§3. Les moyens de sécurisation juridique

L’unification du droit devrait être le meilleur moyen pour apporter des garanties de sécurité pour les transporteurs routiers. Ceux-ci ne devraient plus avoir à s’interroger sur l’état du droit dans tel ou tel pays d’import ou d’export. S’ils connaissent les normes applicables aux affaires dans leur pays, ils maîtrisent du coup le droit applicable dans les Etats partenaires.

L’unification du droit permet, ensuite, d’éliminer les conflits de lois dans les relations commerciales internationales et leurs conséquences fâcheuses pour les plaideurs (lenteur des procédures pour rechercher la loi applicable ; application d’une loi non prévue par les parties, etc.). Lorsque la loi est identique d’un Etat à un autre de la zone intégrée, il est sans intérêt de rechercher la loi nationale applicable595. L’uniformisation du droit est ainsi un facteur de développement économique. C’est le moyen par lequel on peut réduire les coûts de transactions596 dans un processus d’intégration juridique et de construction du marché commun.

Cette voie n’a pas été retenue par la CEMAC qui, avec la technique d’harmonisation des droits, a choisi un processus d’intégration juridique a minima. Ceci a pour conséquence de préserver la diversité du droit597. Or, cette diversité des droits est un facteur important d’incohérence et d’insécurité, du fait qu’elle n’est ni maîtrisée, ni contrôlée. Elle favorise un pluralisme désordonné et de juxtaposition qui est préjudiciable à l’efficacité des politiques communes.

En effet, on sait bien que les règles applicables au transport routier sont indispensables pour assurer le bon fonctionnement des échanges transfrontaliers, et notamment pour déterminer la libre circulation des facteurs de production dans le marché commun. Or ces règles sont complexes car foisonnant, techniques, et issues de sources multiples. La difficulté est donc de faire en sorte qu’elles répondent aux exigences de sécurité juridique, en présentant un minimum d’accessibilité, de clarté, d’intelligibilité et de prévisibilité que présuppose ce principe.

Les opérateurs économiques éprouvent d’ailleurs un besoin particulier de sécurité juridique dans la mesure où leur stratégie est conditionnée par la nature de ces règles598. Ils sont tenus d’intégrer dans leurs calculs et leurs stratégies les données résultant du droit. La transparence des règles juridiques et la confiance que les opérateurs ont dans leur application apparaissent ainsi comme un élément fondamental du bon fonctionnement de l’économie de marché599.

De même, il n’y a pas de sécurité financière sans sécurité juridique. Il s’agit d’une exigence essentielle car elle conditionne la confiance des opérateurs. Le droit financier serait en fin de compte tout entier un « droit de sécurité financière ». Dès l’instant où ces règles comportent une dimension d’incertitude, elles ne permettent plus aux opérateurs économiques d’effectuer les anticipations nécessaires, d’où leur désarroi. L’exigence de prévisibilité, et par-là même de stabilité du droit en vigueur est ainsi particulièrement importante en matière économique.

Le changement imprévu de ces règles de droit risque, non seulement d’invalider les stratégies conçues par les opérateurs économiques, mais encore de fausser le jeu de la concurrence. Ce n’est donc pas par hasard que dans le domaine économique le principe de « confiance légitime » trouve son point d’application privilégié : pour les opérateurs économiques, l’impératif de sécurité juridique est entendu comme une exigence de stabilité du droit.

Dans la CEMAC, les conditions de sécurisation du transport routier ne sont pas réunies. Les initiatives prises pour coordonner l’action des acteurs qui agissent dans ce marché commun, comme les solutions jurisprudentielles arrêtées pour organiser la cohabitation avec l’OHADA, ne donnent pas un gage de sécurité suffisant pour les affaires. Ces incertitudes peuvent être limitées par la codification qui a pour fonction de remettre de l’ordre dans les systèmes juridiques concurrents, ou par l’uniformisation qui peut être considérée comme une ultime solution à la fragmentation et à la complexité de ces systèmes juridiques.

Notes
595.

J. Issa-Sayegh, « La problématique de la construction d’un droit du travail régional dans les pays africains de la zone franc », in Ohada D-04-09, pages 2 à 3.

596.

C. Witz, « Plaidoyer pour un code européen des obligations », in Pensée juridique française et harmonisation européenne du droit, Paris, année 2003, page 153.

597.

Sur la diversité des droits lire Jacques Foyer, « Diversité des droits et méthodes des conflits de loi », in H. Gaudemet-Tallon, Vers de nouveaux équilibres entre ordre juridique, Paris, Dalloz, année 2008, pages 57 à 70.

598.

J.-J. Sueur, « La sécurité juridique en droit public économique », in L. Boy, J.-B. Racine, Fabrice Siiriainen (sous la dir. de), Sécurité juridique et droit économique, éditions Larcier, Bruxelles, année 2008, pages 449 à 466.

599.

P. Dutru, « Sécurité juridique : l’approche du praticien. Le secteur des télécoms ou l’insécurité organisée ? », in Sécurité juridique et droit économique, éditions Larcier, Bruxelles, année 2008, pages 281 à 295. Lire aussi M. Delamas-Marty, M.L. Izorche, « Marge nationale d’appréciation et internationalisation du droit. Réflexions sur la validité formelle d’un droit commun pluraliste », RIDC, année 2000, n°4, page 757, spéc. Page 764.