2.1.1. Une philosophie pour la cité

Jacques Maritain se présente avant tout comme un philosophe spéculatif. Il l’affirme en ces termes : « Le philosophe n’est utile à quelque chose parmi les hommes qu’en restant philosophe. Mais rester philosophe et agir comme philosophe, oblige à maintenir partout la liberté de la philosophie, et en particulier à affirmer à temps et à contretemps l’indépendance du philosophe à l’égard des partis quel qu’ils soient. »302 Sa pensée est essentiellement celle de Saint Thomas d’Aquin actualisée. Il considère donc le thomisme comme une philosophie vivante non archéologique mais actuelle. Pour Jacques Maritain, l’intelligence reste une réalité au-dessus du temps :

‘« l’Art du philosophe ne se confond pas avec l’art des grandes couturières. Il n’est ni d’un temps, ni d’un pays, mais comme toute véritable science, il est vrai pour tous les hommes. Juger du thomisme comme d’un vêtement démodé est un mode de penser proprement barbare. Nous ne prétendons pas inclure du passé dans le présent, mais maintenir dans le présent de l’éternel. » 303

C’est sur le terrain de la pensée humaniste chrétien que Jacques Maritain a le plus profondément marqué la philosophie contemporaine, même si c’est le côté politique de sa philosophie qui est le plus répandu. Jacques Maritain a apporté une précieuse contribution à la pensée sociale et politique de notre époque. En effet, c’est à partir des années 1930 qu’il commence à s’intéresser à la politique. Selon Paul Valadier, c’est pendant la seconde guerre mondiale que : « Jacques Maritain multiplie les écrits portant sur la politique, s’éloignant ainsi d’études plus spéculatives qui avaient caractérisé l’époque antérieure. »304 Cet engagement pour une philosophie politique constructive fondée sur les valeurs de tolérance et de justice a fini par le décevoir. Le changement qu’il espérait après la seconde guerre mondiale ne s’est pas opéré. Et les systèmes démocratiques européens de l’après-guerre furent marqués par une totale « désillusion »305.

Cette vision modérée sur l’importance de sa philosophie politique ne change rien à son caractère rénovateur, original et pertinent :

‘« Si le dernier Maritain manifeste une déception certaine sur l’efficacité et l’influence de sa pensée, s’il minimise même l’importance de sa philosophie politique dans l’ensemble de son œuvre, il n’en reste pas moins que cette œuvre existe et qu’elle a eu une portée que l’amertume de celui qui « approche les rivages éternels », tend à méconnaître. La déception encore plus visible dans le dernier livre : « Le paysan de la Garonne » n’enlève en rien au fait que le goût de la métaphysique n’a nullement été incompatible avec la passion des choses temporelles, tout en retenant le philosophe de l’engagement concret dans l’action. » 306

Tout en demeurant critique à l’égard de la morale ancienne, il a su garder toujours sa philosophie indépendante des données de la foi. N’oublions pas que Jacques Maritain a fait l’objet de nombreuses critiques. Nous retiendrons de lui qu’il était un homme intransigeant et combatif qui ne cédait jamais. Considérant que la vérité ne peut s’éloigner de l’existence concrète, il s’est engagé par la plume et par la participation aux débats qui avaient cours partout où il passait, dans le but de faire rayonner la vérité par l’écriture et par le témoignage de sa vie. Pour contribuer à la mise en place d’une société démocratique fondée sur la justice et la tolérance, Jacques Maritain n’hésita point à proposer une refonte du système éducatif en France et eu Europe. Cette proposition ne fut pas l’œuvre d’une expérience mystique ou d’une illumination particulière. Loin de la France que, côtoyant les philosophes américains dans une polémique centrée sur un pragmatisme qui ignore la valeur fondamentale de l’homme, dans un souci démesuré d’atteindre le but et la performance par tous les moyens, naîtra la proposition d’une philosophie de l’éducation se présentant comme une suggestion pour la refondation d’une société minée par l’idéologie de la supériorité d’une culture sur les autres.

Notes
302.

Idem, p. 257.

303.

D. HUISMAN, Op. cit., p. 1766.

304.

P. VALADIER, Op. cit., p. 21.

305.

Idem, p. 22.

306.

Idem, p. 24.