1.3.4. Quel citoyen pour quelle société ?

Dans le souci de proposer un système éducatif digne, Carl Rogers se demandait : « si l’éducation réussissait autant que nous pouvons le souhaiter, à promouvoir le développement et l’épanouissement individuels, quelle sorte de personne voudrions-nous voir émerger dans la société ? »48 En posant cette interrogation, le psychopédagogue américain voudrait que la société ait des perspectives claires pour savoir quel est le type d’homme dont elle a besoin pour réaliser ses objectifs. Cette vision n’a rien à voir avec une éducation utilitariste, mais elle voudrait, que la pratique éducative ne soit pas discriminatoire et qu’elle réponde aux besoins essentiels de l’homme et de son environnement. Cela ne peut se faire lorsque les réalités locales ne sont pas prises en compte. L’interrogation ci-dessus, tire sa source des insuffisances notoires constatées dans le fonctionnement du système éducatif traditionnel. Il fallait donc une école qui permette à la société de se développer en lui proposant des hommes bien formés humainement, spirituellement et intellectuellement. Il est donc légitime de se demander si aujourd’hui, les pays africains ont encore besoin d’une pédagogie qui ne contribue pas à l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Ce n’est pas aller loin, lorsque nous disons qu’il est désolant de voir, que la formation dispensée jusqu’à aujourd’hui dans les universités africaines, n’a rien à voir avec la réalité sur le terrain et, ne tient même pas compte des évolutions en cours, pour s’adapter, et devenir utile à la construction sociale. On fait tout par rapport à l’Occident. Le dernier épisode en date, c’est l’introduction du système LMD49 dans la plupart des universités d’Afrique. Sans tenir compte du contexte, on se permet de calquer ce qui se passe en Occident, juste pour montrer qu’on est à la mode.

Alors qu’il a fallu plusieurs années pour que les accords de Bologne soient mis en place par les universités européennes, il n’a fallu que quelques mois pour que les ministres de l’enseignement supérieur de certains pays africains, décident de l’introduction de cette nouvelle vision qui veut que l’université soit proche du marché de l’emploi. Il est normal d’adapter le système éducatif aux normes universelles de l’éducation, mais cela n’exclut pas le fait qu’une réflexion préparatoire précède les décisions qui président à la destinée des multitudes et des générations entières. La précipitation dans les décisions a toujours produit des résultats catastrophiques dans l’avenir. L’Afrique a besoin de se développer, et son développement passe par une transformation politique et sociale. Il est impensable que des pays qui fournissent une grande partie des matières premières à la planète soient encore à la traîne, suite à la mauvaise appréciation des questions par ses élites. Ce résultat est en quelque sorte, lié à une pratique pédagogique qui ne se préoccupe pas des besoins réels de ses destinataires. Il faudrait réformer l’éducation, pour qu’elle joue un rôle dans ce processus où tous les efforts doivent être conjugués pour permettre à ce peuple de jouir pleinement de son droit au bien être. Nous n’ignorons pas les bienfaits de la pédagogie à l’Afrique, mais au-delà, elle a besoin d’être revisitée pour qu’elle devienne une pratique au service du développement de tous et de chacun. Elle s’efforcera de donner aux apprenants un maximum de place pour qu’ils apportent tout leur être et toute leur histoire à l’humanisation de l’enseignement et à sa contextualisation. Elle s’éloignera de toute vision pédagogique qui ne l’aide pas à contribuer à l’épanouissement de l’hommes et de la société. Toutefois, on ne peut s’empêcher de noter l’obstacle que constitue le système éducatif en Afrique, face à la bataille du développement. L’analyse de ce système depuis sa mise en place par l’administration coloniale en vue de lui fournir des auxiliaires d’administration jusqu’à nos, permet de se rendre compte des limites de qu’il représente, et de la nécessité de l’innover en l’adaptant aux évolutions et aux besoins d’une société en quête de liberté.

Notes
48.

C. ROGERS, Op. cit., 278.

49.

Licence, Master, Doctorat.