3.3.3.2. Une éducation intégrative

L’éducation constitue le moyen essentiel d’intégrer les jeunes et d’aider les adultes à vivre de manière vertueuse dans la société. Elle s’effectue avant tout au niveau de la famille et des relations les plus proches. L’éducation morale, apprenant à l’homme à respecter les lois, les autorités, le bien d’autrui et la vie en commun, ne peut être efficace que si elle commence dès la tendre enfance. C’est dès la jeunesse que débute le processus de libération intérieure. Le cas de l’euphorie idéologique des années soixante-dix en République démocratique du Congo, où l’on a « Zaïrianisé »256 les biens d’autrui, est le résultat d’une insuffisante éducation citoyenne responsable et de la négligence de toute éducation humaine et intellectuelle par les pouvoirs publics. Eduquer, c’est libérer la personne de son égoïsme, la rendre plus responsable, capable de se gérer et de gérer les autres de manière autonome. C’est aussi intégrer l’homme dans la société. Pourtant, intégrer le citoyen signifie procéder à l’unification de la société, en établissant entre les différentes personnes d’étroites relations de solidarité et d’interdépendance. L’objectif de l’intégration, c’est de faire de la cité, une société civilisée, harmonieuse, paisible, respectueuse de l’idéal commun et des règles adaptées pour les réaliser. Intégrer politiquement, c’est amener les citoyens à s’occuper des affaires publiques de façon consciencieuse, en vue d’aider la communauté à progresser. L’un des moyens efficaces entre les mains de l’Etat c’est le pouvoir de décider du sens de l’éducation qu’il faut pour la nation. En fait, il y a deux manières principales pour l’Etat d’éduquer les citoyens, en vue de favoriser et de promouvoir l’esprit de responsabilité. D’abord et avant tout, c’est l’organisation de l’enseignement au sein des structures formelles. Ecoles, lycées, collèges, universités, instituts supérieurs, centres de formation, pour ne citer que ceux-là. Cette forme d’éducation peut se faire sous forme d’enseignement classique, académique, ou sous forme de conférences, d’écrits, d’émissions radiodiffusées et télévisées, qui peuvent être exploitées par tous les partisans d’une société juste et réconciliée. La visée de ces enseignements est de transmettre des notions théoriques et des directives pratiques concernant la solidarité qui doit exister entre les citoyens de différents groupes sociaux, leurs droits et leurs devoirs. On y apprend aussi les valeurs morales que véhicule la tradition locale. On y apprendra les hauts faits de l’histoire nationale et internationale en exaltant les vrais héros qui ont combattu pour la justice, l’égalité … afin d’inspirer les jeunes et de leur insuffler un esprit démocratique et combatif pour la liberté, l’égalité et la vérité. La leçon à noter est que les pouvoirs publics ont l’obligation de mettre sur pied des structures adéquates d’enseignement et d’éducation à la citoyenneté. De son côté, le citoyen a aussi l’obligation d’être attentif à la voix politique, qui a la tâche de lui indiquer le chemin à suivre pour une vie réglementée. C’est déjà faire preuve de civisme, de la part du pouvoir, que d’assurer l’éducation citoyenne et de la part du citoyen, de se prêter à observer les normes régulant le comportement social.

La seconde forme d’éducation qui s’impose à l’Etat, c’est la pratique du civisme à travers la vie et le comportement des dirigeants. L’éducation par l’exemple vaut plus que l’éducation théorique. Un citoyen est toujours attentif au comportement de ses supérieurs, et il se conforme généralement à ce que font les dirigeants de son pays. Quand, dans un Etat, le pouvoir est corrompu, injuste, et incivique, les citoyens imitent facilement le comportement incivique des dirigeants. Ils ont du mal à obéir à leurs mots d’ordre et à leurs instructions, qu’ils considèrent comme hypocrites et mensongers. Il n’y a rien de plus démoralisant pour les citoyens que la contradiction flagrante, entre la profession de foi des dirigeants politiques et administratifs et leur comportement. L’éducation ne peut donc favoriser le civisme, que si l’éducateur civique se comporte lui-même de façon correcte, juste et raisonnable, face aux biens publics. Cela exige, de la part de l’éducateur, d’être convaincu de ce qu’il enseigne et d’être le premier à s’y conformer de façon stricte et rigoureuse. On est parfois tenté de se réfugier dans les affirmations pharisaïques du genre : « Faites ce que je vous enseigne et non ce que je fais. » Voilà une porte ouverte à tous les abus possibles au nom de la faiblesse humaine. Ce sont ces abus qui constituent en grande partie le frein au développement, surtout depuis qu’un bouc émissaire a été trouvé pour justifier les imperfections. C’est soit le colonisateur, soit la mondialisation. Or, il faut dépasser ce simplisme pour prendre la température de la bête et participer effectivement au fonctionnement de l’humanité en pratiquant toutes les vertus qui font la fierté africaine.

Après avoir soutenu l’enseignement universitaire de la citoyenneté pour la mise en place d’une vraie culture démocratique et après avoir montré la nécessité de l’éducation à la liberté et à la démocratie, essayons d’analyser quelle forme de démocratie conviendrait à l’Afrique aujourd’hui. Il y a plusieurs formes de démocraties, même celles qui ne le sont pas. Les démocraties modernes ont rencontré plusieurs fois des échecs, dus à des causes multiples. D’abord, la corruption et la haine des dirigeants contre le peuple : « Les ennemis de l’idéal démocratique n’ont jamais désarmé, et leur haine du peuple et de la liberté n’ont fait que croître à mesure que les faiblesses et les fautes des démocraties modernes leur donnaient plus de prétextes. A la fin, la coalition s’est faite entre les intérêts des classes dirigeantes corrompues par l’argent, cramponnés à leurs privilèges. »257 L’autre cause de l’échec est liée aux contradictions qui sont monnaie courante et auxquelles doit faire face le monde de notre temps : c’est la légitimation de l’exploitation de l’homme par l’homme.

‘« Les antagonismes irréductibles à une économie fondée sur la fécondité de l’argent, l’égoïsme des classes précédentes ont empêché les affirmations démocratiques de passer dans la vie sociale ; et l’impuissance des sociétés modernes devant la misère et devant la déshumanisation du travail, leur impossibilité de surmonter l’exploitation de l’homme par l’homme ont été une amère faillite. » 258

Il est ridicule de prétendre militer pour les Droits humains et de se permettre de réduire la personne humaine au rang de l’animal, parce que l’argent qui, selon l’expression de Jacques Maritain, est « la bête qui piétine le monde démocratique » a pris la place d’une idole. Face à toutes ces déviations démocratiques fondées sur la valorisation du matériel contre le spirituel, sur l’exaltation et la conservation du prestige bourgeois, l’Afrique se retrouve placé devant un choix : soit s’aligner sur une philosophie démocratique qui met en valeur les Droits humains et condamne toute forme d’injustice, soit celle qui pérennise la loi du plus fort. L’objectif principal de cette philosophie est de reconnaître les droits inaliénables de la personne, pour une émancipation et une amélioration de la vie humaine et de la fraternité, là où le pouvoir de l’Etat et son autorité émanent de la communauté civile. Chaque citoyen, de toute race et de toute condition sociale, a le droit de s’exprimer et de choisir le dirigeant qui lui convient. La démocratie, au delà des défigurations que lui infligent les régimes bourgeois, est « le régime où le peuple jouit de sa majorité sociale et politique et l’exerce pour se diriger lui-même, ou encore qu’elle est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple.»259 Ce serait une bonne épiphanie si un jour l’Afrique était dirigée par une philosophie démocratique de l’homme et de la société, qui serait le fruit d’une civilisation humaniste, capable de rassembler comme de faciliter la coopération et l’entente entre des personnes partageant des aspirations totalement différentes.

Notes
256.

Par cette pratique, l’Etat s’est permis de confisquer tous les biens appartenant aux Occidentaux, et nommé aux postes des responsabilités des jeunes cadres sans expérience. Le résultat fut la faillite généralisée de l’économie nationale. Cf. MUTUZA KABE, Ethique et développement. Cas du Zaïre, Kinshasa, Azandé, 1987, p. 65.

257.

J. MARITAIN, Œuvres complètes, Vol. VII, Paris-Fribourg, Saint Paul, 1989, p. 852.

258.

Ibidem.

259.

Idem, p. 854.