1/ La codification du droit

La codification a pour objet de transformer le pluralisme enchevêtré des droits en une diversité organisée, selon les méthodes et des logiques nouvelles. « Il s’agit de composer une mosaïque, ce qu’on ne saurait faire en jetant ses divers éléments au hasard mais en les combinant de telle manière qu’il en ressorte un dessein d’ensemble le plus harmonieux possible 600 ». Cette organisation doit concerner à la fois les sources et le contenu du droit harmonisé.

La juxtaposition des droits CEMAC et de l’OHADA ne permet pas de garantir l’Etat de droit. L’un des moyens de résoudre le problème est de rechercher une plus grande lisibilité, une accessibilité et une cohérence de ce système par la codification dont l’objet est d’achever l’œuvre doctrinale déjà entamée sur la mise en cohérence et l’organisation de ces sources du droit601. Il s’agit de rechercher les points de convergence entre les différentes sources et d’élaborer une théorie générale de l’harmonisation du droit applicable aux contrats de transport. La doctrine s’accorde à reconnaître que la codification peut jouer cumulativement ou alternativement deux rôles : une mission socio symbolique et technique602. L’utilité de la codification dépend ainsi de la conception que l’on en retient. En effet, on peut l’envisager comme « le fruit d’une épistémologie positiviste du droit, fondée sur l’idée de hiérarchie des normes avec comme mission de mettre de l’ordre dans les règles de droit 603 ». Cette définition révèle une conception de la codification du droit qui ne laisse aucune marge d’appréciation au juge. La codification devient alors synonyme de rigidité dans le temps et d’uniformité dans l’espace.

La codification repose, par ailleurs, sur une vision nationaliste et symbolique604. Certains y voient «  l’expression d’un pouvoir, source de prestige personnel pour le souverain 605  » et le fondement d’un lien social. Cette conception, souvent retenue, explique pourquoi certains auteurs refusent, par exemple, un Code civil européen qui ne serait pas un facteur de progrès606 et qui pourrait illustrer la transformation de l’Union européenne en une véritable fédération, le Code possédant alors une forte valeur politique607. Il pourrait aussi symboliser la naissance d’une nation européenne et asseoir le pouvoir politique de l’Union européenne.

Une partie de la doctrine608 considère, à cet effet, que la codification du droit civil européen des obligations et des contrats est inutile, voire dangereux. Elle serait sans inspiration politique forte, repose sur une compétence juridique douteuse, porterait atteinte au pluralisme culturel de l’Europe et des nations qui la composent, et n’apporterait pas d’avantages économiques au développement des contrats. Tout au contraire, elle constituerait un risque de pétrification du droit et causerait une énorme et inutile secousse intellectuelle aux habitudes juridiques. En tout état de cause, les mentalités ne seraient pas prêtes pour accepter un tel code.

Il existe, pourtant, une autre vision de la codification. Car, le lien entre positivisme et codification n’est pas obligatoire. « La codification n’est autre chose que la remise en ordre du droit existant à des fins pratiques 609 ». Elle permet de fixer à l’avance les liens par lesquels les normes en présence s’articulent entre elles. Dans ce contexte, la codification du droit représente un instrument et non une fin en soi610. Cette utilité peut se détacher de la précédente. En simplifiant le droit, la codification satisfait alors l’objectif de sécurité juridique611.

La codification a également une utilité économique car la simplification peut, dans les faits, diminuer le coût global des lois et règlements et favoriser la concurrence, en améliorant la transparence. Elle peut donc être utile à l’harmonisation du droit du contrat qui, on l’a vu, recherche une cohérence, une plus grande lisibilité et accessibilité en raison de la multitude des sources, facteur d’insécurité juridique. La codification du droit du contrat pourrait ainsi présenter cet avantage de simplification et favoriser l’intégration normative de cette branche du droit. La codification du droit des contrats de transport de marchandises par route serait, par conséquent, comme le dit la doctrine, « le culte de la raison, de l’ordre dans l’esprit, de la cohérence et de la simplicité du droit 612  ». Cette forme de codification pourrait être facilement admise par les Etats, puisqu’elle correspondrait à une vision purement technique et même utilitaire.

La première méthode est une codification à droit constant qui consiste à établir une compilation des textes existants, sans modifier le contenu de ces textes, et en leur donnant une cohérence purement formelle613. Elle a l’avantage de regrouper l’ensemble des règles existantes sans modifier le contenu du droit. Par ailleurs, elle est simple à réaliser. Mais on peut se demander si elle serait suffisante dans la mesure où la multitude de textes entraîne aussi des incohérences sur le fond, qui seraient révélées dans ce travail de codification, sans être résolues614.

Une deuxième conception de codification se fait à droit constant, sous réserve des modifications nécessaires pour améliorer la cohérence rédactionnelle des textes rassemblés, et harmoniser l’état du droit. Pour garantir cette cohérence, la codification du droit supposerait une sélection des textes à codifier et, le cas échéant, d’en préciser ou d’en modifier les termes615.

Une troisième précision doit être apportée sur le contenu d’un tel code. Tout d’abord, la conception classique fait que les codes ne contiennent que les textes à valeur législative ou règlementaire et en sont exclues les règles non sanctionnées juridiquement ainsi que la jurisprudence616. A cet égard, la difficulté réside dans l’abondance de règles qualifiées de « droit mou » et qui ne trouvent pas leur place dans une hiérarchie des normes traditionnelles. D’autres auteurs, au contraire, proposent de donner une véritable valeur normative à l’ensemble des sources617. Il nécessite un véritable travail de simplification du droit pour rechercher notamment les grands principes généraux et pour limiter les détails, facteurs d’unification618.

En réalité, il ne doit pas s’agir d’une codification qui reprend in extenso l’ensemble des textes applicables. Elle consiste à partir de ces textes pour en dégager les principes directeurs, par le biais de l’induction amplifiante, une méthode de raisonnement qui se décompose en deux étapes : après avoir, dans un premier temps, identifié une suite de solutions disparates qui, mises en série, paraissent obéir à une inspiration commune, les auteurs remontent, dans une seconde phase d’analyse, au principe commun qui les gouverne toutes619. Par ailleurs, cette codification présente une particularité par rapport à l’induction non amplifiante. Elle tend à étendre à l’espèce tout entière l’affirmation ou la négation des prémisses620.

Une autre méthode est également envisageable dans la découverte des principes généraux, à l’instar de la démarche suivie par la Cour de Justice des Communautés européennes. Il s’agit d’opérer une sélection parmi les règles pour dégager la règle la plus opératoire, la plus efficace ou la meilleure. Pour cela, il faut déterminer la finalité de chaque règle et ne retenir que celle qui est la plus compatible avec les finalités poursuivies par l’intégration.

Cette technique pourrait être utile quand les différentes règles susceptibles de s’appliquer ne comportent pas la même idée directrice et mettent en œuvre une idée totalement différente621. Ce code pourrait donc comporter, soit des principes qui sont effectivement partagés par un nombre important d’Etats membres, soit ceux qui sont les plus efficaces pour satisfaire l’objectif poursuivi. Ainsi, ces principes seraient une solution pour aboutir à une véritable harmonisation et pour donner les règles applicables à de nouvelles hypothèses. Elle passe notamment par un travail de simplification et de recherche des convergences. Cela nécessite d’y consacrer le temps et des analyses comparatives approfondies, en prenant en compte les solutions jurisprudentielles, les pratiques et acquis communautaires.

Ce code doit aussi favoriser la codétermination de son contenu, par l’élaboration de règles non détaillées mais qui reprennent des grands principes. L’imprécision de la règle est souvent vécue comme une peur, tout comme un facteur important d’insécurité juridique par les opérateurs économiques. Cela s’explique par les modes de pensée traditionnels qui voient dans la loi, au sens matériel, une parole et non une écriture622. Cette conception de la loi, comme parole, ne laisse aucune place à l’interprète ou au destinataire de la règle et, évite tout arbitraire. C’est cette conception de la loi qui explique les théories de l’exégèse et du positivisme623. Cependant, la loi est aussi écriture et cela modifie la recherche de la signification de la loi. Le destinataire ainsi que l’environnement dans lequel la loi a été adoptée interfèrent nécessairement sur son sens. Dès cet instant, il est possible de parler de codétermination et de surdétermination de la loi. Elle ne doit donc pas être vue comme un facteur d’insécurité, mais comme un élément de richesse, de souplesse et d’évolution possible de la règle.

Cette codétermination par le destinataire de la règle permet de donner tout son sens à une règle624. Plus cette règle est imprécise ou moins prédéterminée, plus la codétermination joue un rôle important. Cette intervention du destinataire de la règle pour en déterminer le sens existe donc dans tous les cas, ave une amplitude variable. Dès lors, l’imprécision de la règle doit être acceptée car elle fait partie intégrante de toute règle de droit. Même la Constitution, pourtant présentée comme la norme suprême dans la pyramide de Kelsen, connaît une telle imprécision, facteur d’évolution et de stabilité625. Son sens n’a été véritablement déterminé que par les précisions apportées par le législateur, la pratique et le Conseil constitutionnel626. La codétermination présente, enfin, un dernier avantage. Elle favorise son évolution et évite un danger souvent un dénoncé, le blocage de l’évolution du droit627.

Une codétermination peut prendre plusieurs formes : il peut s’agir d’une précision du sens par le législateur national, par le biais des transpositions ou des réserves ou par le juge, lors de l’application de la règle à un cas d’espèce. En réalité, cette codétermination est inévitable, car la norme produite doit être incorporée par les Etats membres dans leur système juridique628.

Enfin, il faut apporter quelques précisions sur les principales dispositions que pourrait contenir un tel code. Il ne s’agit pas ici de faire un point précis de son contenu, mais de rappeler que malgré les différences importantes, des points de convergence peuvent être établis. Ainsi, la liberté contractuelle, la force obligatoire, l’obligation d’information, la rencontre d’une offre et d’une acceptation, la reconnaissance de la force majeure, les sanctions de l’inexécution sont les pistes qui peuvent être explorées pour mettre en place ce code. La codification reprenant uniquement les principes, sans contenir les détails d’application laissés à l’appréciation des Etats membres présenterait ainsi une utilité non négligeable : elle devrait assurer une mise en cohérence des textes en présence et les simplifierait en dégageant les idées directrices. Elle garantirait aussi la diversité tout en assurant leur convergence, en offrant une présentation cohérente et accessible de l’ensemble de ces règles. La codification du droit permettrait d’organiser à la fois la diversité des sources du droit et celle de leur contenu. Elle ne serait, en définitive, synonyme ni de rigidité ni d’unification.

Dans le contexte de la CEMAC, où les institutions manquent de moyens pour mener à terme une codification pertinente, il semble même plus simple, pour les Etats, de choisir l’efficacité et l’efficience, en promouvant davantage un droit uniforme pour sécuriser les affaires.

Notes
600.

M. Delamas-Marty, M.L. Izorche, « Marge nationale d’appréciation et internationalisation du droit. Réflexions sur la validité formelle d’un droit commun pluraliste », RIDC, année 2000, n°4, page 757, spéc. Page 764.

601.

B. Boumakani, « La coexistence de la Cour commune de justice de l’OHADA et de la Cour de justice de la CEMAC », in RDAI/IGLJ, n°1, année 2005, pages 93 à 94.

602.

J.-F. Niort, « Le nouveau Code Civil du Québec et la théorie de la codification : une perspective française », Droits, 1996, page 142 ; B. Fauvarque-Cosson, « Faut-il un Code civil européen ? », RTD civ., 2002, page 464, n°2.

603.

G. Samuel, « Existe-t-il une procédure de codification en droit anglais ? », RFAP, avril-juin 1997, page 210.

604.

Ph. Malaurie, « Les enjeux de la codification », AJDA, 1997, page 643.

605.

B. Oppetit, « De la codification », in La codification, 1996, pages 8 à 10 ; Y. Lequette, « Quelques remarques à propos du projet de Code civil européen de M. Von Bar », D., 2002, chr. 2205, n°8 et s.

606.

R. Schulze, « Le droit privé commun européen », RIDC, 1995, p.13, 14 ; 30-32 ; P.Legrand, « Sens et no-sens d’un Code civil européen », RIDC 1996, p.779 ; Ph. Malaurie, « Le Code civil européen des obligations et des contrats, une question toujours ouverte », JCP, 2002, éd. G, I, 110, n°11 : « La codification est une idée traditionnelle devenue ancienne et archaïque qui ne correspond plus aux besoins nouveaux de l’Europe » et n°17 .

607.

D. Tallon, « Les travaux de la commission Lando », in L’harmonisation du droit des contrats en Europe, 2001, p. 123 ; H. Beale, « La commission Lando : le point de vue d’un common law lawyer », p. 138 ; E. Catta, « Les techniques de codification : de la cire au silicium », AJDA, 1997, p. 647-648 : un code est le symbole de la construction d’une nation ou l’image du fonctionnement d’un Etat.

608.

G. Cornu, « Un Code civil n’est pas un instrument communautaire »., année 2002, chr. 351. Cité par L. FIN-LANGER, « L’intégration du droit du contrat en Europe », in M. delmas-marty, critique de l’intégration normative, Paris, Presse universitaire de France, année 2004, page 88.

609.

D. Tallon, « La codification dans le système de common law », Droits, année 1998, page 41.

610.

G. Braibant, « Utilité et difficultés de la codification », Droits, 1996, page 72 ; B. Oppetit, « L’avenir de la codification », Droits, 1996, p.75 : les objectifs peuvent être purement techniques sans visée messianique, comme c’est le cas pour le Code civil québécois : R. Cabrillac, « Le nouveau Code civil du Québec », D., 1993, chr. 268.

611.

Conseil constitutionnel, 16 décembre 199, JO du 22 décembre 1999, p.19041 ; N.Molfessis, « Les illusions de la codification à droit constant et la sécurité juridique », RTD ci., 2000, p.186 et s. : en rendant le droit plus accessible et plus intelligible, la codification satisfait l’objectif à valeur constitutionnelle : la sécurité juridique

612.

Ph. Malaurie, « Les enjeux de la codification », AJDA, 1997, p.643 ; E. Catta, « Les techniques de codification : de la cire au silicium », AJDA, 1997, p.648 : le code est aussi aujourd’hui un facteur de modernisation du droit ; Y.Robineau, « A propos des limites d’une codification à droit constant », AJDA, 1997, p.659 : la codification permet de rendre du sens à cette confusion et prolifération des normes ; G. Braibant, « Utilité et difficultés de la codification », Droits, 1996, p.64 et s. ; R. Cabrillac, « Le nouveau Code civil du Québec », D., 1993, chr. 271, n°14 qui la présente « comme un remède à la crise des sources du droit » ; B. Oppetit, « De la codification », in La codification, sous la dir. de B. Beignier, p.10 ; J.-B. Racine, « Pourquoi unifier le droit des contrats en Europe ?, Plaidoyer en faveur de l’unification », Rev. Droit EU, 2/2003, p.397, n°35 et s.

613.

S. Magnin, « La codification du droit communautaire », AJDA, 1997, page 678 ; N. Charbit, « L’esperanto du droit ? La rencontre du droit communautaire et du droit des contrats », JCP, 2002, éd. G, I, 100, n°17. Parfois derrière cette méthode se cachent de véritables innovations : P.-Y. Gautier, « De l’art d’être furtif, le « droit constant » du code de la propriété intellectuelle et de la consommation », in La codification, année 1996, pages 107 et s.

614.

B. Oppetit, « De la codification », in La codification, 1996, page 16 ; A. Chamboredon, « La texture ouverte du Code européen du droit des contrats », JDI, 2001, p.30, n°49.

615.

A. Lienhard, C. Rondey, « Incidences juridiques et pratiques des codifications à droit constant, à propos du nouveau Code de commerce », 2000, chr. 521. Le Conseil constitutionnel a précisé une limite : cela n’autorise pas pour autant la modification du contenu quant au fond.

616.

S. Magnin, « La codification du droit communautaire », AJDA, 1997, p.678. Cette position se comprend si l’on retient une conception traditionnelle de la codification à droit constant : l’autorité qui codifie ne prend en compte que les normes qu’elle a elle-même édictées. Ce constat a été fait pour le droit français, mais le raisonnement est le même pour l’Union européenne : Y. Robineau, « A propos des limites d’une codification à droit constant », AJDA, 1997, p.656.

617.

D. Tallon, « Les travaux de la commission Lando », in L’harmonisation du droit des contrats en Europe, 2001, p.123-124.

618.

Ph. Malinvaud, « Réponse- hors délai- à la Commission européenne : à propos d’un Code européen des contrats », D., 2002, chr.2545 ; Com. 2003/0068/final, JOCE, 15 mars 2003, n° C 063, point n°7.

619.

E. Savaux, La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, thèse, Paris I, année 1993, n°182

620.

L. Silance, « Un moyen de combler les lacunes en droit, L’induction amplifiante », in Le problème des lacunes en droit, 1968, p.507.

621.

D. Simon, « Y a-t-il des principes généraux du droit communautaire ? », Droits, année 1991, pages 80 à 81.

622.

G. Timsit, Les noms de la loi, PUF, 1991, page 44 : « La loi, parole de Dieu, de l’Un, de l’Unique – ou de son substitut laïque, l’Etat. Sacralisation de la loi qui, comme expression de la volonté de l’Un, ne peut avoir qu’une interprétation unique parce qu’elle est volonté – et par conséquent – vérité découlant de l’autorité de l’Un. »

623.

H. Kelsen, Controverses sur la théorie pure du droit, Paris, éditions Panthéon-Assas, année 2005, 186 pages.

624.

G. Timsit, Les noms de la loi, PUF, 1991, p.131 : « La loi est écriture. Offerte au lecteur, elle ne prend son sens et ne s’achève que dans la lecture qui en est faite ».

625.

Le sens change alors que la règle reste identique : J. Chevallier, « Vers un droit postmoderne », in Les transformations de la régulation juridique, p.28.

626.

F. Ost, M. Van de Kerchove, « De la pyramide au réseau? Vers un droit postmoderne », in Les transformations de la régulation juridique, p.28.

627.

J.F. Niort, « Le nouveau Code civil du Québec et la théorie de la codification : une perspective française », Droits, 1996, p.140 et s.

628.

L’Etat joue le rôle d’un destinataire intermédiaire. Cf. J. Chevallier, L’Etat postmoderne, LGDJ, Droit et Société, 2003, p.119-120.