2.4.3.2. Pas de développement sans respect des droits humains

La sécurité et le développement reposent sur le respect des droits de l’homme et sur l’Etat de droit. Bien qu’il soit de plus en plus interdépendant, le monde d’aujourd’hui reste divisé, non seulement par les différences économiques, mais aussi par la religion et la culture. Le problème ne vient pas de l’existence de ces différences mais de la difficulté à les transcender et à s’y appuyer pour un dialogue franc et constructif entre les cultures. Tout au long de l’histoire, la diversité a enrichi la vie humaine et les différentes communautés ont appris les unes des autres.  Si l’on veut qu’elles vivent ensemble dans la paix et l’harmonie, il faut également mettre l’accent sur ce qui nous unit et non sur ce qui nous divise :

‘« C’est aussi indispensable au développement. Tant les investisseurs étrangers que les citoyens d’un pays sont plus enclins à se lancer dans une activité productive lorsqu’ils savent que leurs droits fondamentaux sont protégés et qu’ils ont confiance dans la justice. Et des politiques favorables au développement économique ont beaucoup plus de chances d’être adoptées si les personnes qui ont le plus grand besoin du développement peuvent se faire entendre. » 168

Aucun pays ne peut prétendre se développer s’il ne prend en compte, la mise en place d’une société plus juste. Au Cameroun, le journaliste Pius Njawé s’est vu condamné à deux années de prison pour avoir déclaré que le Président de la république était malade. Au Tchad, ce sont les journaux proches de l’opposition qui sont fermés et les journalistes emprisonnés pour des raisons purement politiciennes. En 2008, le Procureur Général de la République près la Cour Suprême de Justice en République Démocratique du Congo, a informé à tous les magistrats du pays de la nécessité de poursuivre tout citoyen qui se rendrait coupable d’offense au chef de l’Etat, sans avoir besoin d’une plainte au préalable. « Désormais, toute offense au Chef de l’Etat donnerait droit à l’ouverture des poursuites judiciaires sans qu’il y ait plainte de la part de la personne lésée. »169 Avec une telle allure, on se rend compte que la construction d’une société juste et démocratique en Afrique a encore du chemin à faire. Nous pouvons cependant nous demander si cette façon d’agir ne se nourrit pas des pratiques parfois anti-humaines dont se rendent coupables, les pays qui prétendent défendre les Droits de l’homme et la démocratie.

Finalement, les Etats ne peuvent réaliser ces objectifs qu’en agissant ensemble dans le cadre du multilatéralisme et en tirant le meilleur parti de l’instrument unique que Harry Truman et ses contemporains ont légué à l’humanité : l’Onu. « C’est seulement par l’intermédiaire des institutions multilatérales que les États peuvent être comptables les uns devant les autres.  Il importe donc au plus haut point que cesinstitutions fonctionnent de façon juste et démocratique et qu’elles permettent aux pauvres et aux faibles d’exercer un peu d’influence sur les riches et les forts. »170 Si les Nations Unies pouvaient revenir à leurs objectifs de base et devenir cet espace à travers lequel les nations en développement, pourraient faire entendre leurs voix ce serait le retour de la perspective d’une justice internationale équitable à laquelle aspirent tous les habitants de la terre. Ce principe s’applique tout particulièrement aux institutions financières internationales telles que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. Koffi Annan le rappelait avec force : « Les pays en développement devraient parler plus fort au sein de ces instances dont les décisions scellent quasiment leur sort.  Il s’applique aussi au Conseil de Sécurité, dont la composition reflète le monde tel qu’il était en 1945, pas celui d’aujourd’hui. »171 Cette réforme met en jeu deux questions distinctes. La première consiste à « accueillir de nouveaux membres, sur une base permanente ou pour une longue durée, afin d’élargir la représentation de régions du monde dont la voix n’est pas suffisamment entendue. »172  La seconde question, peut-être plus importante encore que la première, est que :

‘« tous les membres du Conseil, notamment les grandes puissances qui sont membres permanents, doivent accepter la responsabilité particulière qui accompagne le privilège qu’ils détiennent.  Le Conseil de sécurité n’est pas seulement une instance de plus dans laquelle on exprime des intérêts nationaux.  C’est en quelque sorte le Comité directeur de notre système de sécurité collective encore embryonnaire. » Comme l’a dit le Président Truman, « La responsabilité des grands Etats est de servir les peuples du monde, pas de les dominer. » 173

Le défi n’est pas aujourd’hui de sauver la civilisation occidentale, ni même la civilisation orientale, ni de mener une lutte pour un développement aveugle qui contribue à la destruction de l’univers et à l’accroissement des misères.

Le modèle de développement que les institutions internationales imposent aux pays africains aujourd’hui a déjà montré ses limites. Il faut donc élargir les analyses, et mettre en avant d’autres modèles de développement, qui visent la satisfaction des besoins humains fondamentaux des populations locales. Cela implique, une croissance du marché intérieur de chaque pays et l’utilisation des ressources humaines et naturelles locales. D’où la question de savoir s’il est possible d’utiliser des ressources humaines mal formées ou qui ne le sont pas du tout. A travers la mise en place d’un système éducatif dynamique, cohérent et adapté, il faudrait marquer une rupture radicale avec les pratiques passées, afin de tenter l’expérience d’une aventure qui s’éloigne des pratiques qui ont montré leurs limites. Ce processus dont la finalité est de donner aux populations des pays en développement les moyens de devenir maîtresses de leur destinée, est à mener dans l’objectivité et la transparence. Telle est la condition pédagogique susceptible de permettre la mise en place d’une nouvelle conception sociale où l’homme est considéré pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a. Si les détenteurs des capitaux le souhaitent, l’éradication de la pauvreté dans le monde ne peut poser aucun problème. Citant le Pnud174, Arnaud Zacharie déclare :

‘« 40 milliards de dollars par an, pendant dix ans suffirait à garantir à chaque habitant de la planète l’accès aux biens et services de base. Le coût de réalisation et de maintien d’un accès universel à l’éducation de base, aux soins de santé de base, à une nourriture adéquate et à l’eau potable et à des infrastructures sanitaires, ainsi que pour les femmes, aux soins de gynécologie et d’obstétrique, est estimé à environ 40 milliards de dollars par an. Cela représente moins de 4 % de la richesse accumulée des 225 plus grosses fortunes. » 175

Le Pnud veut seulement montrer qu’un prélèvement d’un impôt exceptionnel de 4% sur la fortune des 225 personnes les plus riches du monde suffirait à garantir l’accès universel aux besoins humains fondamentaux. C’est cette nouvelle civilisation humaine fondée sur la solidarité dans le respect de la dignité de chacun qui est à préconiser pour l’Afrique contemporaine. Cela exige la participation de chaque homme et de chaque femme. Comme le vote d’un citoyen peut déterminer l’avenir de toute une nation, la prise de conscience de chaque citoyen pris dans son individualité, est susceptible de contribuer au changement des mentalités. Une situation capable de contribuer à la transformation des pays d’Afrique en Etats prospères où le respect des libertés est une réalité. L’accession à l’indépendance qui suscitait d’énormes espoirs a fini par montrer qu’il ne suffit pas d’être indépendant pour se développer, mais qu’il faut avoir des ressources humaines et financières pour mener à bien cet acquis. Jusque-là, la question du développement reste d’actualité. Ce qui en exige une vraie analyse, afin de dégager les perspectives concrètes pour le bien être de tous.

Notes
168.

Ibidem.

169.

A. WETSHI, « Justice et droits de l’homme : il faut soutenir Floribert Chebeya » in, Congo indépendant. Hebdomadaire indépendant d’informations générales, du 28 janvier 2008. Site www.Congoindépendant.com

170.

K. ANNAN, Responsabilités collectives et mutuelles, solidarité mondiale, primauté du droit et unilatéralisme : principes directeurs des relations internationales, op. cit., p. 3.

171.

Idem, p. 4.

172.

Ibidem.

173.

Ibidem.

174.

Programme des Nations Unies pour le Développement.

175.

A. ZACHRIE « Garantir à tous et à toutes la satisfaction des besoins humains fondamentaux » in, Le bateau de la mondialisation, op. cit., p. 233.