§1. Les risques politiques

Le premier risque politique est celui du changement, par les Etats, de l’environnement législatif et réglementaire dans lequel s’insère le projet. L’« Etat/législateur » a la maîtrise de son droit interne. Ainsi, sa décision souveraine de modifier telle ou telle disposition des clauses d’un contrat peut se traduire, sur le plan économique et financier, par un bouleversement de l’équilibre de l’opération d’investissement, au détriment du partenaire privé.

Les modifications législatives dont l’application est préjudiciable aux intérêts des investisseurs sont nombreuses : instauration d’un nouvel impôt sur les bénéfices ou d’une nouvelle taxe, modification par voie réglementaire des tarifs de vente au public du service concédé, édictions de nouvelles normes environnementales, suppression rétroactive d’avantages.

Ces manifestations de la souveraineté644 montrent l’incertitude dans laquelle sont placés les investisseurs impliqués dans l’exécution d’un projet d’infrastructures. Toutefois, le risque de modification de l’environnement législatif et réglementaire dépend de la stabilité politique du pays d’implantation du projet. Il se confond au « risque pays » comme déterminé par les agences de garantie des investissements. L’ « aléa législatif » dépend ensuite de la durée du projet et des contrats qui lui sont associés. Le cocontractant est exposé à un aléa important lorsque le projet n’a pas de date de terme prévisible, ou que la durée des contrats est très longue.

Enfin, l’intensité du risque de changement de législation est fonction de l’intégration, plus ou moins profonde du contrat sur lequel s’appuie le projet dans l’ordre juridique de l’Etat partenaire. Ainsi, lorsque les parties choisissent de soumettre leur relation contractuelle au droit de l’Etat partenaire, le risque de remise en cause des droits et obligations nés du contrat par une loi nouvelle de circonstance est plus élevé. La législation relative à la fiscalité, à l’environnement ou aux normes de sécurité publique peut mettre à la charge de l’investisseur des obligations nouvelles, avec pour conséquence, une augmentation substantielle de ses charges.

Le second risque politique, propre à toutes formes d’investissement étranger, est celui d’un traitement injuste ou inéquitable émanant des autorités locales du pays d’implantation. Au nombre de ceux-ci, peuvent être cités les réquisitions ou les confiscations provisoires des biens et matériels, les retraits temporaires d’autorisations, de permis ou de licences, les tracasseries administratives, les menaces sur les personnes, les expulsions de personnels expatriés.

Ce type de comportement des autorités étatiques est fréquent dans les pays en proie à des difficultés politiques. La pratique juridique emploie le terme d’expropriation rampante ou indirecte pour qualifier ces mesures. Lorsque l’investisseur privé est victime d’un fonctionnement défectueux des services administratif, militaire ou policier de l’Etat d’accueil, ce traitement peut être qualifié d’injuste, d’inéquitable et de discriminatoire. Il est, par conséquent, contraire aux principes d’égalité et de non discrimination entre les opérateurs économiques.

La mobilisation des capitaux privés pour le financement des infrastructures routières dans la CEMAC dépend, par conséquent, de la capacité des Etats membres à prendre en compte ces risques qui peuvent d’ailleurs être atténués, grâce aux traités de protection des investissements conclus entre les Etats, ou le recours à l’arbitrage qui permet de régler les contentieux645.

Le risque de modification de l’environnement législatif du projet peut être maîtrisé en ayant recours aux clauses de stabilisation et de clauses d’intangibilité. Ces clauses contractuelles ont pour objectif de geler la législation de l’Etat d’accueil à une date choisie par les parties, en général celle de la conclusion du contrat. Elles placent le cocontractant privé à l’abri des modifications législatives opérées par le partenaire étatique pendant le cours du projet.

Le contenu rédactionnel et le champ d’application de ces clauses varient en fonction du pouvoir de négociation que peut détenir l’investisseur privé dans ses rapports avec le partenaire étatique, et du droit national qui est choisi par les parties pour régir leurs relations contractuelles. Certaines clauses garantissent l’investisseur contre toute atteinte aux droits qu’il tient du contrat646. Dans d’autres cas, la clause de protection contre l’aléa législatif peut viser expressément l’hypothèse du changement de législation. Elle prévoit alors un gel de celle-ci à la date de conclusion de l’accord et une protection des droits acquis à cette date par l’investisseur privé647.

Ces clauses de stabilisation législative et d’intangibilité qui limitent l’exercice par l’Etat de sa compétence législative ont aujourd’hui une validité largement reconnue et consacrée648. De plus, le recours à l’arbitrage offert par les traités bilatéraux de protection des investissements se présente comme un mode efficace de règlement des différends nés de la participation des investisseurs privés au financement des infrastructures de développement en Afrique. Des centres privés d’arbitrage, tels que la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) 649 dont le siège est à Paris, ou celui de la London Court of International Arbitration en Angleterre, administrent chaque année plusieurs centaines de procédures d’arbitrage et de conciliation opposant des parties, privées ou publiques, venant des cinq continents et opérant dans la quasi-totalité des secteurs de l’activité économique.

Ce mouvement de faveur envers l’arbitrage s’est traduit en Afrique par la création d’un nouveau centre d’arbitrage, la Cour Commune de justice et d’Arbitrage de l’OHADA650 dont le siège est à Abidjan. Au plan législatif, un droit uniforme de l’arbitrage a vu le jour couvrant la quasi-totalité de la zone. Ainsi, pour régler les litiges liés au projet d’infrastructures, partenaires privés et publics prévoient souvent l’insertion de clauses d’arbitrage dans leurs contrats651  qui donnent au financeur privé des garanties pour assurer la viabilité du projet auquel il participe. Ainsi, l’arbitrage qui est né des besoins de la pratique commerciale internationale, joue un rôle important dans le règlement des différends opposant les investisseurs privés internationaux à leurs homologues locaux et aux Etats et entreprises africains.

Le succès de l’arbitrage tient à trois traits éléments: neutralité, confidentialité et efficacité. La neutralité d’abord car, à la différence des juges et magistrats étatiques, les arbitres ne sont pas inscrits dans une hiérarchie judiciaire ou administrative nationale ni confrontés au problème de leur indépendance vis-à-vis d’un quelconque pouvoir politique. Ils ne rendent pas la justice au nom d’une collectivité nationale mais exercent leur mission juridictionnelle dans l’intérêt des parties qui les ont nommées et dans le cadre procédural tracé par ces dernières.

Confidentialité ensuite, car les investisseurs privés ne désirent pas toujours informer l’opinion publique ou leurs concurrents de l’existence d’un différend les opposant à telle ou à telle administration publique dans un secteur donné. Ceci est vrai pour la réalisation des grands projets de concessions qui participent à la politique de développement que mènent les Etats africains, comme pour les litiges s’élevant des contrats de fourniture ou d’équipement conclus dans les domaines « sensibles » au plan technologique ou militaire. En ayant recours à l’arbitrage, les entreprises internationales, grandes ou moyennes, disposent d’un instrument de règlement discret des différends, adapté à leur souci légitime de préserver le secret de leurs affaires.

Efficacité enfin, car l’arbitrage permet de faire trancher le litige par des professionnels, de façon définitive et obligatoire. La possibilité offerte aux parties de nommer elles-mêmes les arbitres leur assure en effet un règlement de leur différend par des spécialistes des secteurs économiques concernés disposant, en général, d’une solide expérience dans le domaine commercial ou industriel. Du fait du concours que doivent enfin apporter les justices étatiques au stade de l’exécution de la sentence et des possibilités limitées de recours ouverts contre les sentences arbitrales, la partie gagnante d’un arbitrage dispose des moyens d’exécuter la décision.

Ainsi, les principes de l’arbitrage sont la validité de son recours, la libre désignation des arbitres par les parties, l’incompétence des tribunaux étatiques dans un litige soumis à l’arbitrage, la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales. Ces principes sont un moyen de sécurisation des investissements mis à la disposition des privées, lorsqu’ils font face à des contraintes liées à la modification de l’environnement législatif du projet d’infrastructure.

Il existe, par ailleurs, des risques commerciaux qui portent sur la possibilité que le projet ne génère pas les recettes attendues, en raison d’une évolution des prix du marché ou de la demande des biens et services produits. Ces risques commerciaux peuvent limiter l’aptitude de la société de projet à assurer le service de sa dette et compromettre la viabilité financière du projet.

Notes
644.

L’exemple du projet pétrolier tchadien qui s’est soldé par le retrait de la Banque mondiale, après la modification par l’Etat de la loi, et l’utilisation des fonds dans les domaines non prévus (notamment militaires), illustre l’incertitude dans laquelle peuvent être engagés les investisseurs en raison de l’exercice du principe de souveraineté.

645.

Le paragraphe 2 du préambule de la Charte des investissements CEMAC dispose que « [les Etats membres] adhèrent aux dispositifs de garantie des investissements, y compris ceux relatifs aux procédures de Cours arbitrales internationales, à la reconnaissance et l’exécution de leurs sentences ».

646.

Par exemple : « les dispositions de la présente Convention ne peuvent être abrogées ou modifiées qu’en vertu d’un accord entre les parties ».

647.

Par exemple : « le droit régissant le marché sera le droit (de l’Etat X) en vigueur à la date de la signature du présent marché. Le présent marché prévaudra sur toutes les dispositions contraires du droit interne public, administratif ou privé qui pourraient intervenir (dans l’Etat X) et ce, sans exception ni réserve ».

648.

Ces clauses sont créées par la pratique au début des années 50, puis contestées par certains courants doctrinaux au cours des années 1970, au nom de la souveraineté des Etats nouvellement indépendants. Cf. D. Tapin et F. Yala, « Les projets d’infrastructures en Afrique : évolution et sécurisation des contrats », in Accomex, novembre/décembre 2001, n°42, page 56.

649.

E. Teynier et F. Yala, « Chambre de commerce et d’industrie de Paris un nouveau centre d’arbitrage en Afrique subsaharienne » , in http://www.ohada.com/imprimable.php?type=doctrine&id=176.

650.

J. Issa-Siyegh, « la fonction juridictionnelle de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des affaires », in http://www.ohada.com/imprimable.php?type=doctrine&id=162.

651.

Ces clauses compromissoires, outre la désignation de l’organisme d’arbitrage, peuvent fixer les modalités de sa constitution, le nombre et la nationalité des arbitres, le lieu de l’arbitrage dont dépend le régime des voies de recours, la langue de la procédure.