3.2.4. Ecole et développement

Il est absurde de penser au développement d’un pays en taisant la dimension éducative. C’est ce qu’ont essayé de faire certains dirigeants de l’Afrique. Tout en tenant des discours flatteurs sur l’éducation, leurs gouvernements n’ont toujours pas su donner à l’école les moyens nécessaires pour lui permettre d’atteindre ses objectifs. C’est le cas de la République Centrafricaine ou du Tchad où le budget alloué au secteur éducatif est plusieurs fois inférieur à celui de la défense ou de la sécurité. Une telle gestion de la chose publique qui voudrait se passer de l’éducation, ne peut que retarder l’avènement du développement en Afrique. Jean-Claude Barthelemy s’était déjà prononcé sur cette question :

‘« L’éducation devrait être l’une de toutes premières stratégies du développement en Afrique au Sud du Sahara, comme elle l’a été en Asie du Sud-Est dans les années 1950. L’Afrique subsaharienne enregistre en effet un retard important dans ce domaine par rapport à toutes les autres régions du monde. On peut expliquer que ce retard s’explique par des efforts budgétaires insuffisants en faveur de l’éducation nationale. » 216

Pour participer efficacement à la bataille du développement, elle doit donner aux jeunes des capacités d’innovations et d’adaptations aux réalités environnantes. Mais les évolutions actuelles ne vont plus dans ce sens, car : « la recherche de la rentabilité au détriment du progrès social prédomine. »217 Cette pratique qui vide l’éducation en Afrique de sa sève, tend à se généraliser. Tout en prônant une éducation qui permet aux jeunes de s’insérer dans la société, nous convenons avec le professeur Pierre Fonkoua que : « l’éducation ne se justifie pas par son rendement extérieur mais se mesure à travers sa valeur intrinsèque de développement des talents des jeunes qui participent réellement à l’insertion socioprofessionnelle. »218 En collaboration avec les foyers de développement nationaux et internationaux, elle doit pouvoir intéresser les élèves à la vie nationale et internationale, à travers une incitation à l’information quotidienne sur ce qui se passe dans le monde. Une formation est nécessaire pour permettre aux citoyens de développer la capacité de juger219 selon des principes d’intérêt général, afin de se mettre au service des autres avec une largeur de vue au delà des frontières et une conscience responsable. Une perspective enrichissante, en réponse aux questions de développement et de promotion sociale par l’éducation au dialogue et à l’ouverture, est ouverte par une affirmation du Père Martin Ekwa. Il pense que l’éducation est une forme de réponse à la vocation sociale des hommes et que l’une de ses missions est de faciliter l’émergence de la culture nationale tout en favorisant les « échanges fraternels avec les autres peuples pour favoriser l’unité véritable et la paix dans le monde. »220 Nous constatons ici cet accent placé sur l’obligation d’insérer toute œuvre d’enseignement et d’éducation dans les cultures et les traditions nationales. Il est sûr qu’un large projet de renouveau intellectuel avait commencé en Afrique. Mais ce projet a rencontré des échecs liés à plusieurs facteurs.

Aujourd’hui, il devient impérieux de le réactualiser, et de l’adapter au contexte de la mondialisation et de la globalisation. Ainsi, pour tout projet socio-éducatif, il faut voir d’abord quel type de formation il faudra donner aux enseignants, pour espérer parvenir à un type de société donné. Il deviendra alors pensable d’offrir aux pays, des éducateurs dont a besoin la société pour le bien de l’humanité tout entière. En même temps, nous devons affirmer que, pour compléter la formation au développement, l’enseignement de la citoyenneté et de la démocratie doit être intensifié dans les structures éducationnelles221. Jusqu’à présent, il est dispensé, mais quelles que soient les timides modifications, souvent sur la forme plus que sur le fond, une importance capitale doit être accordée à cette matière et il faut lui donner une place au même titre qu’aux matières de base, contrairement à la place périphérique qu’elle occupe actuellement. Autrement dit, les établissements d’enseignement doivent s’efforcer de répondre aux attentes des populations, lesquelles comportent des exigences pédagogiques contraignantes. La formation dont le caractère est proche du service national, ne doit pas être confondu avec une balade de santé effectuée dans la légèreté et la nonchalance, comme cela se fait souvent dans nos établissements scolaires, comme le rappelle Martin Ekwa: « Le service de la nation n’est pas une promenade paisible, porté au gré d’un flot lent et majestueux, il est œuvre de dévouement, de responsabilité, parfois de contradiction, parce qu’il est service de la personne humaine. »222 L’exigence qui nous est suggérée montre à quel point la construction sociale est loin de se confondre avec un simple enthousiasme. C’est un travail qui demande un engagement permanent et une ouverture à l’autre. Pour parvenir à une telle finalité, l’éducation à l’autonomie des personnes et à l’accueil des autres se présente comme une exigence nécessaire.

Notes
216.

J.-C. BARTHELEMY, « Les stratégies d’éducation et le développement en Afrique » in, Education, fondement du développement durable en Afrique, op. cit., p. 130.

217.

P. FONKOUA, Quels futurs pour l’éducation en Afrique ?, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 24.

218.

Idem, p. 25.

219.

Nous entendons par capacité de juger, cette activité de l’esprit consistant à interprète la réalité de façon critique et objective. Nous ne sommes pas loin de penser que le jugement est cette : « faculté de discerner la valeur ; grâce à lui, nous sommes capables de distinguer le vrai du faux. »Pris au sens kantien il signifie « l’opération qui résume toute la pensée : penser c’est juger. » D. MOREL, L’éducateur face au réel. Du rapport au réel au rapport à l’autre, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2004, p. 35. Les jeunes d’Afrique centrale doivent être formés à la capacité de juger pour leur permettre de mieux discerner les enjeux actuels et futurs pouvant leur permettre de d’assumer la place qui leur revient dans la société.

220.

M. EKWA, Op. cit., p., 185.

221.

La démocratie se fonde sur des principes inaliénables à savoir « la dignité de la personne humaine, les droits de l’homme, l’égalité humaine, la justice, le respect de la loi. C’est ce qui constitue la charte démocratique… Le corps politique a le devoir de promouvoir chez ses citoyens, principalement par l’éducation, le credo humain et temporel. »J. MARITAIN, Op. cit., p. 168.

222.

M. EKWA, Op. cit., p., 186.