3.2.1. Le dynamisme des sociétés traditionnelles

L’histoire de l’Afrique montre que la société traditionnelle africaine n’est pas une société statique. Elle est une société dynamique, mais pas au sens où l’entend le langage contemporain. La technologie lui a manqué, il est vrai, et ce magnifique instrument qui permet de fixer sa pensée avant de la transmettre aux autres qu’est l’écriture lui a fait défaut. Mais l’historien burkinabé Joseph Ki Zerbo estime que la science ne se limite pas à l’écriture et aux outils, elle va au-delà. Il affirme que ces lacunes historiques, « ne sont pas carences métaphysiques, consubstantielles à je ne sais quelle nature noire. »207Le même Ki Zerbo se rend encore plus percutant en montrant que : « En raison des conditions écologiques, géographiques et démographiques singulièrement diverses, l’Afrique a été particulièrement vulnérable aux entreprises historiques de la volonté de puissance.»208 L’histoire montre que les sociétés des populations d’Afrique étaient des sociétés vivantes et dynamiques appelées à se développer. A cette fin, un soin particulièrement minutieux était accordé à l’éducation de la jeunesse et la préservait de ce malaise que connaissent nos villes et bidonvilles actuels encombrés de bandes de gamins livrés à eux-mêmes et prêts à tout pour leur survie. Si la jeunesse africaine d’aujourd’hui, est en permanence au bord du danger d’enfermement sur soi, c’est parce que la continuité entre l’initiation ancestrale et l’école moderne a souvent été trop négligée, voire encore, méconnue. L’ouverture à l’universel doit concerner les deux formes d’éducation qui, au lieu de s’exclure mutuellement, devraient plutôt collaborer. Ainsi, l’éducation traditionnelle comme l’éducation moderne peuvent se compléter pour le bien de la jeunesse. Mais le constat est que, l’école est considérée comme le seul lieu d’acquisition de l’instruction moderne et il n’est pas exclus que le jeune se sente frustré de ne pas trouver ce qu’il cherche plus fondamentalement sans le trouver à savoir : une ouverture complète à la vie concrète. L’éducation traditionnelle est ce bien auquel bénéficient tous les membres de la communauté sans distinction de classe sociale. Bien à l’opposé de l’école moderne réservée aux enfants issues des familles nanties ou moyennes de la société. Si les enfants issus de familles pauvres y ont accès, c’est souvent dans des conditions qui frôlent l’apprentissage impossible. Les promesses d’une école gratuite à tous non réalisées suffisent à montrer la nécessité de la vulgarisation de l’enseignement, afin de permettre à chaque enfant d’avoir accès au moins à l’éducation de base en Afrique. Le coût financier des études jette sur les rues une grande partie des enfants dont les parents n’ont pas les capacités financières de subvenir à la scolarité de leurs enfants. Une situation qui contraste avec la pratique de l’éducation traditionnelle où aucun enfant n’est laissé de côté : tout le monde peut y accéder.

La manière dont se pratique l’éducation traditionnelle la rapproche de, l’éducation est intégrale209, dans la mesure où elle vise toute la personne humaine et touche toutes les activités de la vie. En même temps, elle donne un sens profond à chaque activité, et la vie est prise au sérieux. Si l’enfant est attaché aux membres de sa famille biologique, à savoir les ancêtres qui veillent sur lui à partir de l’au-delà, ces ancêtres eux-mêmes sont sous la dépendance d’un Être Suprême Unique, Souverain et Bon. Cette tradition qui s’apparente au culte des saints en Occident, sera purement et simplement bannie, car considérée comme voisine du paganisme ! L’Ethique, la Morale et la religion, les sciences naturelles et les sciences humaines forment un tout indissociable dans lequel l’homme est le centre et la destination de toutes les préoccupations. L’éducation a la délicate mission de transmettre toute cette sagesse pratique210 afin que l’éduqué devienne capable de se conduire face à soi-même, face aux autres et face à la nature. La succession des événements historiques a arraché l’Afrique à elle-même pour la conduire vers un destin où elle ne maîtrisait plus, ni la direction, ni le contexte, ni les contours. A l’heure actuelle, les populations d’Afrique vivent une situation héritée de la mauvaise gestion de la chose publique. Cela entretient un état de sous-développement qu’il faut absolument remettre en cause. Toute pratique éducative qui vise le développement de l’homme, doit tenir compte des mutations sociales en cours, afin de ne pas se retrouver en marge de la réalité.

Notes
207.

« L’édification des jeunes nations » in, Le développement, la justice et la paix 54 ème semaine sociale 1967, Lyon, Chronique sociale de France, 1967, pp. 175-210.

208.

Ibidem

209.

Elle sous-entend que l’éducation doit former des citoyens qui « comprennent le sens de la liberté et le sens de la responsabilité, le sens des droits humains et le sens des obligations humaines, le courage de prendre des risques et à exercer de l’autorité pour le bien général et en même temps pour le respect de l’humanité en chaque personne individuelle. » Mais ce qui est visé par Jacques Maritain, c’es la personne humaine comprise comme une totalité. Pour lui, l’homme est : « un animal doué de raison dont la suprême dignité est dans l’intelligence ; et l’homme est un individu libre en relation personnelle avec Dieu.»J. MARITAIN, Pour une philosophie de l’éducation, op. cit., p. 24.

210.

Pour mieux comprendre cette expression, nous devons faire référence à Jacques Maritain, qui définit la science pratique comme celle qui rend l’homme apte à diriger sa conduite. Mais il va loin en précisant qu’un tel savoir « se réglerait sur l’honnêteté naturelle, ne pas mentir, ne pas commettre d’injustice, pratiquer la piété filiale, etc. » Tout simplement, il veut montrer que la simple prescription des choses ne suffit pas à constituer une science pratique. Car la science pratique est «une science de l’usage de la liberté, une science qui ne prescrit pas seulement certaines choses bonnes, mais qui détermine comment le sujet opérant peut mener une vie stablement bonne et organiser d’une façon droite l’univers de son agir : car c’est ce sujet lui-même qui doit être rendu bon. »J. MARITAIN, Science et sagesse. Suivi d’éclaircissements sur la philosophie morale, Paris, Labergerie, 1935, p. 269.