2.1.4.1. L’objectif du système scolaire colonial

La mise en place du système d’enseignement par l’administration coloniale avait pour objectif, la promotion d’un environnement favorable aux intérêts économiques et politiques de la bourgeoisie européenne. L’exigence générale du nouveau système d’enseignement, était de fournir une classe subalterne, sensée servir d’intermédiaire entre l’administration coloniale et les populations indigènes. Le souci consistait à présenter la colonisation comme étant, « le seul moyen disponible aux peuples d’Afrique, pour sortir de leur atrophie culturelle et technologique. L’un des administrateurs coloniaux dont les propos dévoilaient clairement les vrais objectifs de l’administration coloniale dans le domaine de l’éducation fut Georges Hardy, inspecteur de l’enseignement en Afrique Occidentale Française. Il soutenait que l’école n’est rien qu’un instrument que le colonisateur devait utiliser pour façonner l’indigène colonisé, dans le but de lui procurer la docilité nécessaire afin de mieux servir son maître et bienfaiteur. Les termes de son affirmation sont les suivantes : « Nous imposons à l’école d’étroites obligations… Nous nous efforçons de l’apparenter de plus en plus étroitement aux intentions essentielles de notre œuvre coloniale, de l’enraciner en pleine terre de réalité, de faire de son enseignement tout entier une préparation aux modes d’existence qui nous paraissent désirables pour les indigènes. »82

Prenant progressivement conscience de la possibilité d’une reprise critique ou d’une contestation du système colonial par les populations locales, l’administration coloniale s’est posé la question de savoir, comment est-t-il possible de former des auxiliaires devenus indispensables à la bonne marche de la vaste machine coloniale, sans pour autant leur procurer une éducation et une formation qui leur permettrait de questionner la légitimité de leur autorité ? A cette question, deux solutions étaient envisageables : le contenu et la méthode. Les deux éléments pédagogiques choisis comme solution pour endiguer la possibilité d’une révolte marqueront profondément la pratique éducative en Afrique. Une fois les indépendances obtenues, les dictateurs n’hésiteront pas à recourir aux mêmes méthodes pour empêcher à leurs compatriotes de revendiquer leurs droits. Pour réaliser ce projet, l’administration coloniale mettra en place un processus de triage rigoureux, pour déterminer quel type de profil est susceptible d’être accueilli à l’école. Il fallait tout faire, pour éviter que l’enseignement ne devienne le foyer de perturbation du système oppresseur. Revenant sur cette obsession pour la sélection des enfants sur le critère de la docilité, tout en supprimant toute matière susceptible de pousser les jeunes à la réflexion, Georges Hardy affirme que cette école voulait que l’enseignement des indigènes ne devienne :

‘« un instrument de perturbation sociale. Le recrutement de l’enseignement primaire supérieur doit faire l’objet d’un triage attentif. Il s’agit en effet, de faciliter l’accès des carrières administratives à ceux dont la famille a toujours secondé avec honneur notre œuvre civilisatrice et mis son prestige héréditaire au service de nos intentions. Il s’agit de distinguer parmi eux, ceux dont les qualités de caractère sont absolument certaines, et il faut surtout, éliminer avec un soin impitoyable tous ceux dont les facultés, même brillantes, sont insuffisamment équilibrées, tous ceux qui feront servir à la satisfaction de leurs appétits le savoir qu’on leur donnera qui pousseront leurs congénères à des révoltes et qui garderont toute leur vie, l’inquiétude et la cruauté de loups mis en cage. » 83

A la lecture de cette instruction, on s’apercevra que la psychologie et la maturité du futur élève n’étaient pas les seuls critères d’admission comme élève. Il fallait donner les gages d’une docilité sans faille. Mais une méthode d’élimination des candidats jugés dangereux était utilisée. Elle avait trait à l’examen physique des candidats à la scolarité. Les candidats jugés incapables d’endurer les exigences physiques du travail dans l’administration coloniale étaient purement et simplement renvoyés à leurs parents. Mais pour saisir cette pratique, il nous faudrait examiner les structures et le contenu d’enseignement proposés par ce système éducatif.

Notes
82.

G. HARDY, Une conquête morale. L’enseignement en A.O.F., Paris, A. Colin, 1917, p. 350.

83.

Idem, p. 13.