§2. Les difficultés d’accès à l’information

Une autre difficulté qui explique l’invalidité des règles de droit a trait au problème de leur accès. Aucun des départements ministériels ne possède un jeu complet du Journal officiel (JO). Même si on réunissait la totalité des archives qui sont détenues par le Secrétariat Général du Gouvernement, le Palais de justice, le ministère de l’intérieur, la Chambre consulaire, le Musée national, il est impossible de reconstituer une série complète des journaux officiels.

Dans ces conditions, les administrations n’appliquent que le droit qu’elles possèdent dans leurs propres archives. On ne devra pas s’étonner si certaines situations individuelles sont traitées différemment, selon que l’on s’adressera à l’administration des Impôts, ou à celle des Douanes. Parfois, cependant, certaines autorités administratives, chargées d’appliquer le droit s’adressent à la Direction des Archives, de la Documentation et du Journal officiel pour se faire communiquer les textes conservés dans ce service. Mais, du fait qu’un grand nombre de ces actes sont détenus en un seul exemplaire, la communication ne peut avoir lieu correctement.

Il est même arrivé des situations où, au Palais de Justice, les plaignants sont obligés de produire l’extrait du Journal officiel pour que le juge l’applique dans leur cas. C’est un fait regrettable qui engendre un ordre juridique occulte, source de nombreux conflits. Ainsi, une des priorités qui s’impose pour clarifier la situation est de reconstituer la collection des Journaux officiels, de les compléter par celles des normes qui n’ont jamais été insérées dans ces recueils et de les diffuser dans les diverses administrations du pays. Cependant, cette action ne sera même pas suffisante pour affirmer que l’information juridique des citoyens est parfaite.

Depuis plusieurs années, des juristes n’ont pas manqué de relever que l’information écrite était inadaptée aux réalités sociologiques des Etats d’Afrique noire. Ainsi, la doctrine a fait une observation selon laquelle même en Europe « la présomption de connaissance résultant de la publication est purement fictive »524. Que dire alors de ce procédé dans un pays comme le Tchad où le taux d’analphabétisme est l’un des plus élevés d’Afrique525 ! D’autant plus qu’il existe un problème de langue. Rédigées en français, les normes juridiques ne peuvent être comprises que par un tout petit nombre d’initiés. Dans ce contexte, où même le droit national ne respecte pas les procédures légales de sa validité, et où il est inaccessible pour les populations, on voit toute la difficulté à rendre valide un droit communautaire harmonisé.

En définitive, les règles de droit ne peuvent être valides et applicables dans l’ordre interne des Etats que lorsqu’elles sont ratifiées et publiées. La ratification et la publication sont, en effet, les étapes successives et nécessaires dans la procédure d’admission. Mais, il faut aussi, de la part des pouvoirs publics, un effort constant de diffusion, d’explication et de simplification526 de ces lois pour qu’elles produisent leurs effets. La non observation de ces critères peut donc expliquer, en partie, les difficultés à mettre en œuvre les politiques de transport dans la CEMAC, au même titre que la faiblesse des institutions qui rend le droit incertain.

Notes
524.

P. F. GONIDEC, « Problèmes d’application de la législation en Afrique », in B.I.I.A.P., n°2, avril juin 1967, pages 7 à 29. Cité par A. Moyrand, « Réflexions sur les incertitudes de l’état du droit au Tchad – constat et propositions », in RIDC, Paris, Société de législation comparée, Juillet septembre 1989, n°3, page 602.

525.

République du Tchad, Ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération, Observatoire de la Pauvreté, Rapport de suivi des Objectifs du Millénaire pour le développement, année 2005, 33 pages ; République du Tchad, Rapport de suivi/évaluation de la Stratégie Nationale de Réduction de la Pauvreté, année 2005, 89 pages.

526.

J.-M. PONTIER (sous la dir. de), La simplification du droit, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, année 2006, 375 pages.