1. L’éducation comme pratique de la sagesse

Picasso disait : "Je ne cherche pas, je trouve" Une formule qui semble s'appliquer à l'art comme à la recherche. Dès qu’on se met à la rencontre des vues défendus par Jacques Maritain dans son œuvre sur l’éducation, l’on s’aperçoit très vite que ces pages rédigées dans un style inactuel et parfois inhabituel montrent pourtant que la philosophie de l'éducation de Jacques Maritain, semble parler d'aujourd'hui, peut-être encore plus qu'hier, et rencontre la délicate et précieuse question des rapports entre l'éducation et la libération de l’homme d’abord comme sujet historique, ensuite comme personne faisant partie d’une société.La philosophie de Jacques Maritain au XX ème siècle est influencée par Henri Bergson, saint Augustin et surtout par saint Thomas d'Aquin. Elle cherche à réconcilier la démarche philosophique et la promotion de la personne dans la communauté, en s'appuyant en particulier sur le concept d'intelligence tel que le définit la pensée thomiste. Dans cette démarche, le recours à la raison constitue un moyen de construction de soi et de l’autre. La question de l'éducation qui occupe une place non négligeable dans les travaux de Jacques Maritain, même s’il n’y a consacré qu’un seul ouvrage. Toutefois, il la présente dans un cadre anthropologique, théologique et philosophique. On peut dire, en schématisant, que ce n'est plus la philosophie qui est la « servante de la théologie », suivant la fameuse formule de la scolastique du moyen-âge, mais à l'inverse, la théologie qui devient un outil au service de la philosophie. Mais les conceptions éducatives de ce penseur chrétien, débordent de la sphère religieuse et proposent plus largement une réflexion sur la crise de l'humanisme au tournant moderne. Elles tentent de poser les bases de la construction d’une société juste par le biais d’une éducation qui tienne compte de toute la complexité de la personne humaine.

Dans la vaste bibliographie de Jacques Maritain, un ouvrage traite directement de l'éducation : « L'éducation à la croisée des chemins ». Il s’agit d’un recueil de textes issus de conférences données aux Etats-Unis à l'Université de Yale pendant la guerre, édité pour la première fois en 1943. Dans ce livre, les derniers chapitres concernent plus spécifiquement l'organisation de l'éducation, mais les deux premiers chapitres proposent une véritable approche philosophique de l'éducation. La matière de ces conférences sera d'ailleurs publiée par Fayard en 1959 sous le titre : « Pour une philosophie de l'éducation ». Une approche de l’éducation qui repose sur une vision de la personne qui réactive la dimension spirituelle, mise à mal par le développement d'une conception technicienne de l'individu. Selon Jacques Maritain, la modernité est placée « sous le signe de la disjonction de la chair et de l'esprit, ou de la dislocation progressive de la figure humaine. »266 L'époque moderne se caractérise par « le passage de l'humanité sous le régime de l'Argent et de la Technique » d'où « une matérialisation progressive de l'intelligence et du monde ». Dans cette situation de crise de civilisation, « il est devenu désormais très difficile de se tenir dans l'humain. »267 La pensée de Jacques Maritain se dresse contre la matérialisation de la société et de la personne humaine, tout en maintenant les exigences de la raison qui a besoin d’humanisation pour se mettre au service de l’homme et non le contraire. C'est cette constante articulation qu'il recherche entre humanité, spiritualité et rationalité pour penser l'éducation se trouve au cœur de sa philosophie de l’éducation et nous semble d'une grande pertinence encore aujourd'hui, même si certaines idées peuvent paraître au premier abord « inactuelles ».

Jacques Maritain définit une telle pédagogie qu’on serait tenté de qualifier de « spiritualiste », par une série de questions qui traversent son ouvrage. La première, porte sur la définition de l'éducation et la signification philosophique, mais aussi spirituelle et religieuse de l’éducation. Qu'est-ce que l'éducation ? Quelles sont aussi, au passage, les erreurs éducatives que cette conception de l'éducation « philosophico-religieuse » cherche à éviter et, plus encore, à contrer. La seconde question - qu'est ce que l'homme ? -, remonte en aval de l'éducation, et s'interroge sur la vision de l 'homme qu'elle suppose. Toute éducation est une conception de l'homme. Ensuite, les deux questions suivantes abordent les fondamentaux de l'éducation, entendue comme un processus dynamique, déjà du côté de l'élève, qui occupe ici une place primordiale, et du côté du maître, dont le rôle semble bien déterminant mais placé en second position par rapport à celui de l’apprenant. Quelles sont donc les dispositions fondamentales de l'élève et, à partir de là, quel est l'agir du maître ? Enfin, nous nous interrogerons sur le but ultime de l'éducation – qui est pour Jacques Maritain la sagesse - et les nombreux paradoxes que cette finalité ne manque pas de poser. Une éducation à la sagesse est-elle en effet possible ?

Notes
266.

J. MARITAIN, Distinguer pour unir ou les degrés du savoir, Paris, Desclée, 1946, p. 30.

267.

Idem, p. 32.