2.4.3.1. La solidarité internationale comme exigence éthique 

A l’époque où les dirigeants de l’humanité avaient eu la clairvoyance de mettre en place l’Onu156, le Président Truman, l’homme qui, en 1945, avait donné l’ordre d’utiliser l’arme atomique, pour la première fois dans l’histoire, avait compris que la sécurité des uns ne pourrait plus jamais être assurée au prix de l’insécurité des autres.  Le Président américain avait l’intime conviction que, désormais, la sécurité devait être collective. Force est de constater que nous sommes dans un monde où la grippe aviaire peut franchir des océans, et les frontières nationales, en quelques heures; un monde où des États au cœur de l’Asie ou de l’Afrique peuvent devenir le refuge des terroristes; un monde où même le climat change de telle manière que la vie de tous les habitants de la planète en pâtira si personne n’y prend garde. Koffi Annan estime qu’un pays qui veut assurer sa sécurité, doit d’abord commencer par assurer celle des autres. « Contre ce type de menaces, aucun pays ne peut assurer sa sécurité en cherchant à dominer tous les autres. Nous partageons tous la responsabilité de la sécurité de l’autre et ce n’est qu’en collaborant pour assurer la sécurité des uns et des autres que nous pouvons espérer instaurer une sécurité durable pour nous-mêmes. »157 Il voulait montrer qu’il est absurde de prétendre verrouiller le monde dans des lois et des principes qui répondent à la volonté égoïste d’un petit groupe, sans tenir compte des autres. C’est le fondement même du développement solidaire. Vouloir construire deux mondes : d’un côté les riches et de l’autre, les pauvres, on finira par se faire corriger par la vérité de l’histoire. Une réelle construction sociale est celle qui donne à chacun la possibilité de trouver chez lui et en lui les conditions minimales pour participer à la vie nationale et internationale. Dès que chacun se sentira à l’aise chez lui, il sera inutile que des personnes quittent leurs pays pour aller ailleurs. Mais tant que les Etats qui le peuvent, ne s’efforceront pas de promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance dans les Etats mal gérés, il sera difficile d’empêcher aux hommes de se déplacer pour aller chercher des conditions de vie meilleures et les lois n’y pourront rien.

Cette responsabilité n’est pas seulement l’affaire d’États prêts à voler au secours les uns des autres en cas d’attaque. Il s’agit également de la responsabilité de protéger les populations contre les génocides, les crimes de guerre, les nettoyages ethniques et les crimes contre l’humanité, responsabilité qu’ont solennellement acceptée tous les États lors du Sommet mondial de 2005. L’ancien Secrétaire Général poursuit : « Cela signifie que le respect de la souveraineté nationale ne peut plus être utilisé comme bouclier par des gouvernements résolus à massacrer leur propre peuple ou servir d’excuse pour ne rien faire lorsque des crimes odieux sont commis. »158 Comme l’a dit Truman, « Si nous nous contentions de défendre en paroles nos nobles idéaux, pour ensuite porter atteinte à la simple justice, nous nous attirerions les foudres des générations qui ne sont pas encore nées. »159. Le diplomate onusien poursuit son observation en montrant que notre responsabilité ne s’arrête point à nous les vivants d’aujourd’hui. Celle-ci s’étend aux générations futures auxquelles nous aurons des comptes à rendre, si nous leur léguons une planète dans laquelle ils ne seront pas en mesure de vivre de façon décente. D’où l’impossibilité de penser le développement en taisant la responsabilité écologique.

‘« Nous avons une responsabilité non seulement envers nos contemporains, mais aussi envers les générations à venir, la responsabilité de préserver les ressources qui leur appartiennent autant qu’à nous et sans lesquelles aucun d’entre nous ne peut survivre.  Cela veut dire que nous devons nous employer bien davantage et de toute urgence à empêcher ou à ralentir le changement climatique.  Chaque jour qui passe sans que rien ne change ou trop peu aggrave la menace qui pèse sur nos enfants et les enfants de nos enfants.  Un proverbe africain me vient aussitôt à l’esprit: la Terre n’est pas à nous, nous n’en avons que la garde pour les générations à venir. » 160

C’est pourquoi, notre génération ne devrait pas prendre la palme d’or dans la destruction des espèces vitales pour laisser aux générations à venir un univers sans espérance. Ce propos intéresse particulièrement l’Afrique qui est l’une des régions du monde où l’environnement a besoin d’être protégé. Avec sur son espace la présence de la forêt équatoriale, deuxième réserve forestière au monde après l’Amazonie, l’Afrique aurait besoin d’être soutenue et équipée pour faire face au défi de la destruction qui guette ces richesses naturelles.

Loin d’être une utopie, l solidarité entre les pays du Nord et ceux du Sud est à la fois nécessaire et possible . L’expérience a montré que les pays peuvent se soutenir mutuellement et réduire le poids de la souffrance des plus faibles. Cette solidarité devient d’autant plus nécessaire, que sans elle, aucune société ne connaîtra de stabilité véritable et aucune prospérité ne sera durable161.  Il n’est pas réaliste de penser que certains peuvent continuer de tirer de grands profits de la mondialisation, tandis que des milliards de leurs frères végètent, ou sont jetés, dans une misère absolue : « les injustices du système économique dérivé de l’idéologie libérale ne sont que la conséquence d’une perversion fondamentale des rapports économiques, elle-même issue de l’individualisme et du matérialisme. C’est à ce niveau originaire que l’injustice doit d’abord être dénoncée. »162 C’est pour cette raison, que, il y a quelques années, le sommet du Millénaire des Nations Unies163 avait adopté un ensemble d’objectifs à atteindre avant 2015. Citons, en ce qui concerne le développement, la volonté de réduire de moitié la proportion des personnes sans accès à l’eau potable, de faire en sorte que filles et garçons achèvent au moins un cycle d’études primaires, de réduire fortement la mortalité infantile et maternelle, et d’arrêter la propagation du VIH/sida. A ce sujet, Koffi Annan affirme : « Les mesures à prendre pour atteindre ces objectifs sont pour la plupart du ressort des gouvernements et des peuples des pays pauvres eux-mêmes.  Mais les pays riches ont eux aussi un rôle décisif à jouer. »164 Revenant sur l’ancien Président Harry Truman, il montre que c’est lui qui a ouvert la voie en 1949 en proposant d’appliquer un programme qui deviendrait l’assistance au développement. Malgré les efforts fournis par les pays développés dans le processus de la suppression de la dette des pays en développement, le montant débloqué ne signifie pas grand chose vu le niveau élevé du PIB165 des nations les plus nanties. C’est en ce sens qu’il poursuit son analyse en soulignant avec force que :

‘« le fait que nous ayons pu obtenir des pays donateurs qu’ils appuient la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement par des mesures d’allégement de la dette et une augmentation de l’aide extérieure prouve que la solidarité mondiale n’est pas seulement nécessaire, mais possible. Bien entendu, le montant de l’aide extérieure est en lui-même insuffisant. » 166  ’

Aujourd’hui, la réalité commerciale internationale montre que l’accès aux marchés, des termes de l’échange équitable et un système financier sans discrimination sont autant de conditions indispensables à l’amélioration des perspectives des pays en développement167. Certes, il est vrai que beaucoup de régimes totalitaires se réjouissent du semblant de stabilité et de la paix qu’ils parviennent à établir dans la terreur. On peut citer le cas du Général Obiang Nguema de la Guinée Equatoriale. Sans se préoccuper du respect des Droits humains, il revendique d’assurer la paix et la stabilité dans son pays. Mais, lorsqu’on se rend compte de l’inexistence de l’opposition et de la gestion de la chose publique par la famille présidentielle, tout devient relatif. Se permettre de penser la question du développement en faisant fi du respect des droits de l’homme, serait comparable à la construction d’un château sur du sable.

Notes
156.

Organisation des Nations Unies.

157.

Ibidem.

158.

Ibidem.

159.

Cité par KOFFI A., Ibidem.

160.

K. ANNAN, Op. cit., p. 2.

161.

Cf. J.-M. PELT, « Conflits et solidarités dans la nature et la société » in, Environnement, Création, Ethique, op. cit., pp. 15-28.

162.

M. SCOHOYAANS, La dérive totalitaire du libéralisme, op. cit., p. 112.

163.

Au sommet du millénaire ténu du 06 au 08 Septembre 2000 à New York, les Chefs d’Etats et des gouvernements déclaraient : « « Le tournant du siècle constitue un moment unique d’un symbolisme incontournable pour les 189 Etats membres des Nations Unies, pour articuler et affirmer une vision dynamique de l’Organisation dans cette nouvelle ère. »Notons que cette grande rencontre fut la concrétisation de la résolution 53/202 adoptée le 17 Décembre 1998. Cf. « Assemblée du millénaire », 55 ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, New York, ONU, 2000.

164.

Ibidem.

165.

Produit Intérieur Brut.

166.

Ibidem.

167.

La nouvelle dignité aujourd’hui consiste à permettre aux populations démunies d’accéder aux crédits. Cette maxime est d’autant plus compliquée à réaliser, suite à la méfiance des structures financières à l’égard des démunis : « Pour intéressantes qu’elles soient, ces expériences ne trouvent pas l’accès au financement dont elles auraient besoin. Les banques les ignorent, les administrations locales s’en méfient parfois ; car suscitant le désir des gens d’organiser eux-mêmes leur propre existence, elles peuvent ouvrir la voie à une certaine contestation de certains pouvoirs. Les Ong du Nord n’ont pas su utiliser ces initiatives autrement qu’en utilisant la forme habituelle de leur soutien : le don. »J.-P. VIGIER, Finances et solidarités. Votre épargne pour le développement des pays du Sud et de l’Est, op. cit., p. 46.