Section 3. La lutte contre la corruption

Pour sécuriser le financement de ses infrastructures, la CEMAC doit mettre en place des politiques qui s’appuient sur des mécanismes de bonne gouvernance680 dans le domaine des marchés publics681. Ces mécanismes doivent être conçus en termes de règles, d’institutions et de procédures, et en fonction des objectifs de bonne gestion et d’allocation efficace des ressources682. Trois principes déterminent l’exécution de ces marchés : l’égalité et la liberté d’accès à la commande publique qui implique l’interdiction administrative et pénale du favoritisme, l’interdiction du fractionnement et l’obligation d’une mise en concurrence régulière ; le principe de transparence qui implique l’accomplissement des mesures de publicité et d’information a priori et a posteriori ; le principe d’efficience et de maîtrise des dépenses publiques qui implique la mise en œuvre de contrôles réels et des possibilités de sanctions. Ces principes s’imposent aux autorités contractantes, aux soumissionnaires et aux institutions chargées de contrôle. Mais, ils ne sont pas souvent respectés, et la mise en concurrence des entreprises, en matière de passation des marchés publics ne les respecte pas toujours683.

En effet, la passation des marchés devrait s’effectuer sur la base de la définition des besoins à satisfaire, l’existence des crédits, la régularité juridique des procédures de mise en concurrence et de publicité (appel d’offre, avis de publicité aux journaux d’annonces légales, etc.). Ces conditions sont contenues dans des dossiers de consultation des entreprises (DCE) élaborés par le maître d’ouvrage, en collaboration avec des personnes techniquement compétentes, et qui doivent être bien formées aux procédures de passation des marchés publics. Avant l’attribution du marché, ces dossiers de consultation des entreprises sont transmis à la Direction Générale des Marchés Publics du Ministère des Finances qui effectue les contrôles de leur régularité. Les éléments qui y figurent doivent être bien détaillés pour éviter des équivoques lors de l’exécution du marché, sans orienter le choix vers une entreprise donnée.

Cette procédure est peu respectée car le personnel chargé de l’analyse des offres et du suivi des marchés n’a pas toujours les compétences requises. Ainsi, les délais qui courent entre le début de la préparation des offres et l’approbation des marchés sont souvent longs. Et, il arrive que la date de l’ordre de service, qui tient lieu de démarrage des travaux, soit antérieure à la date d’enregistrement du contrat, et parfois à la date de signature du contrat. De même, certains paiements sont effectués avant l’enregistrement et la signature des marchés, les appels d’offres sont non publiés, les travaux surfacturés, et les livraisons d’une qualité douteuse684. Ces irrégularités sont préjudiciables pour une gestion rationnelle des ressources publiques.

Le financement des infrastructures routières dépend par conséquent de la capacité des Etats à maîtriser les dépenses publiques, en intensifiant la lutte contre la surfacturation et les fausses factures, dans le cadre des marchés publics. Ces pratiques illicites, qui sont de notoriété publique, s’expliquent par le fait qu’en général les marchés publics ne sont attribués qu’aux entreprises, et trop souvent aux individus, qui sont prêts à verser un pourcentage du montant global du marché aux responsables des services en charge de passer les marchés. Dans ce cadre, pour préserver leur marge, ils sont dans l’obligation de procéder à la surfacturation.

Pire, on observe que les contrôles sont presque inexistants sur le système des marchés publics. Les seuls contrôles prévus sur les procédures de passation sont des contrôles de conformité des dossiers d’appels d’offre qui s’exercent a priori, et dont l’efficacité est marginale. Les contrôles a posteriori, bien que prévus par les textes, sont inexistants dans la réalité. Les délits concernant les marchés publics sont aussi mal définis, et il en va de même des sanctions qui y sont attachées. Cette lacune favorise un sentiment d’impunité largement répandu.

Ainsi, le système des marchés publics n’apporte pas de garanties acceptables et suffisantes pour la bonne utilisation des fonds publics. Il rend, au contraire, excessivement aisés les pertes et gaspillages, et ne permet pas le suivi de la dépense et de l’exécution budgétaire.

De surcroît, il n’a aucune réelle finalité de développement économique et social, étant entendu que de telles finalités sont difficilement applicables dans un environnement où la dépense et la commande publique ne peuvent plus être maîtrisées685. Ces dysfonctionnements s’expliquent par la corruption, un fléau qui doit être combattu dans les Etats membres de la CEMAC (§1) avec l’aide de la Communauté internationale (§2) pour sécuriser les investissements.

Notes
680.

La bonne gouvernance est un mode de décision largement soutenu par les institutions d’aide au développement. L’OCDE la définit comme « la manière dont la société résout ces problèmes et satisfait ses besoins collectifs ; l’Union européenne comme « les règles, les processus et les comportements qui influent sur l’exercice des pouvoirs, particulièrement au point de vue de l’ouverture, de la participation, de l’efficacité et de la cohérence » ; Pour le PNUD c’est « l’action des autorités économiques, politiques et administratives pour gérer les affaires d’un pays, ce qui comprend les mécanismes, processus et institutions à travers lesquels les citoyens et les groupes articulent leurs intérêts, exercent leurs droits, remplissent leurs obligations et apaisent leurs différences ».

681.

Les marchés publics sont des contrats passés par une personne publique pour la réalisation de travaux, l’achat de fournitures, de services ou de prestations intellectuelles ». Son identification suppose deux critères : un critère organique tiré de la présence d’une personne publique au nombre des parties au contrat ; et un critère matériel tiré de l’objet du contrat (réalisation de travaux, de l’achat de fournitures, de services ou de prestations intellectuelles.

682.

La bonne gestion des affaires publiques est définie par l’article 9 de la Convention de Cotonou comme « la gestion transparente et responsable des ressources humaines, naturelles, économiques et financières en vue du développement durable et équitable ».

683.

Audit a posteriori de la passation des marchés publics au Tchad, novembre 2002.

684.

Idem

685.

Par ailleurs, le système des marchés publics a une faible capacité d’absorption. Les longs délais que connaît la phase de passation des marchés et les retards qu’ils induisent à leur exécution font qu’au final, certains marchés passés sont réengagés sur le budget de l’exercice suivant. On note enfin que les bailleurs de fonds sont obligés de proroger les délais de validité de leurs financements pour permettre le paiement des marchés. Les délais de livraison au-delà de ceux contractuellement admis génèrent également les mêmes conséquences.