L’école a souvent été définie comme un simple lieu d’instruction où les élèves viennent pour ramasser des connaissances qui n’ont rien à voir avec le contexte existentiel dans lequel ils évoluent. Notre posture se voudrait une remise en cause fondamentale de cette pratique, vers celle qui favorise avant tout la prise en compte de la culture et de l’environnement de l’éduqué afin de lui permettre de s’ouvrir aux réalités qui l’entourent. Cette ouverture lui permet d’échapper au type de relation qui se confondrait à celle fondées sur l’instinct, relation qui ne diffère en rien de celles qu’entretiennent les animaux. C’est ce que soulignait déjà Paolo Freire en ces termes : « Les relations que l’homme engage dans le monde, avec le monde, possèdent des caractéristiques propres qui les distinguent totalement des rapports purement instinctifs du monde animal. »213 Par la suite, ces derniers auront le devoir, non de s’enfermer sur les acquis de leur culture, mais de s’ouvrir au monde. Ayant une connaissance de leur culture, ils ne pourront point seulement recevoir des autres, mais ils apporteront certainement quelque chose à la culture universelle : « l’enfant qui voit à l’école les motifs de décoration du mobilier et les troncs du tambour du toit paternel, le nœud, symbole religieux de la puissance qui lie et délie, doit se sentir dans son milieu. »214 Dans la conception des programmes d’enseignement, il est normal que le matériel utilisé pour l’enseignement s’inspire des réalités locales. Il y a plusieurs éléments de la culture africaine qui peuvent servir de support éducatif, mais sont écartés pour des raisons que seuls les concepteurs connaissent. Même au sujet de l’architecture scolaire, on fera en sorte que l’enfant ne soit pas dépaysé dès qu’il se rend en ville pour poursuivre ses études. Cela est nécessaire, autant pour les élèves, que pour la société appelée à bénéficier de leur savoir-faire. L’école n’est pas seulement ce lieu privilégié où l’on se rend pour chercher un diplôme et oublier tout ce qu’on aura appris dès qu’il sera possible d’obtenir un emploi. Elle doit plutôt conférer à l’apprenant une nouvelle vision de son monde, pour que plus tard, cette vision se transforme en richesse capable de transformer la nature, mais pour le service de l’homme.
Le rôle fondamental de l’école est de préparer les jeunes à assumer des responsabilités à travers l’éducation. Suite à l’évolution de la technique, il devient impossible de gérer ou de travailler si on ne dispose pas d’un minimum de connaissances concernant la manipulation de quelques outils modernes indispensables pour réaliser le moindre travail. Alors qu’éduquer implique la préparation de la jeunesse aux tâches multiples et difficiles qu’elle aura à affronter, en pleine responsabilité pour l’édification de la nation, éduquer c’est aussi faire des générations montantes des adultes libres et responsables, forts physiquement et moralement pour agir de façon courageuse et participer au défi du développement socio-économique. Eduquer c’est, enfin, apprendre à la personne humaine à devenir elle-même, face au monde et face à la nature. Le constat est général en Afrique où la jeunesse constitue la frange de la population la plus élevée. C’est pourquoi, cette situation devrait nous emmener, non à contraindre ces jeunes au banditisme, à l’immigration, à la violence ou à la drogue, mais plutôt à leur conférer une formation professionnelle de qualité, afin que leur dynamisme ne finisse pas dans l’Océan mais contribue efficacement au développement intégral des nations africaines. En effet, ce n’est pas la motivation qui manque, ni la volonté d’agir. Mais c’est parce qu’on ne donne pas à ces jeunes la possibilité d’exprimer ce dont ils sont capables et parce que leur formation ne cadre pas avec la réalité qu’ils sont obligés, après leurs études, de faire autre chose que ce qu’ils ont appris à l’école. Cela fera dire à Martin Ekwa :
‘ « On découvre d’une part, chez les jeunes une aspiration quasi incoercible à une scolarisation, la plus intense et la plus longue possible, et cette aspiration est soutenue par les adultes à un point tel qu’on se demande parfois si les études sont en fait considérées comme un moyen ou comme une fin ! D’autre part, on voit poindre à l’horizon l’homme de culture africaine, fier de son patrimoine historique, linguistique, artistique, littéraire et sociologique, et je souhaite que la rénovation culturelle retienne toute l’attention des éducateurs de la jeunesse. » 215 ’En effet, l’école a ouvert l’Afrique au monde moderne et à un nouvel humanisme donnant plus de place à chaque être humain pris dans sa singularité, en tant qu’il représente en lui-même une valeur autonome, c’est-à-dire une indépassable représentation complète de la condition humaine. La nouvelle vision de la personne humaine véhiculée par cette école « venue d’ailleurs » conforte aussi la position de la responsabilité individuelle qui est à la base de l’humanisme contemporain, que défendait le philosophe Jacques Maritain. Là où les systèmes traditionnels de transmission de la culture survalorisent le groupe et prêchent la soumission totale à son autorité, la nouvelle organisation de l’éducation fait appel à la liberté et à la raison. Cela lui permet de donner à chacun la possibilité d’être lui-même maître de son destin. Mais ces bienfaits de l’école n’ont pas pu occulter le déchirement culturel qui ressort de la dichotomie entre l’enseignement reçu par et les pratiques familiales quotidiennes auxquelles les jeunes font face au quotidien.
P. FREIRE, Op. cit., p. 37.
M. EKWA, « Pour une éducation authentique » in, liberté des jeunes églises. Rapports, échanges et carrefours de la XVIII ème semaine de missiologie de Louvain, Paris, Desclée de Brouwer, 1968, p. 170.
M. EKWA, Op. cit., p. 180.