Chapitre 3 La sécurisation juridique du transport routier

Les difficultés du transport routier dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) peuvent être expliquées par l’insécurité juridique qui caractérise ce secteur. La notion d’insécurité juridique500 se présente sous divers aspects par une multiplication des sources de droit, l’apparition de nouveaux champs de législation souvent complexes, la libéralisation des secteurs économiques (transports, télécommunications, énergie) justifiant l’émergence d’un nouveau type de régulation caractérisé par des adaptations constantes.

Les symptômes de l’insécurité juridique sont la profusion des lois501, la fragmentation, l’explosion, la multiplication des instances de production du droit, la complexification et la technicisation des normes évolutives502. A ces phénomènes s’ajoute la tendance à transformer les lois en programmes politiques dépourvus de normativité par l’insertion de « neutrons législatifs 503 ». Or, des trois finalités du droit que sont la sécurité juridique, la justice et le progrès social, c’est la première qui l’emporte. Tout vaut mieux que l’anarchie ; Et, si la sécurité juridique disparaît, il n’y a plus aucune autre valeur qui puisse subsister504. Pour Carbonnier, « il est une valeur que les théoriciens du droit regardent comme fondamentale : c’est la sécurité juridique. […] C’est le besoin juridique élémentaire et, si l’on ose dire, animal   505».

L’exigence de sécurité juridique est un principe général de droit communautaire506 consacré par le Traité OHADA507 et la Charte des investissements de la CEMAC508. Il « implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles 509 ». Plus précisément, la sécurité juridique a une facette objective et l’autre subjective.

Dans son volet objectif, la sécurité juridique est d’abord garantie par la qualité de la formulation de la loi. Elle suppose que la loi soit prévisible, lisible et accessible. La loi est encore normative, c’est-à-dire qu’elle prescrit, interdit, sanctionne. Et, c’est à juste titre qu’un guide pour l’élaboration des textes législatifs et réglementaires rappelle aux rédacteurs qu’un texte juridique doit avoir « un contenu normatif, clairement énoncé […] Il se doit d’éviter les déclarations ou proclamations qui n’ont aucune portée juridique […] et les formulations ambiguës ou imprécises qui nourrissent l’incertitude juridique 510 ». En outre, la loi doit être intelligible. L’intelligibilité implique la lisibilité, la clarté, la précision et la cohérence des énoncés.

Dans son volet subjectif, la sécurité juridique dépend ensuite de la prévisibilité du droit et de la relative stabilité des situations juridiques. Elle renvoie au principe de confiance légitime que la doctrine considère comme « le versant subjectif du principe objectif de sécurité juridique 511 ». Ce principe de confiance légitime signifie que les situations légitimement acquises par les justiciables soient protégées en cas de changement brutal de la règle.

L’étude du système juridique où évolue le transport routier dans la CEMAC révèle que ces conditions sont rarement réunies, du fait de l’ineffectivité du droit qui lui est applicable (section 1), de la faiblesse des institutions (section 2) et des lacunes du système juridique (section 3).

Notes
500.

En droit positif, l’exigence de sécurité juridique constitue un principe général du droit communautaire depuis l’arrêt Bosch du 6 avril 1962 de la Cour de justice des Communautés européennes. En France, le Conseil constitutionnel reconnaît, dans une décision du 16 décembre 1999, une valeur constitutionnelle à l’objectif « d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (Cons. Const., 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, J.O., 22 décembre 1999, page 19041). Il a réaffirmé ce principe à l’occasion de l’examen de la loi de finances pour 2006. Ainsi, dans sa décision du 29 décembre 2005, il censure une disposition relative au plafonnement global des avantages fiscaux, en raison de son excessive complexité, qu’aucun motif d’intérêt général ne suffit à justifier. Quant au Conseil d’Etat qui en faisait déjà application dans l’exercice de ses fonctions consultatives, il consacre le principe de sécurité juridique dans une décision du 24 mars 2006 Société KPMG et autres (CE, 24 mars 2006, Société KPMG et a., D., 2006, jurisprudence, page 1224).

501.

V. Zarka J.-C, « A propos de l’ inflation législative», D., 2005, page 660.

502.

Conseil d’Etat, Rapport public, Sécurité juridique et complexité du droit, Paris, 2006, La Documentation française.

503.

Foyer J., in Conseil d’Etat, Rapport public, Sécurité juridique et complexité du droit, ibid.

504.

Roubier, Théorie générale du droit, Paris, Sirey, 1951, page 317.

505.

J. Carbonnier, « La part du droit dans l’angoisse contemporaine », in Flexible droit, Paris, LGDJ, 1998, page 193.

506.

Arrêt Bosch du 6 avril 1962 de la Cour de justice des Communautés européennes.

507.

Le préambule du Traité relatif à l’organisation de l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) signé le 17 octobre 1993 dispose que le droit des affaires doit être appliqué « dans les conditions propres à garantir la sécurité juridique des activités économiques, afin de favoriser l’essor de celles-ci et d’encourager l’investissement ».

508.

Selon l’article 4 du règlement n°17/99/CEMAC-020-CM-03 relatif à la Charte des investissements de la CEMAC, « Les Etats membres veillent à promouvoir la sécurité juridique et judiciaire, et à renforcer l’Etat de droit (…) ».

509.

V. De Clausade J., « Sécurité juridique et complexité du droit : considérations générales du Conseil d’Etat », D., 2006, page 737.

510.

Guide pour l’élaboration des textes législatifs et réglementaires, 6 juin 2005. Ce guide a été réalisé sous la supervision d’un groupe de travail présidé par Leclerc J.-P., Président de section au Conseil d’Etat, assisté de Bouchez R., Conseiller d’Etat et Boulouis N., Maître des requêtes.

511.

Simon D., « La confiance légitime en droit communautaire : vers un principe général de limitation de la volonté de l’auteur de l’acte ? », Etudes à la mémoire du Professeur Alfred Rieg, Bruxelles, Bruylant, année 2000.