3.3.2.1. Eduquer à la tolérance

Aujourd’hui, nous assistons à une inacceptable manipulation des consciences de certaines populations contre les autres. Ce qui explique la persistance des conflits ethniques injustifiés. Cette bassesse est très perceptible chez les jeunes qu’on récupère pour les utiliser comme enfants soldats. La multiplicité de politiciens mal formés et qui n’ont qu’une seule formule pour accéder au pouvoir, à savoir, l’usage de la mauvaise foi pour inculquer la culture de martyre chez les jeunes à qui ils distribuent drogue et alcool pour leur faire commettre des crimes. Les témoignages abondent en ce sens. Les jeunes libérés de ces milieux racontent comment ils sont instrumentalisés dans ce sens229. Aucun éducateur consciencieux ne peut accepter de telles manipulations. L’enseignement de la tolérance ne concerne pas seulement la jeunesse, mais toute la société. Ces gens donnent à leurs milices des noms qui rivalisent en intimidation. Ceci va des « Cobra matata »230, des « Ninjas », avec des chefs aux surnoms de « commandant diable » etc. Ils ont parfois des missions suicidaires, où ils sont invités à ne rien laisser de leur passage. Or, tout ceci se fait dans l’ignorance la plus totale des règles élémentaires de la tolérance, comme l’a remarqué Yannick Bonnet : « Pauvres enfants, pauvre jeunesse, que l’on manipule sans arrêt sur le thème de la tolérance. Quelle confusion met-on dans leur esprit ? »231 L’intolérance règne en Afrique à l’égard de ceux qui manifestent des convictions, qui témoignent, souvent par leur vie, des valeurs qu’ils cherchent à promouvoir. Que de martyrs de la vérité en Afrique, que d’hommes et de femmes qui ont donné leurs vies parce qu’ils croyaient en la vérité, que d’hommes et de femmes qui continuent d’être martyrisés, jours et nuits, pour la simple raison qu’ils défendent des points de vues contraires à ceux de leurs bourreaux. Tel est le cas du jésuite camerounais Anglebert Mveng232, et beaucoup d’autres qui ont dû pour sauver leurs vies, abandonner leur patrie, pour vivre dans des chambres d’étudiants dans leurs pays d’accueil. Cela est lié au climat d’intolérance entretenu par des personnes envoûtées par la drogue du pouvoir. Vu ces dérapages, les éducateurs ne peuvent que développer une action offensive et une action défensive pour relever un tel défi.

Une action offensive s’avère nécessaire pour promouvoir une vraie tolérance. Même si l’autre ne pense pas comme moi, il dispose d’un minimum de droit au respect et à la protection. La dignité d’un être humain ne se négocie pas. On doit cultiver un regard tolérant sur les défauts et les qualités de chacun. Comme la nuit se transforme en jour et apporte l’espérance à tous ceux qui étaient sous la menace de l’obscurité, toute personne peut changer si on lui en donne les possibilités. Quelqu’un peut dire une sottise sans être un sot ; quelqu’un peut commettre un méfait sans être un malfaiteur ; quelqu’un peut dire un mensonge sans être un menteur invétéré. Seul un regard d’amour peut comprendre cette situation où l’homme se fait rejoindre par sa finitude et pose des actes qui lui rappellent qu’il n’est pas maître de sa propre histoire.

Une action défensive pour montrer à l’éduqué que, celui qui est injustement attaqué dans sa personne doit être courageusement défendu. La vie harmonieuse n’exclut point la lutte contre la sottise des gens, la tyrannie, la corruption, ou la valorisation de l’avoir par rapport à l’être. Mener ce combat exige de la conviction et du courage. Voilà le signe fort de l’acceptation de l’autre : le défendre, même lorsqu’on ne partage pas les mêmes certitudes, ou les mêmes opinions. C’est cela, à notre avis, la véritable tolérance. L’Afrique a effectivement besoin d’hommes et de femmes comme Jean Paul II, l’Abbé Pierre, Martin Luther King ou Nelson Mandela. Il appartient à l’éducateur de montrer à l’éduqué qu’il peut se servir de l’exemple de ces artisans de justice pour participer, à son niveau, à l’humanisation de la société en cultivant le sens de l’engagement pour le justice, la liberté et le développement social.

La vraie tolérance est celle qui respecte « toute personne, quels que soient sa vie, ses opinions, ses paroles, ses écrits. Et c’est pour le grand triomphe de la vérité et de la justice sans lesquelles le développement ne peut avoir lieu. La peur et la timidité ont souvent empêché les populations d’Afrique d’agir là où c’était nécessaire. Suite à une pseudo-religiosité mal intégrée, tout le monde semble se résigner et laisser la tâche de la restauration nationale aux seuls détenteurs du pouvoir politique, judiciaire, militaire et financier. Face à certains abus, il n’est pas rare de voir des personnes dire : « laissez seulement, on va prier, » comme si la prière n’a pas besoin de l’action engagée du croyant. Puisse l’éducation au développement233 nous mener vers une libération humaine dans toute son intégralité. Personne ne peut se libérer tout seul comme le faisait remarquer Paulo Freire : « l’éducation pour la libération n’est pas celle qui cherche à libérer les élèves des tableaux noirs pour leur offrir des projecteurs. Bien au contraire, elle se propose en tant que praxis sociale, de contribuer à libérer les êtres humains de l’oppression qui les étouffe dans la réalité objective. »234 C’est donc avec les autres que l’action de libération pour le développement doit être menée. Ce qui exige la reconnaissance de l’autre et le rôle qu’il est appelé à jouer dans la construction d’une société juste.

Notes
229.

Pour avoir accès aux témoignages des enfants soldats qui ont été démobilisés et qui ont donné des témoignages accablants sur leur parcours, on peut consulter plusieurs revues, périodiques et livres. Pour plus de précision on peut lire : « Droit à l’éducation au Sud. Des classes pour tous » in, Alternatives internationales. Alternatives économiques, N° 34, Mars 2007, pp. 67-71 ; « Côte d’Ivoire. Les acteurs de la société civile appellent à un forum de dialogue national » in, Faim et développement magazine, N° 217, Décembre 2006, pp. 24-26. Le plus éclairant demeure cependant, le témoignage du Général français Pierre Michel Joana lors de la Conférence internationale organisée à Paris par le Ministère français des Affaires étrangères en collaboration avec l’UNICEF. « Libérons les enfants de la guerre. Témoignage du général Pierre Michel Joana, Chef de la Mission de l’Union Européenne pour la réforme du secteur de sécurité en République démocratique du Congo » in, France diplomatique, du 05 février 2007.

230.

Cobra dangereux en Swahili.

231.

Ibidem

232.

Prêtre jésuite camerounais qui avait de prises de position controversées sur la situation socio-politique du Cameroun. Malgré les enquêtes diligentées, on n’a jamais réussi à comprendre les vrais raisons de son assassinant et les meurtriers n’ont jamais été retrouvés.

233.

L’éducation au développement est considérée comme un instrument important du développement socio-économique et politique d’un pays. C’est ce qui a poussé les nouveaux Etats indépendants du tiers monde, fraîchement sortis de la colonisation à entreprendre des réformes énormes en matière d’enseignement. Mais cela reste insuffisant. Cf. H. V. DAELE, L’éducation comparée, Paris, PUF, 1993, p. 27.

234.

P. FREIRE, « Education, Libération et L’Eglise » in, Parole et Société, N° 86, 1978.