1.3.2. Vers une pédagogie du développement

Le développement est impensable sans éducation. L’éducation est le nouveau fondement du développement en Afrique. La difficulté aujourd’hui, est qu’on ne va plus à l’école pour se former, mais pour chercher des diplômes dans l’unique perspective de l’emploi. Rares sont ceux qui y vont en vue d’acquérir une formation pour leur bien et pour le bien de la société. Les instituts de formation professionnelle croissent rapidement en Afrique, parce qu’ils proposent un travail rapide, dès la fin de la formation. Tous ces promoteurs d’« universités » travaillent en connivence avec les autorités locales qui leur délivrent des autorisations de fonctionner, avec des structures ne répondant pas aux critères académiques les plus élémentaires. Leur seul but est de s’enrichir et de former des jeunes pour l’entreprise, sans tenir compte de leur épanouissement personnel et intégral, ni des valeurs qu’ils peuvent apporter à la société. Comme le soutenait Johann Heinrich Pestalozzi41, l’être humain a plus que son cerveau et ses mains. C’est tout son être qui doit participer à l’édification de la société. Par conséquent, les programmes de formation et les implantations des établissements d’éducation doivent être planifiés en tenant compte des besoins, tant au plan local que national et international. La lutte contre la corruption, le tribalisme, le trafic d’influence et la destruction d’une mentalité de vassaux nécessite la mise en place d’un plan éducationnel adéquat. Pour réaliser ce projet, il faudra prendre du temps, afin d’éviter la précipitation et l’amateurisme. Les experts en éducation des pays considérés comme sous-développés au même titre que ceux d’Afrique, mais qui, aujourd’hui sont devenus les nouveaux pays émergents seront sollicités pour venir partager leur expérience dans le domaine de la lutte pour le développement. La préparation des formateurs exige que leurs formateurs soient eux-mêmes préparés par des spécialistes dont l’expérience a été éprouvée. A la phase d’improvisation doit succéder une nouvelle phase, où les institutions seront, de façon permanente, contrôlées, améliorées et perfectionnées pour s’adapter aux réalités actuelles. Dans ce processus, l’appel à des enseignants chevronnés est une obligation. Il n’y a pas d’inconvénient si les pays développés, dont les systèmes éducatifs ont fondamentalement inspiré ceux d’Afrique, apportent leur soutien dans le domaine de la formation des enseignants et des cadres. Mais cela ne veut pas dire qu’aujourd’hui rien n’est fait. Beaucoup a déjà été fait ; mais beaucoup reste encore à faire. En plus des langues nationales à promouvoir, il faudra mettre à contribution l’enseignement privé, dont les acteurs ont besoin d’une formation éthique pour sortir des objectifs lucratifs qui les caractérisent, vers des objectifs plus éducatifs en faveur de la société à laquelle ils prétendent fournir les cadres. D’où la nécessité d’une participation conséquente de l’Etat.

Pour la formation des cadres qui doivent participer à la construction nationale, il est normal que l’Etat puisse apporter son concours. Une réelle construction nationale exige un minimum d’ordre et des moyens humains et financiers. C’est ce qui explique la nécessité de la participation de l’Etat. François Malley l’avait déjà perçu et suggéra qu’« il n’y a pas d’automatisme magique dans la vie économique. C’est pourquoi, si l’Etat intervient de plus en plus dans la vie économique des pays développés, à plus forte raison doit-il le faire dans les économies moins avancées. Il doit nécessairement intervenir et il n’y a pas eu de cas historique de développement récent où il ne soit intervenu de quelque manière. »42 Le plan de développement à long terme doit être constamment retouché, selon l’évolution générale des structures et de la conjoncture. Il est vrai que cela a déjà été effectué en Afrique, mais, ce qui a été réalisé ne répond pas aux besoins des populations. Il y a des situations criantes où même un paysan non instruit, s’il lui était demandé de donner une note au planificateur, lui donnerait la note zéro. Quelques exemples concrets peuvent nous éclairer. Comment expliquer que le Gabon, un pays qui n’a qu’une population estimée à deux millions d’habitants ne soit pas en mesure de satisfaire à la demande populaire en matière d’emploi ? Comment justifier le chômage à outrance qui sévit au Cameroun, avec une population estimée à seize millions d’habitants ? Qu’est-ce qui au juste justifierait qu’en République démocratique du Congo, malgré ses soixante millions d’habitants sur une superficie comparable à celle de l’Europe occidentale, on ne soit pas en mesure de payer régulièrement les salaires des fonctionnaires ? Ces constats attestent que, malgré ce qui a déjà été fait, le vrai travail reste encore à faire. Une cohérence doit être établie entre les stratégies de développement et les statistiques fournies par des cabinets spécialisés, pour éviter la navigation à vue qui a toujours caractérisée les anciennes méthodes.

Le soutien du gouvernement à l’action du développement doit se manifester par la mise en place d’organismes de planifications compétents au niveau des études à mener comme pour ce qui concerne l’exécution des programmes. L’une des causes des échecs des premiers plans de développement est liée au fait que les acteurs exigeaient d’énormes moyens sans savoir comment les utiliser. Avec peu de moyens et une gestion citoyenne fondée sur l’instauration d’un contrôle permanent, soutenu par une justice équitable, il est possible à l’Afrique de se mettre sur le chemin du développement. Cela va à l’encontre de ceux pour qui il faut exiger d’énormes moyens d’action pour mieux s’asseoir dans les bureaux climatisés et rouler dans les plus belles voitures, même si la majorité de la population croupit dans la promiscuité. Le rôle de l’Etat devient plus important dans le choix des options prioritaires pour un développement qui réponde à l’intérêt général du pays et non seulement à celui d’un groupe. Cet élément retrouve son importance dans une Afrique où les groupes sociaux imposent parfois leurs caprices par des exigences étroitement liées à leurs intérêts locaux. C’est pour décourager ce genre de recréation que l’Etat est dans l’obligation d’intervenir pour aider tout le monde à s’épanouir43. Que ce soit du côté des groupes sociaux spécifiques, comme de l’Etat, dans les deux hypothèses, l’Etat doit jouer un rôle déterminant pour l’établissement des infrastructures et la valorisation de toutes les compétences, sans aucune discrimination, afin de promouvoir l’esprit critique mis à mal par la pratique pédagogique traditionnelle.

Notes
41.

J. H. Pestalozzi est un pédagogue suisse, né le 12 Janvier 1746 et mort, le 17 Février 1827. Il est l’initiateur de la pédagogie moderne. Après avoir été fortement influencé par Jean Jacques Rousseau, il essaya de traduire en actes, la pédagogie de ce dernier. Pestalozzi influença énormément le philosophe allemand Fichte qui voulut intégrer la pédagogie à la philosophie transcendantale. Cf. M. SOËTARD, Johann Heinrich Pestalozzi, Paris, L’Harmattan, 1995 ; M. SOËTARD et allii, La pédagogie et la modernité : A l’occasion de la naissance de Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827), Actes du colloque d’Anger, Berne, Peter Lang Publishing, Juin 1998.

42.

MALLEY F., Op. cit., p. 216.

43.

Cf. Y. LORVELLEC, Alain philosophe de l’instruction publique. Eléments pour une critique de la pédagogie, op. cit., p. 43.