2.1.4. Un système scolaire fondé sur la suspicion

Une question pourrait éclairer notre démarche : qu’y avait-t-il dans les systèmes éducatifs coloniaux, capables de nuire à la vision de l’éducation dans les sociétés africaines pré et post-coloniaux. Dans cette démarche, nous voudrions prêter une attention toute particulière à la philosophie, aux objectifs, aux contenus et aux méthodes d’enseignement. Notre souci est de montrer que l’école coloniale, avec sa politique de formation de l’homme africain à des fins utilitaires pourrait, dans une certaine mesure, être considérée comme une machine de violence, ou encore un processus de déshumanisation. A l’instar des autres sociétés, la société africaine disposait des objectifs de développement qu’elle voulait atteindre par le biais de l’éducation. A travers un système essentiellement informel et fondé sur le principe directeur du fonctionnalisme78, avait pour but de former des êtres complets, l’accent étant principalement focalisé sur l’acquisition des valeurs ayant trait à la responsabilité sociale et personnelle, sans que ne soit négligée pour autant, la préparation à la participation politique. L’éducation du citoyen, et surtout celle de l’enfant était transmise par l’intermédiaire de plusieurs activités pratiques. Mais les analystes font remarquer qu’à la suite des divers conflits intercommunautaires et à la pratique de l’esclavage, ce système d’éducation avait commencé à se désintégrer avant même que ne commence la colonisation. Une désintégration que viendra accélérer l’école formelle introduite par le système colonial. Dans ce système scolaire, l’Africain fut conçu comme une matière première qui devait être façonnée conformément à une idée préconçue du conquérant. Mais comment se pratiquait le système scolaire qui a engendré celui que nous critiquons aujourd’hui ?

Dans une étude consacrée à l’analyse du système scolaire en Afrique avant la colonisation, le professeur Bernard Mouralis identifie quatre principaux étapes dans l’évolution de l’enseignement formel en Afrique, au lendemain de l’introduction de la colonisation européenne79. Dans cette étude, il montre que la première période n’a vu aucune élaboration de politique publique d’enseignement au sens précis du terme. L’enseignement était considéré comme un domaine fondamentalement réservé aux missionnaires chrétiens. Dans une sorte d’indépendance avec l’administration coloniale, ils s’intéressaient à la formation du clergé local, et à la promotion des personnes susceptibles d’assurer l’enseignement du catéchisme. L’intérêt de l’administration coloniale de l’époque se limitait strictement à la formation d’un nombre restreint des moniteurs et instituteurs. Mais à partir de 1855, le système scolaire deviendra de plus en plus institutionnalisé et va prendre progressivement une forme laïque. Toutefois, c’est seulement à partir de 1903 que l’on assiste à une laïcisation intensive d’un domaine qui jusque-là, était réservé aux missionnaires. Un revirement qui ne s’explique pas par la « bonne volonté » des puissances colonisatrices, mais par le souci d’une « exploitation plus systématique des richesses naturelles de l’Afrique colonisée. La doctrine et les politiques coloniales devenant beaucoup plus précises et cohérentes. »80 Le besoin d’élargir l’administration coloniale inspirait ce souci de formation. On avait besoin d’un nombre plus important de cadres subalternes indigènes pour soutenir le personnel européen numériquement insuffisant. A partir de ce moment, l’accent n’était plus mis sur la formation des instituteurs, mais plutôt sur la formation des auxiliaires afin de combler les lacunes qui se creusaient au sein des secteurs de l’industrie, de l’agriculture, de l’administration et de la santé. Afin de subvenir au besoin des ressources humaines qui se créaient au jour le jour, l’administration coloniale trouvait qu’il fallait mettre en place un système scolaire uniforme dans les différentes colonies81.

Notes
78.

B. FATUNWA, « African Education and the problem on Cultural Education » in, Le critique africain et son people comme producteur de civilisation, Paris, Présence Africaine, 1977, p. 69.

79.

La première étape se situe des origines à 1903. La seconde commence en 1904 pour s’étendre jusqu’en 1944. La troisième va de 1945 à 1960. Et la dernière commence en 1960 jusqu’à nos jours. Toutefois, il faudrait noter l’importance de l’année 1944 dans l’histoire de l’éducation en Afrique. En cette année furent décidées les grandes orientations sur le système éducatif en Afrique coloniale. Cf. B. MOUSALIS, Littérature et développement. Essai sur le statut, la fonction et la représentation de la littérature négro-africaine d’expression française, Paris, Silex/ACCT, 1984, p. 59.

80.

Idem, p. 64.

81.

Cf. Ibidem.