2.4.1.Evolution et conceptualisation

Les Organisations non Gouvernementales de l'époque ont attiré l'attention du public des habitants du Nord, sur la vie difficile des populations défavorisées du Sud, sollicitant des aides pour améliorer leur situation. Les activités de sensibilisation ont renforcé le modèle de développement dominant: l'injection de l'aide fut l’une des réponses pour l'amélioration du niveau de vie des populations pauvres en proie aux conflits. Ces campagnes de sensibilisation ressemblaient plus à une information sur le sous-développement qu'à une réelle éducation au développement. A partir des années 1960, les luttes pour les libérations nationales et contre les dictatures dans plusieurs régions du monde, les nouveaux mouvements sociaux dans les pays industrialisés, la crise pétrolière et la contribution des experts en sciences sociales ont changé le sens et les pratiques de "l'éducation au développement". Le développement était considéré comme un processus de libération nationale contre l'emprise des puissances occidentales et un processus de libération sociale contre la domination des classes internes124.

Progressivement, les descriptions des situations de pauvreté des populations ont été remplacées par des analyses sur les causes et les conséquences du développement et du sous-développement. La planète est alors divisée en quatre points cardinaux: l'Est, l'Ouest, le Nord, le Sud. Vers la seconde moitié des années 1970, cette vision commencera à éclater en différentes parties. On défend l'importance de la participation des populations dans la définition de leur propre développement. Emerge alors l'idée de « développement autocentré »125. Les ONG126 passent à une conception plus critique de leur pratique éducative en se nourrissant de différents courants de rénovation pédagogique inspirés des pédagogues de la révolution populaire comme Yvan Illich127 ou Paolo Freire à travers lesquels le thème de l’engagement pour la transformation sociale se généralise. Il donnera un nouveau tournant à la problématique de l'éducation au développement. Pour aider les populations à avancer, il ne faut pas seulement leur venir en aide en leur apportant une assistance. Il faut plutôt : « les aider à s’aider eux-mêmes, c’est-à-dire, leur donner les moyens de prendre eux-mêmes en main la responsabilité de leur lutte contre leur propre faim et pour leur propre développement. Cela dans un esprit totalement désintéressé ; dans un esprit de service et non de prestige. »128 Pour P. Farine, il faut surtout donner aux citoyens des pays en développement : « les moyens de rattraper un retard accumulé, pour briser ce cercle vicieux de la misère et de l’ignorance, qui s’engendrent l’une l’autre et sont à la fois cause et effet. »129

La décennie des années 1980 sera marquée par la seconde guerre froide et les conflits régionaux au Moyen Orient, en Afrique comme en Amérique latine. Cela va accélérer la course aux armements et l'extension des appareils destructeurs. Face à cette tension, naît un puissant mouvement pacifiste qui impulse une éducation à la paix. Par ailleurs, l'établissement du modèle néo-libéral au niveau planétaire va conduire à la crise de la dette du tiers monde et aux programmes d'ajustement structurel imposés par le Fonds Monétaire International130. L'objectif serait de réintégrer les économies du Sud dans le marché international, mais les résultats montrent que les choses ne sont pas aussi faciles : « Alors que les experts de l’Omc parlent d’un marché du commerce mondial unifié, la contribution africaine à ce marché n’est que de 2%. Le pire est que cette situation ne provient pas d’une politique africaine de repli sur soi : depuis 1980 l’Afrique a largement ouvert ses marchés, suivant les conseils du Fmi. Or, cette ouverture du marché africain a eu pour effet de diminuer sa contribution au commerce mondial. »131 Le tableau ci-dessous permet de comprendre l’évolution régressive de la contribution africaine à l’économie mondiale132 :

L’Afrique dans le commerce mondial de 1970 à 1998
Année 1985 1995 2000 2004 2008
Part en % 3,6 3,6 3,00 2,8 3,00

Une lecture attentive de ce tableau, donne de saisir à quel point la contribution de l’Afrique, a baissée au fur et à mesure qu’elle appliquait les exigences structurelles de la Communauté Internationale. Devant une telle situation, il est difficile de penser un développement pour les peuples assujettis sans que ce mode de fonctionnement des institutions internationales soit revisité. L’Afrique tirerait profit d’une révision des programmes d’ajustement structurels qui ont totalement montré leurs limites.

Face à la paupérisation d'une grande partie de la planète, une nouvelle façon d'envisager le développement sera alors proposée: le développement humain, qui ne se mesure pas seulement par des indicateurs économiques conventionnels mais plutôt par son impact réel sur la vie des personnes. L'apparition du concept de l'éducation au développement viendra approfondir de nouvelles thématiques telles que « les problèmes de l'environnement, la crise de la dette, l'armement et les conflits, la croissance des flux migratoires, la crise alimentaire, la situation des enfants esclaves ou soldats et des femmes mutilées. »133 De plus, en mettant l’accent sur la problématisation du réel, l’éducation au développement ouvre un espace de remise en cause du modèle de développement dominant dicté par des Organisations qui ne tiennent nullement compte des populations locales à émanciper. Elle entre dans le champ politique, avec des campagnes de pression sur diverses instances de décisions. A travers la chute du mur de Berlin, le monde international subira des transformations profondes, ensuite suivra la démocratisation des régimes africains, à travers la désormais historique conférence internationale de la Baule134. L'éducation au développement a pour but, d'intégrer dans ses contenus les récents événements qui ont bousculé la scène mondiale et ont profondément affecté les pays en développement, notamment les pays africains. L’effort de s'affranchir de la coopération, afin d'insérer la problématique du développement dans l'éducation formelle, dans les médias, et dans les mouvements d'éducation permanente et dans les syndicats est une étape importante sur la voie de l’autonomisation des sociétés et des peuples. Avec l’évolution, l'éducation verra sa tâche amplifiée dans la lutte pour un monde plus juste, pour un développement équilibré, soutenable et équitable, entre le Sud et le Nord, dans le combat contre les idéologies racistes et xénophobes, contre les nationalismes et les ethnismes qui gagnent du terrain partout sur la planète.

Il est difficile de trouver une définition standard du concept "d'éducation au développement". Toute signification dépend du sens que l'on attribue à ces deux mots et cela varie selon le temps, l'espace et les circonstances. Selon Adélie Miguel Sierra :

‘« l'Education au développement est avant tout un processus, un mouvement en évolution qui opère des liens entre plusieurs actions, entre plusieurs idées, entre plusieurs pays. Sa spécificité, par rapport à d'autres processus de formation, se situe dans son internationalité qui lui confère une puissante dynamique par l'apport d'arguments originaux, de nouvelles approches dans la connaissance et d'un contexte plus large. » 135

L’éducation au développement peut aussi se définir comme un processus d'apprentissage actif qui repose sur des valeurs de solidarité, d'égalité, d'inclusion et de coopération136. Elle promeut des politiques justes et durables aux niveaux économique, social, environnemental et en matière des droits de l'homme. Au-delà des buts sus-évoqués, l’éducation au développement vise trois principaux objectifs : 1. Permettre à chaque citoyens de mieux comprendre son environnement lointain et immédiat, pour susciter une prise de conscience de la nécessité de fonder un monde plus juste et équitable garantissant les droits de tous aux éléments vitaux élémentaires. 2. Promouvoir un processus éducatif interculturel qui touche les sujets et les thèmes liés à l'éducation pour que chaque citoyen parvienne à accepter, à respecter et à s’imprégner des valeurs des autres cultures pour assumer pleinement ses responsabilités dans la société, au plan local et au plan international. 3. Le changement des mentalités et des comportements de tous les citoyens en vue de contribuer individuellement et collectivement à la construction d'une société juste, solidaire et durable. En résumé, l'éducation au développement est un processus qui en s’appuyant sur une réflexion analytique et critique sur la situation socio-politique en Afrique et dans les pays en développement, envisage les moyens de donner aux populations de ces pays les moyens d’être les acteurs de leur propre histoire. L’éducation au développement n'est pas une nouvelle mode pédagogique passagère, mais plutôt, une autre manière d'envisager l'acte éducatif. Cette démarche consiste à proposer une éducation dynamique, ouverte à la participation active et créative, orientée vers le changement et l'action. Loin d'éviter le débat sur les limites et des projets actuels, il est temps d'oser former les jeunes pour résister face aux injustices, aux divers visages de la pauvreté et au monopole d'une pensée où seul le profit compte. Une attitude qui entretient la situation du sous-développement à laquelle doit s’ouvrir le milieu éducatif.

Notes
124.

Cf. P. FREIRE, Lettres à la Guinée-Bissau sur l’alphabétisation, Paris, Maspero, 1978, p. 19.

125.

Cette approche du développement accorde une large participation aux acteurs locaux pour qu’ils soient en même temps : apprenants et enseignants. Les experts ne viennent pas pour donner des leçons, mais pour aider les paysans à exploiter les connaissances qu’ils ont avec plus de technicité.

126.

Organisations Non Gouvernementales

127.

Théologien et philosophe né à Vienne en Autriche, le 04 Septembre 1926 et morte à Brême en Allemagne, le 02 Décembre 2002. C’est un penseur de la pédagogie, de l’écologie politique. Il représente surtout, la figure de proue de la critique de la société industrielle. Il est l’un de grands théoriciens de la pédagogie adaptée au développement. Les titres publiés relatifs à ce thème sont : Energie et équité, Paris, Seuil, 1973 ; ABC, l’alphabétisation de l’esprit populaire, Paris, Editions de la Découverte, 1990 ; Une société sans école, Paris, Seuil, 1971. cet ouvrage avait été publié sous le titre original : Deschooling society.

128.

P. FARINE, Une terre pour les hommes. Vaincre la faim pour le développement, op. cit., p. 90.

129.

Ibidem.

130.

A. NGUIDJOL, Le système éducatif en Afrique noire. Analyse et perspectives, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 37.

131.

A. ZACHARIE, « L’Afrique sous le joug de la dette et de l’ajustement » in, Le bateau ivre de la mondialisation. Escales au sein du village planétaire, Bruxelles, CADTM/SYLEPSE, 2000, p. 79.

132.

Ibidem.

133.

B. RIONDET, Op . cit. p. 22.

134.

Cf. J. HUTEAU, et H. PIGEAT, Déontologie des médias : Institutions pratiques et nouvelles approches dans le monde, Paris, UNESCO, 2000, p. 54.

135.

A.-M. SIERRA, « Quelle éducation pour quel développement » in, Action solidarité tiers monde, Avril-2006, p. 3.

136.

Idem, p. 5.