3.3.2.2. Eduquer à la reconnaissance de l’autre

On s’intéresse à l’autre pour le connaître et non pas pour le séduire. L’accepter tel qu’il est, est un grand pas vers un enrichissement mutuel. Mais l’éducation ne doit pas se limiter à un contact superficiel. Elle doit aller plus loin en posant sur l’autre un regard qui, au delà de la simple connaissance, permet la reconnaissance. C’est cette reconnaissance d’un autre différent de moi dans sa singularité qui constitue un réel enrichissement pour ma propre personne et pour la société toute entière. Ecoutons ce poème qui invite au passage du simple contact à la reconnaissance :

‘« L’ennui naquit un jour de l’uniformité. Quelle merveille que les gens soient si différents ! Il est important de faire saisir à l’enfant cette richesse apportée par l’autre. Car enfin, en quoi l’admiration que je porte à l’autre pourrait-elle me diminuer ? L’autre n’est pas parfait ! Cela tombe bien, moi non plus. Il y a tant à s’émerveiller des talents des autres, adresse, dextérité, courage, délicatesse, pertinence de l’analyse, fulgurance des intuitions, promptitude, résistance, on en finit pas d’admirer la multiplicité des qualités et la diversité des domaines concernés – sport, art, culture, vie morale, vie spirituelle, vie sociale, professionnelle, associative. Et l’autre possède des qualités quelques fois insoupçonnées. Quelle joie de les découvrir, de les valoriser, de les faire connaître, de les valoriser. » 235

La reconnaissance des mérites des autres est un signe de maturité. Et lorsqu’on est au milieu des autres, il faut s’ouvrir à l’expérience de la rencontre. Dans les conseils qu’il donnait à ses élèves, l’un des pères de l’Eglise, Origène236 insiste sur le devoir de la reconnaissance et critique avec sévérité l’ingratitude. Il affirme : « Mais quiconque a tout de suite la reconnaissance et le sentiment du bien qu’on lui a fait et en garde à l’avenir la mémoire, s’il ne fait monter la reconnaissance vers l’auteur de ces biens, un tel homme est paresseux, ingrat, impie, et commet des fautes qu’on ne peut pas pardonner à un homme important, ni à un homme modeste. » 237.

La cohérence entre la vie de l’éducateur et ses déclarations est un élément très important dans la construction de l’être de l’éduqué. L’heure est venue pour les populations d’Afrique, où la formation des esprits libres et pensants se présente comme une exigence morale. Il existe aujourd’hui en Afrique, une sorte de silence coupable, une sorte de consensus mou qui réunit des moutons de Panurge menés par certaines personnes s’attribuant à elles seules le qualificatif d’ « intellectuels ». C’est cette hypocrisie qui est à déplorer. « On retrouve, sous les dehors bohèmes et la forme prétentieuse et agressive, un maigre bagage d’idées reçues, une dérision qui ne fait rire que leurs auteurs et les conditionnés des rires enregistrés : c’est sinistre et abrutissant. »238 Aux éducateurs comme aux parents, incombe donc la responsabilité de permettre aux enfants de retrouver la joie de reconnaître tous ceux qui, par leur différence, enrichissent la société et lui confèrent sa vraie valeur. Si cette diversité, cette richesse, que ce soit dans les familles ou dans les salles de classes, génèrent un débat véritable, cela ne peut que nous réjouir. Mieux vaut une confrontation vive mais constructive qu’un consensus hypocrite fondé sur la passivité. Malgré la situation que nous présentent chaque jour les médias239 sur l’Afrique, c’est la réhabilitation de l’éducation qui lui permettra de faire entendre un jour sa voix. Ce ne sont plus les autres qui parleront à à la place des Africains, mais ils sont appelés eux-mêmes à défendre leur cause, en tant que partenaires valables et incontournables. C’est avec les Africains qu’il faudra désormais compter pour l’édification d’une humanité juste, vivable, et solidaire. C’est en quelque sorte, le gage d’un vrai développement à chaque personne, quelle que soit sa culture, sa religion ou son appartenance sociale, la possibilité de vivre et de faire vivre.

Notes
235.

SNOOPY, « Un petit compliment n’a jamais fait de mal », bande dessinée de Schulz, cité par Y. BONNET, Les neuf fondamentaux de l’éducation, op. cit., p. 148

236.

183/186-252/254 de notre ère.

237.

GREGOIRE LE THAUMATURGE, Remerciement à Origène. Lettre d’Origène à Grégoire, Paris, Cerf, 1969, p. 107.

238.

Y. BONNET, Op. cit., p. 152.

239.

Pour qu’un pays d’Afrique puisse faire le une d’un journal, il doit avoir reçu la visite d’un homme politique Occidental. Parfois on n’y fait même pas attention, si cela n’intéresse pas les journalistes. C’est quand il y a une situation de crise dans un pays d’Afrique, que les médias occidentaux se précipitent pour montrer à la face du monde que tout va mal. C’est comme si on disait, « n’est-ce pas que nous vous avons dis que, rien ne peut marcher là-bas ! » Même lorsqu’il s’agit de l’Afrique du Sud qui n’a rien à envier à certains pays Occidentaux, les médias préfèrent présenter les townships de Soweto. C’est pourquoi Gaston Kelman s’était insurgé contre « ces blancs bien-pensant qui ne vont en Afrique du Sud, que pour voir les bidonvilles de Soweto et non pas Johannesburg, alors qu’ils ne sont jamais allé en banlieue dans leur propre pays. » G. KELMAN, « Un catholique qui proteste » in, Réforme, N° 3252 du 20/12/2007 au 2/01/ 2008, p. 20.