Lorsqu’il aborde cette lancinante question, Jacques Maritain met un accent particulier sur la liberté intérieure et sur l’indépendance d’esprit, pour la formation d’un citoyen libre destiné à vivre dans une démocratie. Il aura à jouer un rôle en assumant des responsabilités politiques, en s’acquittant de sa tâche quotidienne au sein de la cité, en venant généreusement en aide à ses frères et en partageant avec les autres ses loisirs. Le cours d’éducation à la citoyenneté, vise quatre objectifs. Le premier consiste à amener les étudiants à se persuader de la nécessité de la culture civique, à intérioriser la vérité essentielle selon laquelle le développement culturel, social et économique d’une nation dépend fondamentalement du degré de responsabilité civique, c’est-à-dire du degré de conscience morale et politique de ses concitoyens. Le deuxième objectif est que l’étudiant, après avoir compris l’importance du civisme dans la société, soit capable d’adopter le comportement requis dans tous ses actes et toutes ses attitudes vis-à-vis de la nation et du bien commun. L’adoption de ce comportement exige, pour tout citoyen, la connaissance de ses droits et de ses devoirs. Par-delà l’éducation politique, ce cours est une éducation à la morale, aux valeurs et aux vertus que requiert la nécessité de la construction nationale et internationale. Le monde d’aujourd’hui a besoin de personnes capables de contribuer à l’avènement d’un nouvel ordre économique et politique.
Le troisième objectif consiste à indiquer les motifs pour lesquels chaque citoyen est obligé d’adopter le comportement qu’il faut, pour la bonne marche de la société. La visée est d’aider les jeunes à acquérir l’information de base qui doit transformer leur comportement par rapport au bien commun, à la nature, à l’Afrique et à l’humanité. Il s’agit de susciter en eux cette vertu cardinale du citoyen qu’est l’amour de la République, l’amour de son pays, dont Charles de Montesquieu disait qu’il constitue le « pilier de la démocratie»246. Le quatrième et ultime objectif consiste à rendre l’étudiant capable de participer correctement, selon les règles de la démocratie moderne, à la vie politique de son pays. Ces éléments d’information et d’éducation à la conscience civique visent à mûrir le désir de participation politique du citoyen pour la construction d’une société juste et solidaire, en vue d’accroître ses compétences dans la perception de la réalité nationale et internationale : « nul n’a le droit de demeurer un simple spectateur vis à vis des affaires publiques et du monde. Il n’est autorisé à aucun citoyen adulte de rester passif face aux efforts communs qu’il est nécessaire de déployer pour la construction d’une nation politiquement solidaire et économiquement forte.»247 Tout milieu éducatif doit développer chez l’apprenant, le souci de l’appartenance au groupe social, pour lui permettre de jouer un rôle actif dans sa société d’appartenance.
Cela passe par une pratique éducative fondée sur la transmission d’une conscience critique, que Paulo Freire définit comme : « la perception des choses et des faits, tels qu’ils existent concrètement, dans leurs relations logiques et circonstancielles. »248 Cette perception va dans le sens de l’éducation sociale, qui a pour mission de former les jeunes à mener une vie utile, dévouée, dans une attitude de gratuite au sein de la communauté nationale et internationale. La position de Jacques Maritain est claire : « L’éducation s’efforcera d’éveiller et d’affermir à la fois chez l’apprenant, dans une conciliation vécue, le sens de sa liberté, comme celui de ses obligations et de ses responsabilités.»249 Dans cette perspective, les pays africains doivent se mettre à l’école de la démocratie moderne, à travers l’élaboration d’un système démocratique fondé sur le concept d’autonomie qui prend en compte les diversités. Par cette autonomie, il sera question d’accéder à une liberté qui, « loin d’être purement individuelle et privée, doit réaliser sur le plan politique, les idéaux démocratiques de souveraineté et de citoyenneté. »250 Par autonomie, nous entendons que « la société est capable d’agir sur elle-même. »251 Voilà clairement établi, le but fondamental de l’instauration d’une société démocratique par l’éducation en Afrique. Cet objectif entre clairement dans la conception démocratique défendue par Jaques Maritain, qui définit la démocratie non pas comme un régime politique naturel, mais comme : « le résultat d’une longue maturation des esprits, le fruit des évolutions lentes d’une civilisation. »252
L’objectif principal de l’éducation pour la liberté est de veiller à ce que les jeunes saisissent le sens de la vérité et de la beauté démocratique « par les pouvoirs et les dons naturels de leur esprit, et par l’énergie naturelle de leur raison soutenue par tout leur dynamisme sensible, imaginatif et émotionnel.»253Une éducation qui met en valeur la liberté et qui trouve son fondement dans l’énergie naturelle et spontanée de l’esprit estudiantin ne se borne pas aux arts libéraux et encore moins aux humanités, elle s’élargit afin de répondre aux exigences de la pensée moderne, impliquant à la fois les sciences naturelles, les sciences physiques et les sciences humaines. Il ne s’agit pas de remplir l’esprit de l’étudiant des chiffres, mais d’insister sur la qualité, en développant chez lui une authentique compréhension et une saine participation à la gestion du bien commun. Par conséquent, l’éducation à la liberté et à la démocratie n’a pas pour mission de s’occuper des étudiants comme des futurs spécialistes en toutes les branches du savoir et tous les arts libéraux enseignés au programme. Elle les regardera comme de futurs citoyens, qui agiront en hommes libres et capables de porter, dans des situations nouvelles et changeantes, des jugements droits, indépendants et autonomes, touchant à la fois la vie politique publique et leur responsabilité propre. Par l’éducation à liberté, le citoyen cultivera la vertu de garder ses droits et devoirs dans la mémoire. A la base de cette connaissance, se trouve la prise de conscience, par le citoyen, de l’obligation morale de se découvrir comme un responsable, qui doit défendre la bonne gestion du développement intellectuel, moral, social, culturel et économique de la société. C’est pour cette raison que Jacques Maritain soutient que le but de l’éducation libérale pour la démocratie :
‘« n’est pas d’abord d’assurer le succès technique et industriel futur, mais de donner une formation qui prépare et amène les jeunes gens à la sagesse afin de se préparer au travail et aux loisirs humains. C’est la conception démocratique de la vie qui exige de façon primordiale une éducation morale pour tous et un développement humaniste général dans l’ensemble de la société.» 254 ’Cette position nous place dans un contexte où seule la vérité doit être au centre de la démarche pédagogique. Dans cette démarche, la pratique pédagogique, inaugure une nouvelle forme de relation pédagogique fondée sur les valeurs démocratiques de liberté et d’égalité, sans considération de l’âge ni de sexe. Les pays Africains gagneraient à cette pratique pédagogique fondée sur une démocratie vécue au quotidien. Son avantage réside dans le fait de s’appuyer sur les idéaux démocratiques que sont : la liberté et l’égalité. Ces deux valeurs sont des : « projets correspondant à l’idéal d’une identité mûre, émancipée, dont la réalisation suppose l’éducation. »255
Cité par P. NGOMA BINDA, La participation politique, op. cit., p. 297.
P. NGOMA BINDA, Pour une démocratie fédéraliste au Zaïre, Kinshasa, IFEP, 1992, p.37.
P.FREIE, L’éducation pratique de la liberté, op. cit., p. 109.
G. PALLANT, Op. cit., p. 37.
J.-M. FERRY, Les puissances de l’expérience. Les ordres de la reconnaissance, Paris, Cerf, 1991, p. 50.
Ibidem.
P. VALADIER, Maritain à contre-temps, op. cit., p. 118.
Ibidem.
Idem, p. 50.
J.-M. FERRY, Les puissances de l’expérience. Les ordres de la reconnaissance, op. cit., p. 82.