§3. Le mécanisme de surveillance multilatérale

La Charte des investissements, à son article 22, consacre la nécessité pour les Etats de conduire une politique économique saine, dans le cadre d’un mécanisme de surveillance multilatérale. Il s’agit d’assurer la convergence entre les politiques budgétaires nationales et la politique monétaire commune. Ce mécanisme s’appuie sur des indicateurs de surveillance et sur un ensemble de variables reprises dans un tableau de bord macro-économique pour suivre et interpréter les évolutions économiques des Etats et de l’Union économique666. Ainsi, les Etats membres s’astreignent à respecter une discipline budgétaire en s’interdisant tout déficit public excessif.

Les critères de convergence dont le non-respect entraîne des sanctions667 à l’encontre des Etats membres sont au nombre de quatre. Il s’agit du solde budgétaire de base rapporté au Produit Intérieur Brut qui doit être positif ou nul668; du taux d’inflation annuel qui doit être inférieur ou égal à 3% ; du taux d’endettement public qui doit être inférieur ou égal à 70% du PIB669; de la non accumulation par l’Etat d’arriérés intérieurs et extérieurs sur la gestion courante670.

L’appréciation du respect de ces critères par les Etats est faite sur la base d’un programme triennal de convergence. Le rapport d’exécution de la surveillance multilatérale pour l’année 2004671 montre un résultat globalement satisfaisant de la politique économique conduite dans les Etats membres durant cette période. Au 31 décembre 2004, le solde budgétaire de base dégagerait, pour l’ensemble de la Communauté, un résultat positif de 6,7% du PIB, ce qui est supérieur à la norme communautaire qui recommande un solde positif ou nul.

S’agissant de l’inflation, avec un taux de 1,2% à la fin du mois de décembre 2004, la Communauté respecterait le plafond fixé pour ce critère qui est de 3%. En ce qui concerne le taux d’endettement public, il a été calculé sur la base de la dette publique extérieure et intérieure pour l’ensemble des Etats. A l’exception de la Guinée Equatoriale, les données disponibles montrent un niveau d’endettement de l’ensemble de la Communauté de 59,0% qui respecte le taux d’endettement public autorisé qui devait être inférieur ou égal à 70% du PIB672.

Enfin, pour le critère relatif à la non accumulation des arriérés extérieurs et intérieurs pendant la gestion courante, les données relatives à leur suivi ne sont pas disponibles dans la majorité des Etats membres, à l’exception de la RCA673. Ainsi, l’hypothèse retenue dans le Rapport est celle du non respect de ce critère La plupart des Etats n’ont engagé aucune action pour évaluer le stock de ces arriérés intérieurs, et encore, mis en œuvre un plan de leur apurement.

En plus des quatre critères, la surveillance multilatérale dans la CEMAC s’appuie sur un ensemble d’indicateurs traités comme des repères indicatifs. Ceux-ci permettent de procéder à un diagnostic plus approfondi sur l’évolution économique et financière de la Communauté. Dans ce cadre, cinq indicateurs sont examinés, à savoir le solde budgétaire primaire, le taux de couverture extérieure de la monnaie, le taux de pression fiscale, la variation comparée de la masse salariale et des recettes de l’Etat et le déficit du compte courant.

Le Rapport présente encore des résultats positifs quant à l’observation de ces critères. Ainsi, le solde budgétaire primaire qui doit être positif pour couvrir les charges de la dette représenterait 8,4% du PIB à la fin décembre 2004. Lez taux de couverture extérieure de la monnaie serait de 73,9% pour l’ensemble de la zone, bien au-delà de la norme communautaire de 20,0%. Concernant le taux de pression fiscale qui traduit l’effort de recouvrement des recettes de l’Etat pour faire face à ses charges, le niveau communautaire de 21,0 du PIB est comparable au niveau moyen de la zone Franc. Quant à la masse salariale, sa variation en 2004 (+4,9%) serait inférieure à celle des recettes publiques (+22,7%). Enfin, s’agissant du compte courant, le déficit communautaire ferait place à un excédant et représenterait 1,0 du PIB en 2004.

Au vu de ces résultats, la tendance est que les Etats tentent tant bien que mal d’observer une discipline budgétaire. C’est un signe pour les investisseurs privés envers qui la région attend plus de présence. Mais, ces efforts doivent être durables, pour porter leurs fruits. Car, la poursuite d’orientations contradictoires, les reculades et le manque de détermination dans la mise en œuvre des réformes et des politiques découragent inéluctablement l’investissement674. Si ces efforts sont poursuivis, une augmentation des capitaux privés est possible car la région est dotée de richesses naturelles dont l’exploitation, dans un climat de stabilité, de discipline budgétaire et de bonne gouvernance, permet de réaliser de bonnes affaires.

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la recherche de l’équilibre macroéconomique a des répercussions négatives sur les besoins à long terme. En effet, pendant que les efforts sont faits pour rétablir les équilibres, le fonctionnement des administrations n’a eu de cesse de se dégrader. La réforme a eu pour effet d’effriter les niveaux de salaire. Elle a entraîné la perte morale des fonctionnaires, et a accru le niveau de corruption dans la fonction publique. La chute des indicateurs sociaux a ainsi entraîné la perte de capital humain.

En dehors du cadre macroéconomique, qui doit être caractérisé par de faibles déficits budgétaires, une inflation modérée et un taux de change compétitif qui peuvent attirer les investissements, d’autres éléments comme la stabilité politique et sociale sont aussi importants. Or, avec une espérance de vie moyenne à la naissance de 50 ans et un taux de mortalité infantile de 89/1000, on constate que les indicateurs sociaux de la région ne sont pas flatteurs.

En outre, le taux de HIV/Sida parmi les jeunes adultes est de près de 13% en RCA à 4% au Tchad et au Gabon en passant par 12% au Cameroun et 7% au Congo. Si l’incidence de cette épidémie est encore plus faible que les niveaux constatés dans des régions comme l’Afrique australe, il y a beaucoup de raisons de s’inquiéter car le SIDA a déjà pris des caractères d’une épidémie dans la CEMAC. Les études empiriques réalisées montrent que lorsque le taux de HIV atteint ou dépasse 20% de la population, la croissance du PIB peut décliner de 2% par an, en raison de la réduction de la population active et de l’augmentation des coûts de production. Elle a donc des effets négatifs tant en termes de conséquences humaines que de répercussions microéconomiques sur le revenu des ménages et d’effets sur la production.

Sur le plan de la stabilité politique, le Tchad675, la RCA676 et le Congo677 ont connu des guerres civiles, des coups d’Etat et des affrontements ethniques. En plus de ces problèmes internes, les économies de ces pays ont été confrontées à des effets de contagion des conflits des pays voisins (le Nigeria, la RDC, le Soudan et l’Angola). De plus, le Cameroun et le Gabon qui ont des régimes stables, qui sont économiquement plus développés, et qui devraient jouer le rôle de leadership, n’ont pas été à la hauteur des attentes. Ainsi, d’importants aspects politiques et sécuritaires handicapent l’accès de la sous région aux financements privés.

L’instabilité politique, l’agitation sociale et les conflits internes et entre Etats ont un effet fortement dissuasif sur l’investissement. L’instabilité politique fait courir un grand risque aux droits de la propriété et à la sécurité des investissements, outre que la conduite normale des affaires est rendue difficile par l’irrégularité du transport et des communications et leurs interruptions. Les conflits internes peuvent avoir un effet de contagion sur les pays voisins, car l’instabilité qui règne dans un pays retentit nécessairement sur la sous région. La stabilité politique est enfin une affaire de confiance des citoyens dans leur gouvernement. Cette confiance est érodée par l’arbitraire, la corruption et les actions répressives des gouvernants.

Il faut enfin plus qu’une reconnaissance pour que les privés deviennent un outil efficace de financement des infrastructures routières. Les entreprises locales ont besoin de chef d’entreprises novateurs, des cadres compétents, de la main-d’œuvre qualifiée, et des procédures administratives rationnelles pour être véritablement opérationnels678. Les financeurs privés étrangers ont, quant à eux une aversion pour un environnement politique et économique incertain. Celui de la CEMAC est marqué par la faiblesse des circuits financiers privés pour le drainage de l’épargne locale, par des réseaux bancaires embryonnaires, et par des marchés financiers étroits. De même, le ralentissement des entrées en devises, la stagnation des flux multilatéraux d’épargne et d’investissement, et les exigences du service de la dette font que la sous région se caractérise par « un horizon peu dégagé 679 ». Il faut aussi lutter contre la corruption pour sécuriser les investissements destinés aux infrastructures routières.

Notes
666.

Article 55 de la Convention régissant l’UEAC

667.

La procédure conduisant aux sanctions et leur nature sont décrites dans les articles 59, 60 et 61 de la Convention régissant l’UEAC.

668.

Ce solde budgétaire de base exclut les dons et les investissements extérieurs.

669.

La dette publique totale est l’ensemble des dettes publiques intérieure et extérieure à court et long terme.

670.

Le cumul des arriérés est la somme nette des arriérés de paiement intérieurs et extérieurs.

671.

CEMAC, Rapport intérimaire d’exécution de la surveillance multilatérale pour l’année 2004 et perspectives 2005, novembre 2004, 58 pages.

672.

Le taux d’endettement du Cameroun, du Gabon et du Tchad serait respectivement de 52,7%, 50,1% et 27,5%. Il est plus préoccupant pour la RCA et le Congo qui présentent un taux d’endettement respectif de 175,1% et de 116,7 du PIB.

673.

Les chiffres disponibles d’accumulation d’arriérés de la RCA serait de 8,0 milliards de FCFA.

674.

Par exemple, pour le Cameroun qui est la locomotive de la sous-région, la BEAC a déploré en septembre 2004 « les imprécisions de la trésorerie nationale et le décalage existant entre l’encaissement des recettes et l’exécution des dépenses ».

Le FMI a aussi relevé plusieurs dysfonctionnements dont une mauvaise gouvernance générale et un manque de transparence et de coordination de l’action gouvernementale. Par conséquent, des efforts sont encore à faire pour convaincre les investisseurs de venir dans la sous-région. Cf. Jeune Afrique l’intelligent, l’état de l’Afrique 2005, page 198.

675.

Le Tchad a vu le retour d’affrontements armés dans le nord et l’est du pays ainsi qu’à la frontière avec la République centrafricaine.

676.

LA RCA a été affligée par des oscillations entre phases autoritaires et phases démocratiques du fait d’une immixtion chronique des militaires sur la scène politique.

677.

En République du Congo, le conflit ethnique armé de 1998-99 a fait plus de 50 000 morts. Il est fait état du maintien de groupes rebelles armés actifs sur le bas Congo ainsi que d’incidents frontaliers à la frontière avec l’enclave de Cabinda.

678.

Secrétariat de l’ONUDI, « renforcement des capacités pour le développement du secteur privé en Afrique », Conférence sur le partenariat industriel et l’investissement en Afrique, Dakar, Sénégal, 20-21 octobre 1999, 24 pages.

679.

S. Goumeziane, « un horizon peu dégagé », in Jeune Afrique L’Intelligent- L’état de l’Afrique 2005, page 90.