. Assum, « La sécurité routière en Afrique », Document de travail SSATP N°33F, Février 1998, 46 pages.

493.

Les transporteurs routiers déboursent des sommes importantes à chaque voyage en les donnant aux agents chargés du contrôle aux différents barrages routiers pour échapper aux contrôles. Ces contrôles routiers ont toujours fait l’objet de plaintes de la part des usagers de la route, mais très peu de mesures appropriées y ont été apportées.

494.

En 1994, les coûts de fret représentaient 4% environ de la valeur des importations dans les pays développés et 7,2% dans les pays en développement, tandis que la moyenne pour les pays en développement sans littoral était de 14,7%. Sur le marché des exportations, ces pays ont dépensé en 1994 environ 17% de leurs recettes d’exportation en services de transport et d’assurance, alors que la moyenne pour l’ensemble des pays en développement était de 8,7%.

495.

L. Boy, Droit économique, L’Hermès, 2002. Cité par J.-B. Racine et F. Siiriainen, « sécurité juridique et droit économique – propos introductifs », in L. Boy (sous la dir. de), Sécurité juridique et droit économique, Bruxelles, éditions Larcier, année 2008, page 15.

496.

L’analyse substantielle permet d’analyser, de qualifier ou de critiquer des institutions, des concepts juridiques ou des faits à partir des hypothèses produites par le droit. Ces hypothèses sont livrées par un examen critique qui permet de dégager le droit substantiel ou matériel. Cette analyse part ainsi du postulat selon lequel il existe un lien entre le droit et les faits, c’est-à-dire entre les rapports sociaux concrets et les principes moraux et philosophiques.

497.

G. Farjat, « L’importance d’une analyse substantielle en droit économique », RID. Eco., n°0, 1986, page 9 ; J.-B. Racine et F. Siiriainen, « Retour sur l’analyse substantielle en droit économique », RID. Eco., année 2007, page 259.

498.

L’analyse juridique formelle consiste à ne voir les rapports sociaux, la réalité concrète, que par le biais des catégories juridiques formelles reconnues par le droit positif. Cette analyse refuse de confronter ces catégories juridiques avec la réalité économique. Elle refuse de poser la question de la validité du droit positif, de ses catégories et des structures au regard des faits et de la réalité. C’est ainsi que certains de ses défenseurs vont jusqu’à affirmer que les seuls critères permettant de juger les catégories structurelles du droit relèvent de valeurs philosophiques et morales et que le droit ne doit pas être contaminé par les faits, les mœurs ou encore les modes.

499.

P. Reis, « Les méthodes d’interprétation, analyse formelle, analyse substantielle et sécurité juridique », in L. Boy (sous le dir. de), Sécurité juridique et droit économique, éditions Larcier, Bruxelles, année 2008, page 189 à 205.