2. Jacques Maritain : considérations biographiques

Jacques Maritain est un philosophe néothomiste. Mais sa réflexion s’inspire, à la fois du thomisme et de la vie concrète. Il est aussi, considéré comme le penseur de la démocratie chrétienne, mais on oublie aussi qu’il est le philosophe de l’éducation. Son itinéraire commence par la rencontre avec le positivisme à la Sorbonne, au début du XX ème siècle. Il s’éloigne progressivement de cette mouvance, grâce à la bouffée d’air spiritualiste que lui apporta la fréquentation des cours d’Henri Bergson. Par la suite, il adhère à la pensée de saint Thomas d’Aquin où il estime avoir trouvé l’expression la plus rigoureuse de la vérité. Issu de souche familiale protestante et après avoir évolué dans un milieu anticlérical, il finit par demander le baptême catholique. Fidèle à la ligne de défense thomiste, durant toute sa vie, Jacques Maritain ne voulait être considéré ni comme un philosophe, ni comme un théologien déguisé, ni un essayiste et encore moins comme un penseur engagé. Il se voulait, comme le souligne le jésuite Paul Valadier : « Un philosophe en quête de vérité et la défendant quand il la sentait méconnue ou attaquée. »284  Ses premiers écrits marqués par une critique intransigeante du monde moderne, sont imprégnés d’un souffle d’indignation qui caractérisera tous ses textes devant les affaissements intellectuels qui ont marqué la culture européenne depuis la période de la Renaissance et défait l’univers de la chrétienté qui domina sur le Moyen Age. Jacques Maritain est clair. La crise de la modernité est liée au fait que la philosophie s’est coupée de sa vraie source à savoir, la transcendance. Elle a renié ses vraies racines pour finir par s’égarer dans un intellectualisme abstrait. Toujours, cette défense de la vérité ontologique l’a conduit à s’opposer à l’humanisme rationnel. Un humanisme qui s’est de plus en plus imposé depuis la Renaissance. C’est toujours la défense de la vérité qui le conduira, au soir de sa vie, à une impitoyable critique de l’esprit relativiste et laxiste de l’époque contemporaine à travers le contesté Paysan de la Garonne 285 .

Entre le début et la fin de l’itinéraire de ce philosophe, qui désormais compte parmi les plus grands penseurs chrétiens de l’époque contemporaine, il y a eu bien des évolutions notables. La saisie de sa pensée philosophique, politique ou éducative passe par la compréhension de cette période de sa vie. Jacques Maritain fut témoin et acteur de l’histoire contemporaine marquée par des évènements politiques et religieux qui ont profondément et tragiquement marqué le siècle finissant. S’il y a un aspect de sa vie qui n’a jamais changé, c’est le cap sur la défense de la dignité humaine. Contre les velléités du Général De Gaulle de faire de lui son homme de main, il revendiquera sa vocation de rester philosophe, et rien qu’un philosophe286. Mais il y a un aspect très intéressant de la vie de Jacques Maritain. Il concerne le souci permanent de concilier la vérité spéculative et la vérité existentielle. Il est contre une modernité émancipée de toute transcendance, comme le constate Paul Valadier : « La prétention de s ‘émanciper de Dieu et d’instaurer l’individu en sujet autonome, aboutit à une déchéance ontologique, à une chute de l’humanité ainsi arrachée à ce qui lui donnait grandeur et sens de l’être, de la vie et de la nature ; elle conduit à proposer des orientations de transformation radicale et même révolutionnaire, engageant l’humanité sur une trajectoire mortelle. »287 Comment se fait-il qu’un philosophe défendant la Transcendan,ce à ce point, s’engage concrètement dans une réflexion de fond sur la transformation sociale ? Pour justifier son engagement pour les affaires de la cité, il s’interroge : « comment ne pas être pris de passion pour les choses temporelles quand on découvre vers quel désastre l’oubli de l’essentiel peut conduire une humanité qui se croit autonome, alors qu’elle vit concrètement toutes sortes de dépendances et d’esclavages se croyant maîtresse d’un réel dont elle est incapable de comprendre l’insondable mesure ? »288 Il n’est pas facile de parcourir toute la biographie de Jacques Maritain. Mais nous présenterons de façon succincte, les aspects importants de sa vie en insistant sur la vision qu’il présente concernant une éducation qui humanise à la fois l’enseignant et l’élève, une pratique éducative susceptible de servir de sève à la construction d’une société respectueuse des libertés. C’est pourquoi une attention particulière sera portée à la « bataille de Chicago »289. C’est dans ce contexte qu’a vu le jour l’œuvre qui servira de base à notre recherche290. Pour répondre à cette exigence, nous présentons d’abord l’itinéraire existentiel de ce maître de la pensée contemporaine.

Notes
284.

P. VALADIER, Maritain à contre-temps. Pour une démocratie vivante, Paris, Desclée de Brouwer, 2007, p. 14.

285.

J. MARITAIN, Le paysan de la Garonne, Paris, Desclée de Brouwer, 1966.

286.

C. BLANCHET, « Les rapports entre le Général De Gaulle et Jacques Maritain » in, Jacques Maritain et ses contemporains, Paris, Desclée, 1991, p. 345.

287.

P. VALADIER, Op. cit., p. 17.

288.

Cité par, Idem, p. 18.

289.

M. FLORIAN, « Le thomisme, un new deal philosophique ? » in, Recherches philosophiques, N° III, 2007, pp. 33-56.

290.

J. MARITAIN, Pour une philosophie de l’éducation, Paris, Fayard, 1959.