§2. Les risques commerciaux

Avec les réformes, l’exploitation des routes à péage dans la CEMAC devra être tributaire des recettes perçues dont le montant dépend à la fois du niveau des tarifs, du volume du trafic et de l’efficacité de la perception. En ce qui concerne le risque sur les tarifs, il va de soi que le promoteur n’investira que s’il est satisfait du mécanisme de fixation des niveaux de péage.

Le risque sur le volume du traficse mesure à partir des prévisions de fréquentation d’une route. Si le volume du trafic de base n’est pas suffisant, ni la société concessionnaire, ni les banques ne sont seront prêtes à assumer la totalité du risque. L’Etat devra, en ce cas, apporter un minimum de soutien dont la forme et la durée peuvent varier en fonction des circonstances.

Le risque sur l’efficacité de la perception des recettes est assumé par le concessionnaire. Il insistera auprès de l’Administration pour qu’elle n’impose pas d’exigences d’emploi trop lourdes et cherchera à automatiser les postes de péage et à y installer un système de sécurité satisfaisant. Ces risques commerciaux sont considérables lorsqu’en raison de l’existence d’installations concurrentes, il est difficile d’établir une prévision fiable de l’usage de la demande. C’est le cas des projets de routes payantes affrontant la concurrence de routes gratuites.

En fonction de la facilité avec laquelle les conducteurs peuvent accéder à des routes gratuites, les recettes de péages peuvent être difficiles à prévoir, surtout dans les zones urbaines où il peut exister de nombreux itinéraires concurrents et où des routes peuvent être construites ou améliorées en permanence. De surcroît, la circulation est encore plus difficile à prévoir pour de nouvelles routes payantes, surtout lorsqu’elles ne complètent pas un système existant d’ouvrages à péages, car il n’y a pas de modèle de circulation pouvant servir de base de prévisions.

Le fonctionnement du réseau routier intégrateur de la CEMAC révèle l’importance de ces risques commerciaux. Une étude réalisée par SCET-Cameroun montre que les projections de trafic journalier des véhicules légers camionnettes en 1998 étaient de 178 véhicules. Elles devraient atteindre 259 véhicules en 2004, et 360 véhicules en 2013. Pour les Poids lourds, les totaux devraient être de 108 en 1998, de 134 en 2004 et de 187 en 2013. Une enquête de trafic (origine destination) réalisée en 2004 montre une nette différence entre ces prévisions et la réalité.

A l’horizon 2004, les prévisionnistes attendaient 134 poids lourds par jour, alors qu’il n’y en a eu que 80, soit une différence significative de 54 Poids Lourds. Les projections de trafic effectuées par les études ont donc été surestimées. La route Bertoua-Garoua Boulaï, par exemple, n’a pas eu d’effets significatifs sur le développement des échanges entre la RCA et le Cameroun652.

Par ailleurs, il n’existe pas d’études de suivi et de statistiques de comptages de trafics fiables pour établir des liens fermes entre l’amélioration globale du réseau routier régional, l’augmentation ou non des trafics intra régionaux et la réduction ou non des coûts de transports sur les corridors régionaux. Mais, une observation des trafics internationaux entre le Cameroun et le Tchad montre que les trafics de marchandises représentent à eux seuls 85 à 90% des flux internationaux ; le reste se fait principalement avec le Nigeria. Au niveau des volumes globaux, il est constaté une augmentation régulière des tonnages entre 2000 et 2004653.

Les coûts et délais du transport routier de transit des produits sur les corridors régionaux sont aussi élevés, surtout pour les pays enclavés. L’acheminement d’un conteneur de 20 pieds de Douala au Cameroun vers N’Djaména au Tchad revient à environ 4500 euros, soit trois fois le seul coût du transport maritime depuis l’Europe (environ 1 500 euros) ; et le délais d’acheminement est en moyenne de 6 semaines au lieu d’une semaine normale. Le tronçon Ngaoundéré-N’djaména peut se faire en 10 jours, mais parfois il dure jusqu’à trois semaines654.

La rotation d’un poids lourd est actuellement de 3 fois par mois sur l’axe Douala-Bangui. Sur l’axe Douala-Ndjaména, elle est de une et deux fois exceptionnellement. Les retours sur la voie Ndjaména-Douala s’effectuent systématiquement à vide. Selon une étude de la Banque mondiale655, les coûts de transport sur les corridors africains sont deux fois plus élevés que ceux observés dans les autres régions du monde. Ces coûts sont dus à la faiblesse des infrastructures, à une utilisation très limitée des moyens de transport et aux barrières non tarifaires.

Il apparaît à la lecture de ces données disponibles sur le réseau routier intégrateur de la CEMAC que les obstacles les plus importants pour la participation des privés aux financements des infrastructures sont les risques liés au volume des recettes qu’elles génèrent et le faible niveau du trafic. D’autres contraintes comme la faiblesse du système bancaire et financier656 l’instabilité politique et sociale ne permettent pas à la sous-région d’être attrayante.

Notes
652.

Ce manque à gagner pourrait s’expliquer par la baisse de l’activité en République centrafricaine pendant la guerre civile, et par le fait que des poids lourds (grumiers) évitent les deux stations de pesage situés aux extrémités de la route BGB ( Mandjou et Garoua Boulaï ) et passent par l’ouest du pays pour atteindre le port de Douala.

653.

Cette évolution s’explique par des importations massives d’équipements industriels et des produits manufacturés et alimentaires destinés aux travaux de mise en exploitation des champs pétroliers de Doba au Tchad qui se sont déroulés entre 2001 et 2004.

654.

En comparaison avec l’Afrique de l’Ouest, le coût de transport terrestre est très élevés en Afrique Centrale. Cf. O. Cadot (sous la dir. de), « étude diagnostic sur l’intégration commerciale », Rapport de l’Equipe d’experts, DRAFT, juin 2005.

655.

L. Nuno and A. J. Venables « Infrastructures, geographical disadvantage, transport costs and trade », World Bank Economic Review Vol. 15, N°3, 451-479.

656.

A. Toto Same, « le financement du développement de l’Afrique subsaharienne par des capitaux privés et publics externes : Le cas du Cameroun », ANRT, Lille, année 1999, 635 pages ; D. Avon et D. Gbetnkom, « La surveillance multilatérale des politiques budgétaires dans la zone CEMAC : bilan et perspectives », in Mondes en Développement, volume 31-2003/3-n°123, pages 107 à 125.