2.4.3. Des inégalités dans le dialogue Nord-Sud

Nous vivons une période de l’histoire où les frontières sont abolies, pour faire naître de grands ensembles régionaux, afin de faire face aux défis nouveaux, liés à l’évolution du monde144. Pendant que ces grands ensembles se constituent, on voit les européens développer une politique d’enfermement et de repli sur soi. Alors que les frontières des pays de l’Europe s’élargissent vers l’est, elles se ferment vers le les pays du Sud. Cela se poursuit par l’hypocrisie qui caractérise le commerce international, cette pratique qui condamne les pays d’Afrique à demeurer pauvres145. Ils doivent vendre moins cher leurs matières premières et acheter trop cher les produits finis, au prix de dettes et d’un appauvrissement croissant : ainsi va la mondialisation146 ! La question du dialogue Nord-Sud se pose dans le cadre des relations et des échanges entre les nations à l’échelle planétaire. Or jusqu’à présent c’est la loi du plus fort qui continue de l’emporter sur la raison juste147. L’échec de la réforme des Nations Unies traduit la volonté de certains Etats qui désirent toujours imposer leur dictat à l’humanité toute entière. Comment expliquer que le Conseil de Sécurité des Nations Unies, constitué des pays alliés, vainqueurs de la seconde guerre mondiale, ne soit pas élargi à d’autres pays alors que nous assistons à l’émergence de nouvelles puissances économiques ? On croit rêver, pourtant c’est la réalité. Entre la nostalgie coloniale et les tâtonnements de l’indépendance retrouvée, se trouve le souci d’une collaboration juste, équitable et complémentaire. C’est dans cette mouvance que le pape Paul VI suggéra des relations économiques et sociales fondées sur l’égalité et la transparence pour permettre aux peuples de pays en développement, de bénéficier eux aussi aux biens de la nature.

‘« Le problème le plus important de notre époque est celui des relations entre pays économiquement développés et pays en voie de développement. Les premiers jouissent de tous les agréments de la vie, les seconds souffrent d’une misère aiguë. Or, de nos jours, les hommes du monde entier se sentent unis par des liens si étroits qu’ils ont parfois l’impression d’habiter tous la même demeure. Les peuples rassasiés des richesses ne peuvent donc se désintéresser du sort de ceux dont la gêne est si grande qu’ils défaillent presque de misère et de faim et ne sont pas en état de jouir convenablement des droits essentiels de l’homme. » 148

Cette mondialisation de la question sociale signifie d’une part que l’interdépendance des peuples doit devenir une réalité concrète149. La régulation des relations internationales entre les nations a pour but de parvenir à une meilleure répartition des richesses de la planète. D’où l’invitation à une sorte de décroissance économique où ; l’accumulation des richesses matérielles cède la place au partage dans le respect. Le discours d’adieu de Koffi Annan150aux responsables des Nations Unies est révélateur d’un malaise qui n’a que trop duré : « Aujourd’hui, le monde est plus dangereux qu’il y a cinquante ans et les injustices sont encore beaucoup plus criantes. »151 Chaque jour nous assistons à une détérioration des conditions socioéconomiques des pays en développement. La raison de cette situation est le repliement sur eux-mêmes et le protectionnisme des pays industrialisés. Quand ces pays acceptent de s’impliquer dans la restructuration des institutions internationales, c’est souvent pour augmenter leur influence et leur poids politique. Les meilleurs élèves sont ceux qui suivent, tant pis pour les autres. L’exemple de la dévaluation du Fcfa en constitue un exemple palpitant152. Par contre, un vrai développement, est celui qui permet aux peuples de toute origine de s’épanouir, au sein d’une humanité solidaire, respectueuse des droits de chacun.

Personne ne peut être sans les autres. Surtout, nul ne peut devenir ce qu’il est, sans l’aide des autres. Dans une étude consacrée à la notion de la solidarité, Jean-Louis Lebret fonde celle-ci au fait que : « l’homme naît dans une famille et dans une culture. De l’une et de l’autre, non séparées il reçoit son échelle des valeurs et sa synthèse, sa façon d’utiliser les choses et son explication du cosmos, une conception de l’ordre social, des croyances, des rites. Il est dépendant de cette ambiance qui le pénètre et qui le solidarise. »153 Le sentiment de solidarité ne peut cependant pas se priver de la source philosophique qui a su mettre l’autre au cœur de la société contemporaine, malgré des abus. La solidarité ne peut avoir de sens que si je considère l’autre comme égal à moi et comme le reflet de ma propre image, comme le disait Emmanuel Levinas, « ma responsabilité pour autrui précède ma liberté et ce « me voici pour toi » fonde mon identité. La subjectivité pour soi n’est pas un pour soi. Elle est initialement pour un autre. Le soi responsable d’autrui est irremplaçable : je suis unique au monde dans le sens où ma responsabilité n’est pas interchangeable. »154 Dans la même perspective, il va jusqu’à évoquer la question de la substitution. Cela veut dire que : « Puisque le moi répond pour l’autre et prend sur lui ses déboires et ses souffrances : souffrir pour autrui, c’est l’avoir à charge le supporter, être à sa place, se consumer par lui. »155 Avec l’ouverture des frontières, l’interdépendance économique et les mouvements des populations, il devient de plus en plus difficile de se passer de l’apport de l’autre. La plupart des questions qui se posent à la société appellent des réponses globales et collectives. Même pour ce qui concerne la protection, la sécurité de chacun est liée à celle de tous. Il y a, des politiques qui pensent que la sécurité s’acquiert par la construction de murs au long des frontières. Non ! la vraie sécurité consiste à assurer une vraie sécurité à son voisin. Il est impossible de fermer les frontières aux épidémies, au vent ou au réchauffement climatique. C’est pourquoi, une prise de conscience s’avère nécessaire pour que la solidarité devienne la règle d’or et que la justice ne soit plus l’affaire de quelques pays seulement, mais une véritable préoccupation internationale. Une justice juste ne peut que réjouir tous les habitants de la planète. Tel est le but de notre analyse de la question du développement à la lumière de l’actualité internationale. Il est vrai, la préoccupation principale, c’est l’Afrique, mais que chaque fois qu’on aborde la question du développement, l’enjeu devient universel.

Notes
144.

P. FARINE, Une terre pour tous les hommes, op. cit., p. 16.

145.

L.ESTIVAL, « Les accords de la colère » in, Faim et développement magazine, op. cit., p. 15.

146.

A. ZACHARIE, « L’Afrique sous le joug de la dette et de l’ajustement » in, Le bateau ivre de la mondialisation. Esclaves au sein du village planétaire, Bruxelles, CADTM/Syllepse, 2000, pp. 77-88.

147.

Dans une analyse des stratégies des Nations Unies, l’auteur de ce livre qui avait reçu la gratification spéciale de la lettre de Jean Paul II montre que : « les trois institutions spécialisées de l’ONU s’emploient à divulguer une stratégie de la peur. Elles se sont évidemment concertées pour se répartir les tâches. Au PNUD échoit la responsabilité du but à rechercher : c’est le marché mondial cautionné par la banque Mondiale et garant d’un nouvel ordre humain. Au FNUAP, il appartient de définir les méthodes à mettre en œuvre pour atteindre ce but ; au premier rang de ces méthodes apparaît la planification démographique généralisée. Quant à l’OMS, il lui incombe de mettre au point les produits qui permettront la divulgation universelle de la contraception et de la contragestion. » Cf. M. SCHOOYANS, La dérive totalitaire du libéralisme, Paris, Mame, 1995, p. 81.

148.

Cf. MUNONO MUYEMBE B., Eglise évangélisation et promotion humaine. Le discours social des évêques Africains, Fribourg/Paris, Editions Universitaires/Cerf, 1992, p. 120.

149.

E. PISANI, La main et l’outil, Paris, Robert Laffont, 1984, p. 35.

150.

Diplomate d’origine ghanéenne, né à Kumasi le 08 Avril 1938. Il fut Secrétaire Général des Nations Unies du 01 Janvier 1997 au 01 Janvier 2007. En 2001, il fut le récipiendaire du Prix Nobel de la Paix. A la fin de son mandat, avant de passer la main à son successeur, il prononça un discours d’adieu au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Dans ce discours, il dénonçait les abus et le danger d’une politique unilatéraliste.

151.

K. ANNAN, Responsabilité collective et mutuelle, solidarité mondiale, primauté du droit et multilatéralisme : principes directeurs des relations internationales, Missouri, Truman Museum and Library, 11 Décembre 2006, p. 2.

152.

Le FCFA est la monnaie utilisée par quatorze pays d’Afrique francophone occidentale et centrale. Le communiqué sanctionnant ce geste déclarait :  «  A compter du 12 janvier 1994, à 00heure. » Les fonctionnaires de la zone CFA ont vu leurs salaires divisé par deux, sans aucune compensation. Cf. « La déchirure. Plus pauvres que jamais » in, Jeune Afrique, N° 176, 1994.

153.

L.-J. LEBRET, Développement = révolution solidaire, Paris, Editions ouvrières, 1987, p. 45.

154.

E. LEVINAS, Ethique et infini. Dialogue avec Philippe Nemo, Paris, Le Livre de poche, 2004, p. 103.

155.

E. LEVINAS, Humanisme de l’autre homme, Paris, Le Livre de poche, 1987, p. 93.