2.4.2. Le sous-développement

Pour comprendre la question du sous-développement en Afrique, nous nous sommes appuyé sur l’analyse de quelques textes des prélats qui décrivent avec pertinence la réalité qui traduit les violations des droits humains auxquels font face au quotidien les populations africaines. Ces prélats parviennent à dénoncer les violations des droits et libertés des citoyens sans inquiétude parce qu’ils jouissent d’une immunité et sont indépendants des décisions des pouvoirs publics. Toutefois, ce choix ne nous empêche pas, cependant d’étendre notre analyse sur d’autres études consacrées à la question du développement en Afrique et dans le monde. Nous pensons au remarquable travail des différentes organisations de défense des droits humains. Il est difficile de répertorier tous les maux que vivent au quotidien les populations d’Afrique, mais il est possible d’analyser les différents cas des violations des droits de la personne humaine qui font de ces peuples, des victimes innocentes de l’inexpérience de leurs compatriotes suite à une gestion calamiteuse de la chose publique. On voit par exemple, le tribalisme érigé en mode de gestion de l’Etat, la corruption presque institutionnalisée dans certains pays, l’impunité, la mauvaise gouvernance et beaucoup d’autres maux qui interdisent à un Etat, quelles que soient ses richesses, de prétendre à quelque développement. Une partie de cette analyse sera consacrée aux maux sociaux, et une autre aux causes internes et externes du sous-développement. Sur ce deuxième aspect, elle sera plus critique au sujet de la notion du développement en Afrique, cœur même de notre étude. Sans ignorer la période coloniale avec son influence positive ou négative sur la situation actuelle, nous partirons de la période des indépendances jusqu’à nos jours. Une analyse en profondeur des actions menées par les dirigeants locaux permet de s’apercevoir que malgré les accusations qui pèsent sur les « autres », la capacité et l’aisance avec lesquelles ils violent les droits de leurs concitoyens suscite d’énormes interrogations, car on ne peut en à la fois prétendre défendre une population et en même temps l’empêcher de jouir de ses droits.

Dénoncer les violations flagrantes des droits de la personne humaine suppose l’existence d’un principe à partir duquel, on mesure le respect ou le non-respect desdits droits. La personne humaine est dotée d’une dignité inaliénable, qui lui confère des droits fondamentaux137. Dans la plupart des Etats du monde, la question des droits de la personne humaine semble moins préoccuper les gouvernants. Il suffit pour s’en convaincre, de voir le rôle accordé aux ministres des droits humains. Ce sont souvent des petits Secrétariats d’Etat, des vice-ministères ou des Directions Générales qui sont en charge des ces questions, pourtant capitales pour le développement de l’homme et de la société138. Aussi, le fait que plusieurs législations nationales soient en conflit avec les conventions relatives aux droits de l’homme signées pars les Etats, peut nous aider à le comprendre. Concernant l’Afrique, il est désormais urgent de s’intéresser à la manière dont les populations de cette partie du monde vivent au jour le jour les différentes violations de leurs droits. Sans prétendre remplacer les organisations de défense des Droits humains, il sera question de reconnaître, que lorsque tout être humain vit sous le seuil de la pauvreté alors qu’il aurait dû mieux vivre dans sa patrie, cela constitue une violation des droits de la personne.

Le Professeur Holderegger dénonce toute espèce de remise en cause de la dignité humaine. Pour lui, cette dernière est inhérente à l’être même de l’homme, crée à l’image de Dieu139. Il estime que les hommes sont tous égaux et que c’est leur essence qui constitue le fondement de leur dignité: « La dignité humaine a sa racine dans l’image et le reflet de Dieu qui sont en chacun des hommes. Par là, toutes les personnes sont essentiellement égales entre elles. »140 Il ne s’agit pas d’une simple déclaration de circonstance, mais c’est une affirmation qui tire sa source de la loi naturelle et qui, de surcroît doit être respectée par tous. Pourtant, une analyse minutieuse de la situation en Afrique centrale ne laisse aucun doute sur le fait que les droits élémentaires de la personne humaine y sont violés en permanence par ceux-là même qui sont censé les promouvoir :

‘« Conscients que dans de nombreux pays du continent ces droits sont bafoués et foulés aux pieds, les évêques d’Afrique déclarent d’une même voix, « nous dénonçons tout ce qui constitue une violation de l’intégrité humaine comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques ; tout ce qui offense à la dignité de l’homme, tels que les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations… ou encore les conditions de travail dégradantes. » 141

Ce qui reste curieux, c’est que tous les Etats africains ont ratifié la convention internationale des droits de l’homme et l’ont inscrite dans leurs constitutions. Quant à leur application ou à leur respect envers les citoyens, un chemin reste encore à parcourir. Notre souci serait qu’ils soient effectivement respectés, c’est-à-dire, appliqués et vécus, ici et maintenant. Dans ces sociétés où rien pratiquement n’est fait pour que soit amélioré le sort des laissés-pour-compte, il est normal que les gens consciencieux soient impatients de voir cette situation s’améliorer. Lorsque nous regardons la situation au Darfour, il est difficile de rester sans commentaire face à un tel drame infligé aux personnes innocentes. C’est devant ce genre de situation que Mgr Zwane du Swaziland déclarait, « nous avons le droit de réclamer les droits humains fondamentaux de la charte des Nations Unies, et notre impatience est raisonnable! »142 Les exemples de ces violations sont nombreux et les accents des dénonciations varient selon les situations et les contextes. Mais le dénominateur commun est que, ces droits sont réclamés partout au nom de la dignité de la personne humaine. Et puisque tous les hommes ont une égale dignité, il est normal de reconnaître l’identité des droits fondamentaux de chacun. Cette approche évoque les nombreuses plaies qui ont fait souffrir l’Afrique et qui continuent de faire souffrir encore.

Le non respect des droits humains peut aller de l’indifférence au tribalisme, en passant par l’intégrisme religieux, les conflits tribaux, les guerres entre factions rivales et parfois entre pays. Aujourd’hui, beaucoup de cadres originaires d’Afrique n’ont pas la possibilité d’exprimer leurs talents dans leurs propres pays, à cause de leur appartenance ethnique. C’est pourquoi, voyant que les cadres n’y sont pas respectés, plusieurs gouvernements occidentaux trouvent l’occasion de légitimer l’inégalité permanente entre pays du Nord et du Sud. Cette inégalité s’exprime en Afrique à travers la mauvaise répartition des richesses nationales. En fait, ils sont rares au monde, les pays pourvus par la nature comme ceux d’Afrique. Pétrole, bois, diamant, cuivre, or, coltan, paysages touristiques, climat paisible ! Toutes les conditions sont réunies pour que les habitants d’Afrique vivent bien et très bien. Mais le soutien qu’apportent les Etats démocratiques occidentaux aux régimes monarchiques en Afrique, sous prétexte de non ingérence dans les affaires intérieur des Etats traduit le signe d’une complicité implicite. L’émergence des mouvements alter-mondialistes pour réclamer l’équilibre des chances et des droits dans un monde plus solidaire est en quelque sorte, perçue comme l’unique source d’espérance pour les peuples d’Afrique, car ce mouvement s’attaque non seulement aux occidentaux, mais aussi aux dirigeants africains143.

Notes
137.

Le concept de dignité est lié à celui de respect. D’abord respect de soi, ensuite, respect des autres. Notre dignité d’êtres humains peut être menacée, à la fois par des violences physiques ou par des atteintes morales et psychologiques. C’est pourquoi, le premier article de la déclaration universelle des droits de l’homme commence par affirmer l’égalité de tous à la naissance et devant la loi. Dans le domaine éducatif, on ne peut parler de la dignité de l’homme, sans faire allusion aux droits de l’enfant, nécessaires pour tout éducateur. Aux enfants il est rappelé que «tous les droits énoncés par la convention doivent t’être accordés, quelle que soit ton origine ou celle de tes parents, de même qu’à tous les autres enfants, filles et garçons. Les Etats ne doivent pas violer les droits et les faire respecter pour tous… »F. MARTINETTI, Les droits de l’enfant, Paris, Flammarion, 2002, p. 18.  

138.

Aujourd’hui, il est impossible d’évoquer la question du développement en taisant la notion des droits humains. Notre époque voit apparaître l’émergence progressive d’un autre concept. C’est le concept de l’existence des droits inaliénables et essentiels valables et applicables à tous les hommes et à tous les peuples. Ce sont des droits universels supérieurs à tous les autres et ces droits s’imposent à tous. Pour la Commission Justice de la Conférence des évêques de France, il est indéniable que : « de plus en plus l’existence d’un droit universel unique, tirant sa légitimité non plus des Etats mais directement de la personne humaine, même si en Asie ou dans les pays musulmans, certains contestent cette unicité au nom des différences culturelles supposées irréductibles. » JUSTICE ET PAIX France, Maîtriser la mondialisation, Paris, Bayard-Centurion-Cerf-Mame, 1999, p. 118.

139.

Cette idée considérant que le fondement des droits de la personne humaine se fondent au fait que l’homme est l’image de Dieu, avait déjà été développé par Martin Luther King, Minuit, quelqu’un frappe à ma porte, Bayard, Paris, 2000, p. 59. Mais on verra les évêques des Etats-Unis aller plus loin dans leur analyse. S’appuyant sur le texte de la Genèse, ils soutiennent qu’ « au sommet de la création, se trouvent l’homme et la femme, faits à l’image de Dieu. Homme et femme, doivent être des intendants fidèles des ressources de la terre. Ils peuvent considérer que, à juste titre par leur travail, ils développent l’œuvre de la création. »J.-Y. CALVEZ, Justice économique pour tous…, op. cit., p. 59.

140.

HOLDEREGGER R. et allii, De dignitate hominis. Mélanges offerts à Carlos-Josaphat Pinto de Oliveira à l’occasion de son 6 ème anniversaire, Fribourg, Editions Universitaires, 1987, p. 36.

141.

SCEAM, « Justice et paix en Afrique » in, Déclaration de la V ème assemblée plénière, Accra, Editions du Secrétariat du SCEAM, 1987, p. 92.

142.

Mgr ZWANE, « Le rôle de l’Eglise en Afrique » in, Documentation catholique, n° 77, 1980, p. 882.

143.

F.-X. VERSCHAV, Noir silence. Qui arrêtera la françafrique ?, Paris, Les Arènes, 2002, p. 7.