5. Un nouveau regard sur l’éducation en Afrique

Malgré les circonstances, Jacques Maritain et Paulo Freire ne se sont pas contenté d’élaborer des théories d’une philosophie de l’éducation déconnectée de réel. Ils se sont engagés par des propositions concrètes, dans la recherche des solutions aux problèmes de la dignité humaine. Il était donc nécessaire de nous tourner vers ces acteurs de la pédagogie contemporaine, afin de tirer profit de leurs enseignements fondés sur une pratique éducative capable de mener l’homme vers son autonomie. Mais cette théorie doit prendre ses distances avec la pédagogie traditionnelle, pour s’adapter, et répondre aux nouvelles questions que se pose la société africaine d’aujourd’hui. En Afrique, l’éducation s’est toujours limitée à justifier l’ordre établi, comme étant l’émanation naturelle d’un ordre impossible à changer. Cette thèse s’inscrit dans une logique de problématisation de cette situation aliénante, et annonce la capacité que dispose toute personne, et toute population, à maîtriser son devenir. Elle remet en cause la pédagogie traditionnelle pour suggérer une nouvelle philosophie de l’éducation fondée sur une pratique pédagogique qui accepte de tremper « ses pieds » dans la boue, pour s’inspirer de la réalité historique concrète des populations locales, afin de réfléchir non pour elles, mais avec elles, sur les moyens de leur libération. Voilà pourquoi le rôle de l’enseignant est important dans ce processus. Son action ne se limitera plus à transmettre la connaissance et à interpréter le monde pour l’apprenant, mais à rechercher avec lui, dans un dialogue fondé sur le respect, les moyens de transformer la société. Une réflexion qui ne porte pas sur l’homme abstrait, ni sur un monde sans l’homme, mais sur les hommes en relation entre eux, et en relation avec le monde, en vue d’une prise de conscience libératrice. Ce qui donne à l’homme Africain de se situer dans sa dimension historique pour s’orienter vers une action concrète. Ainsi, l’éducation bancaire par laquelle les apprenants ont pour seule mission de recevoir les dépôts du savoir, de les garder et de les archiver, pourra céder la place à une éducation libératrice susceptible de mener vers un vrai développement. Une pratique éducative qui n’accepte, ni un acquis bien organisé, ni un futur prédéterminé, mais qui s’enracine dans un présent dynamique et qui suppose un pari anthropologique consigné dans la foi en l’homme dans sa capacité à créer et à bâtir. Il s’agit de proposer une philosophie de l’éducation qui montre la possibilité pour un peuple présenté comme incapable de s’assumer, tant le poids de l’histoire conjoncturelle est énorme, et de croire en son avenir, à partir de sa participation à la transformation du présent de l’histoire.

Voilà ce qui nous a conduits à intituler cette thèse : « De la transmission au partage des savoirs selon Jacques Maritain et Paulo Freire : Prolégomènes à une pédagogie du développement en Afrique. » Le but n’est pas de faire une simple étude comparative des deux auteurs, mais de nous inspirer de leurs intuitions pédagogiques, pour proposer une philosophie de l’éducation qui réponde aux besoins actuels de développement en Afrique. Pour plus de clarté, la thèse a été structurée en trois différentes parties intercomplémentaires. Elle aborde d’abord la problématique du développement solidaire et les limites d’un système éducatif à repenser. Le souci est de montrer, que pour le développement de l’Afrique, point n’est besoin d’aller chercher des modèles ailleurs, mais de trouver dans le creuset des cultures africaines, les éléments pouvant contribuer à l’œuvre d’émancipation des peuples du continent. La seconde partie est consacrée à une approche anthropologique où la personne est au centre de la construction d’une société juste, à la lumière de Jacques Maritain. Nous voudrions justifier la nécessité d’un développement qui tienne compte de la personne dans ses dimensions : humaine, physique, transcendantale et sociale. Elle s’appuie sur la vision personnaliste de l’homme, de la société et de l’éducation. La dernière partie est une étude qui approfondit la problématique de la libération de l’homme et de la société à travers la problématisation du réel telle que proposée par Paulo Freire. Il s’agit d’une sorte de reprise de l’approche pédagogique freirienne, tout en essayant de l’adapter à la réalité africaine. Un effort de mise en perspective de la nécessité d’un nouveau paradigme éducatif, sous la forme d’une nouvelle philosophie de l’éducation. L’objectif est de proposer une réflexion pédagogique capable de répondre au problème du sous-développement en Afrique. L’approche ne consiste pas à présenter l’éducation comme la réponse « passe partout », capable de guérir tous les maux dont souffre l’Afrique, mais de montrer qu’il existe des voies de sortie, pour ce continent qui dispose des atouts nécessaires pour se développer, et les moyens de devenir le prochain centre d’attraction de l’humanité.