3. L’utopie de l’interculturalité 

Dans le souci qui de voir le monde développer une nouvelle culture fondée sur la paix et la tolérance entre les peuples, et en apportant une contribution remarquable à la philosophie qui devait présider à la naissance de l’Unesco, Jacques Maritain a posé les bases d’une nouvelle vision de la réalité sociale, fondée sur le dialogue entre les cultures. Il était convaincu, que « la culture et la société ont pour office essentiel de préserver quelque chose de donné : le libre arbitre de l’homme en soi, de telle sorte que toutes les libertés de choix puissent s’exercer. »176 Cette vision d’une culture qui doit s’exercer dans la vie et dans le choix reste parcellaire. Nous sommes pourtant en accord avec Michel Develay qui pense, que la culture est cet élément qui donne un sens à la vie de chacun. Il le rappelait au cours du débat qui l’opposait à Pascal Bouchard et Alain Kerlan. Il souligne en fait, qu’il y a « une autre conception de la culture, à dimension anthropologique, qui correspond à ce qui fait sens à chacun. Souhaiter que l’école soit le lieu de découverte de la culture, c’est s’intéresser d’abord à comprendre quel type de rapport au savoir vivent les élèves. »177 La vision de Michel Develay présente une convergence avec notre conception de la culture, à la seule différence que notre but va au-dé-là de la simple présentation de la culture. Suite aux mutations sociales que connaissent les sociétés africaines, il n’est plus concevable que des citoyens s’enferment dans une logique qui considère leur culture comme étant unique et supérieure aux autres.

Mais cela va au-delà de l’Afrique. Le développement que nous défendons, exige la rencontre entre les cultures du Nord et celles du Sud, mais aussi celles du Sud entre elles. Pour que cette rencontre puisse porter tous ses fruits, ces différentes cultures doivent s’accepter et se compléter mutuellement. Mais cela n’est pas aussi facile qu’on ne le pense, car il y a plusieurs pesanteurs qui interviennent. C’est pourquoi nous avons pensé à l’éducation interculturelle, comme moyen de préparer les peuples à l’acceptation et à la tolérance. Même s’il reste à parfaire, l’exemple du Canada pourrait nous servir de référence. Au cours des années 1980, ce pays a fait de l’éducation interculturelle, l’une de ses priorités éducatives. C’est pour cette raison que nous nous sommes penchés vers cet exemple qui a aussi ses limites, pour voir dans quelle mesure ce qui se passe au Canada pouvait être utile, après modifications et adaptations à l’Afrique. Lorsque le Conseil Supérieur de l’Education du Canada publiait en 1983, l’avis pour introduire dans le vocabulaire éducatif, la notion d’éducation interculturelle, l’idée était perçue comme étant noble. A voir seulement les objectifs que ce conseil lui assigna, personne ne pouvait s’empêcher d’être satisfaite. Le but assigné à ce projet, concernait la recherche d’un équilibre dans la valorisation des cultures minoritaires, l’échange interculturel, et le rapprochement entre les Francophones du Canada et la grande majorité de leurs amis de part le monde. Cette forme d’éducation devrait aussi participer à la lutte pour l’intégration et contre le racisme. C’est pourquoi, en 1984, Ouellet définissait cette nouvelle forme d’éducation comme étant : « un effort systématique pour développer parmi les membres de la majorité comme de la minorité, une meilleure compréhension de différentes cultures, une plus grande capacité de communiquer avec différentes personnes d’autres cultures, ainsi que des attitudes positives à l’égard des autres groupes de la société. »178 Par cette définition, c’est la rencontre entre les peuples d’origines diverses qui est au cœur du débat. On sent aussi ce souci de préparer les jeunes, dès leur bas âge, à vivre l’éventualité de telles rencontres dans leur vie future. Même si le projet semble intéressant en soi, il faut croire en une sorte d’utopie, pour le mettre en œuvre.

Notes
176.

J. MARITAIN, Du régime temporel et de la liberté, Paris, Desclée de Brouwer, 1949,p. 47.

177.

M. DEVELAY, « La place et le rôle de l’école dans la société cognitive et la civilisation de masse » in, Quelle école voulons-nous. Dialogue sur l’école avec la ligue de l’enseignement, op. cit., p. 100.

178.

F. OUELLET, Intercultural education : teachers in service training. Ce texte est tiré de sa communication présentée au Second National on Multicultural and Intercultural Education, 1984, p. 17. Définition reprise par A. LENOIR ACHDJIAN, « Ecole et citoyenneté dans le modèle multiculturel » in, Y. LENOIR, Ecole et citoyenneté. Un défi multiculturel, Paris, Armand Colin, 2006, p. 85.