3.3.3. Eduquer à la citoyenneté responsable

Les crises de la culture sont des moyens propices à leur essor. C’est aussi un moment privilégié qui aide à rechercher les raisons profondes dans le passé, pour construire l’avenir. La crise à laquelle fait face la culture africaine aujourd’hui est liée à l’accumulation de plusieurs événements, notamment : la traite négrière, le colonialisme, les dictatures et les démocraties bananières. La rencontre avec la culture occidentale a été violente et non préparée par l’éducation. Il s’en est suivi comme une spirale de guerre et de destruction. Les cultures et les politiques africaines baignent aujourd’hui dans l’ambiance de la mondialisation, pour une civilisation planétaire dont personne ne peut plus se passer. Chacun doit se faire violence pour accueillir l’autre et le reconnaître en vue de bâtir la génération des nouveaux citoyens du monde. Il en est ainsi de la démocratisation des cultures africaines, qui ne constitue qu’un début de l’écriture d’une nouvelle histoire pour l’Afrique. Pour aborder le choc du futur et ses imprévisibles surprises, puisqu’il est nécessaire que soit préparé l’état d’esprit du citoyen par une éducation ouverte. Cette réparation passe par un renforcement des qualités intérieures longtemps mises en veilleuse par un système éducatif dont les limites ne sont plus à démontrer. Il s’agit d’équilibrer les facultés qui président au développement des connaissances pédagogiques, unies à un certain art de vivre, de penser et de sentir. « Seule cette fusion heureuse et cette restauration délimitée de l’homme nous exorciseront de l’angoisse de notre temps. Car tout mouvement de liberté tourné vers l’avenir et l’élévation supposent la triple entente du savoir, de l’agir et du sentir.»240 En tout cas, les populations d’Afrique ont une culture de la participation politique encore embryonnaire. Le contexte actuel prouve qu’il est certain que ce peuple n’a pas les moyens d’accéder au fondement de la démocratie, à savoir, « l’édification de la société par les mains des citoyens eux-mêmes. »241 L’expérience de l’autonomie politique fait défaut en Afrique, alors que c’est cette autonomie qui constitue la clé du fonctionnement démocratique. Il est nécessaire de relever d’abord les trois différents points à savoir ; la culture démocratique comme exigence morale, la participation politique du citoyen, base de tout développement et une éducation intégrale.

Un regard rétrospectif sur le programme de l’enseignement supérieur et universitaire en Afrique, montre que l’éducation à la citoyenneté responsable n’est pas très développée. Pourtant elle fut au cœur de la lutte de Jacques Maritain dans la mise en place d’une société juste. A ce sujet, Paul Valadier déclare : « Il s’agit avant tout de proposer un nouvel humanisme capable d’honorer en l’homme toute sa richesse et toute sa profondeur, donc de travailler au niveau de ce qu’il appelle le profane, en permettant à l’humanité de se donner les moyens d’une construction juste de la cité terrestre. »242 Il pensait que la meilleure voie d’accès à cet humanisme, c’est l’éducation. Il préconisait donc un enseignement primaire, secondaire et universitaire des valeurs démocratiques fondées sur l’humanisme chrétien. Dans cette civilisation moderne dominée par la vie séculière, Jacques Maritain recommande une révolution démocratique fondée sur une conviction dont : « l’idée dynamique dominante n’est pas l’idée de la force au service de la justice, mais plutôt celle de la conquête de la liberté et de la réalisation de la dignité humaine. »243 Plusieurs pays d’Afrique ont essayé de se mettre sur ce chemin de la construction sociale par la démocratie participative. Reste à voir comment ils ont dû organiser l’éducation à la citoyenneté responsable. Dans la plupart de ces pays, c’est le parti au pouvoir qui conçoit le programme, et la matière enseignée se confond souvent à une campagne électorale. Et, malgré la présence de cet enseignement, il reste dispensé de façon insuffisante, à travers quelques matières à caractère politique, comme le droit constitutionnel, la philosophie sociale, la morale ou l’instruction civique. Ce constat pose le problème de la pertinence et de l’importance que la société accorde à un tel enseignement au niveau universitaire, secondaire et primaire. En République Démocratique du Congo cependant, l’éducation civique, qui tient place d’éducation à la citoyenneté, figure comme cours obligatoire au programme académique de l’enseignement supérieur et universitaire car, en 1971, la révolte des étudiants de l’université de Lovanium avait entraîné une réforme profonde de l’enseignement supérieur. C’est ainsi que, dès l’année universitaire 1971-1972244, le cours de civisme et développement fut introduit dans le programme des premières années des Graduats245 de toutes les facultés et de tous les départements des Universités congolaises.

Notes
240.

J. MARITAIN, Op. cit., p. 134.

241.

A. de TOCQUEVILLE, La démocratie en Amérique, Souvenirs, l’Ancien Régime et la Révolution, Paris, Robert Laffont, 1986, p. 55. Cité par P. FREIRE, L’éducation pratique de la liberté, op. cit., p. 68.

242.

P. VALADIER, Maritain à contre-temps. Pour une démocratie vivante, Paris, Desclée de Brouwer, 2007, p. 43.

243.

Idem, p. 60.

244.

Cf. P. NGOMA BINDA, La participation politique, Kinshasa, IFEP, 1995, p. 189.

245.

Le cycle de graduat équivaut au premier cycle universitaire en Belgique et en République démocratique du Congo. Le diplôme de fin du premier cycle universitaire en République démocratique du Congo s’appelle le Graduat. Il est l’équivalent de la Licence dans le système français et du Bachelor degree dans le système anglophone.