Conclusion partielle

Le développement sera solidaire s’il s’éloigne de toute pratique paternaliste « qui vient des peuples riches. Car, la croissance économique doit être source de développement humain lié à la culture d’un peuple, aux finalités d’amour et de transcendance d’un homme qui passe infiniment homme »260 estime Paul VI. Une vision qui nous a profondément interrogé, dans la mesure où, personne ne peut prétendre développer une nation ou un continent, en s’appuyant uniquement sur des théories importées, ou en acceptant des « aides » sous forme de « charité », sans aucun partenariat fondé sur le respect et l’égalité. Plusieurs programmes de développement ont échoué pour avoir manqué à cette éthique élémentaire261.Des échecs qui incitent au questionnement d’une réalité africaine de tous ces pays où les dirigeants sont riches et les habitants pauvres ! Cette situation paradoxale invite à plus d’analyse critique, d’audace et de profondeur dans la proposition des réformes à opérer. Certaines administrations constituent un véritable frein au développement. Une situation qui remet sur la table, la question de la formation des cadres de l’enseignement et des autres domaines impliqués dans la gestion de la chose publique. Sans les cadres bien formés, suffisamment conscients et responsables, il est difficile de croire au miracle du développement en Afrique. Toutefois, la question ne saurait trouver d’issue si l’on focalise les efforts seulement en Afrique. Car, les décisions qui concernent l’orientation de l’éducation et du développement de ce continent ne sont pas élaborées en Afrique, mais dans les capitales occidentales. Raison pour laquelle, la question de la justice internationale intervient chaque fois que se pose la question du développement. Etant donné que l’éducation ne peut résoudre toutes les questions du sous-développement, il appartient aussi à la justice internationale de participer à la régulation des relations commerciales, industrielles et financières, selon le principe fondamental de la destination universelle des biens, car la Terre appartient à tous. La réflexion sur le développement ne peut se passer de la réflexion sur le juste partage des ressources de la Terre. Dans cette première partie, nous avons essayé de montrer que les relations Nord-Sud connaissent une inégalité qui nécessite une répartition pour éviter que « les pays riches ne reprennent d’une main ce qu’ils donnent de l’autre. »262

Au plan international, l’action des Nations Unies, de l’union Européenne et des autres partenaires du développement devraient se préoccuper aussi de la régulation des relations entre les Etats, en mettant plus d’accent sur une solidarité respectueuse des principes de bonne gouvernance. Le développement solidaire n’aura de sens que si le rôle de la justice est intériorisé par les différents acteurs, notamment les populations locales. Etant donné que dans la plupart des pays d’Afrique, le problème du tribalisme se pose comme un véritable frein au développement, il est normal que la pratique éducative tienne compte de la promotion du sens d’une fraternité au-delà de la tribu et de l’ethnie. Près de soixante années après la déclaration Universelle des Droits de l’Homme, leur pratique demeure un vœu pieux qui nécessite une redynamisation en Afrique, malgré le fait que la majorité des Etats déclare y avoir adhéré. Et le droit au développement adopté en 1986 est venu enfoncer le clou, exigeant que chaque peuple puisse légitimement aspirer au bien être. Dans cette approche, l’action fondamentale réside dans l’obligation pour chaque citoyen, de s’ouvrir aux différentes cultures, de développer les échanges éducatifs et, d’apprendre d’autres langues que la sienne. Une telle bataille exige la dénonciation et la répression des multiples formes d’exclusions qui se manifestent sous forme de racisme, de nationalisme, de xénophobie, ou de tribalisme. Il est vrai, la mutation des structures ne peut s’effectuer sans la révolution des mentalités. C’est pourquoi, le concours du secteur éducatif et plus particulièrement celui qui concerne la formation des enseignants demeure nécessaires dans la perspective d’une société fondée sur le respecte des libertés, de la justice pour tous et du droit.

Toutefois, nous ne prétendons pas être le premier à nous interroger sur ces questions. D’autres y ont réfléchi depuis longtemps, comme c’est le cas pour Jacques Maritain, qui a introduit la notion d’éducation intégrale dans l’analyse de la question éducative à un moment où l’humanité avait besoin d’une réflexion sérieuse sur le changement des mentalités. Dans le souci de mettre en pratique une pédagogie fondée sur le dialogue des cultures à travers la problématisation de la réalité oppressive, une pratique qui s’inspire de plusieurs sources parmi lesquelles, le personnalisme de Jacques Maritain, d’Emmanuel Mounier ou de Gabriel Marcel, Paulo Freire a mis en place une pratique pédagogique fondée sur le dialogue entre l’enseignant et l’apprenant, en vue d’un développement solidaire, fruit d’une rencontre qui reconnaît à chacun sa dignité. Il s’agit notamment de la proposition de Jacques Maritain pour une pédagogie comprise comme fondement d’une société juste. Une vision complétée par les analyses socio-anthropologiques de Paulo Freire, qui a su proposer une philosophie de l’éducation pour l’émancipation des peuples, en vue de la mise en place d’une société de justice dont ils sont les principaux acteurs. Une pratique considérée comme le gage de tout développement authentique. D’autant plus que le rôle de l’éducation dans les pays en développement est de promouvoir l’autonomie, la liberté et la participation de chacun à la vie de la cité, nous avons trouvé nécessaire de nous appuyer sur les analyses, les expériences, et les propositions faites par ces pionniers de la pédagogie contemporaine. Tout en reconnaissant qu’aucune théorie n’est parfaite, comment se fait-il que nous avons choisi les deux auteurs et pas les autres ? En quoi la posture de Jacques Maritain contient-t-elle des éléments susceptibles d’appuyer la problématisation de la question du développement en Afrique ? Pourquoi après avoir fait recours à Jacques Maritain, nous avons trouvé nécessaire de recourir à Paulo Freire ? Quelles sont les limites présentées par l’approche maritainienne et qui exigent un nécessaire recours à Paulo Freire ? Dans l’analyse qui suit, nous ne prétendons pas répondre systématiquement à ces interrogations. Toutefois, elles constituent une sorte d’orientation d’une démarche fondée sur le questionnement de la réalité éducative d’une Afrique en quête du développement.

Notes
260.

PAUL VI, Populorum progressio. Le développement des peuples, op. cit., p. 55.

261.

M. FALISSE, Economie et foi, Paris, Centurion, 1993, p. 117.

262.

Op. cit., p. 73.