La démocratie est entendue comme une forme de gouvernement dans lequel le peuple est l’instance souveraine de prise de décisions, d’orientation et de contrôle de l’ensemble de la société. Autrement dit, elle est, « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.»375 Par ailleurs, cette forme de gouvernement est souvent l’objet de deux attitudes opposées. D’abord, c’est la conception négative de la démocratie qui tient pour une large mesure au statut de ce qu’on nomme habituellement « peuple » ou la masse, comme couche sociale inférieure. Souvent considérée comme inculte, surtout dans nos sociétés hautement analphabètes, la masse non-intelligente n’est point jugée apte à conduire la destinée de tout un peuple. Ce fut le cas à Athènes, où Périclès fit fleurir la première démocratie historiquement parlant, dans le monde occidental. On accusa à tort Socrate d’avoir dédaigné un tel système politique. Néanmoins, il est vrai qu’il développait une méfiance à l’égard de ce système politique libéral qui commençait à sombrer dans la démagogie et la rhétorique sophiste. Même Platon et Aristote jugeaient pernicieuse une forme de gouvernement où le peuple se trouve aux commandes. Ils avancent trois raisons majeures: d’abord, le peuple, naturellement jouisseur et ignorant, est loin d’être critique. Il est donc peu apte à commander dans la sérénité et à opérer des choix rationnels. Ensuite, le système de commandement étant rotatif, il permettait à tout homme adulte, même radicalement imbécile, de pouvoir un jour devenir magistrat dans la cité, si le tirage au sort lui était favorable. Etant donné qu’elle institue la libre décision, la démocratie risque de diviser la société. Or disait Platon : « Il faut préférer ce qui unit à ce qui divise.»376
Cependant, une conception positive et actuelle de la démocratie s’impose à partir du XVII ème siècle. Il y a d’abord la philosophie des Lumières, qui exalte les Droits de l’Homme, notamment, l’égalité, la liberté, la participation et la discussion de tous les citoyens aux affaires de la cité. Puis, viennent les découvertes scientifiques nouvelles qui nous apprennent à relativiser les « vérités » et à écouter les particularités. Mais la prise en compte de la notion de représentation constitue sans doute l’élément décisif dans l’avènement du sens positif de la démocratie. Désormais, ce terme évoquera un gouvernement de dirigeants élus par le peuple et qui représentent le peuple dans la prise des décisions et la gestion de la vie commune. Il ne s’agit pas d’une démocratie radicale, mais d’une démocratie représentative. C’est en effet ce sens qui s’est affirmé dans le monde moderne, en Amérique comme en Europe, en dépit d’une déconcertante prolifération des dénominations et des nuances autour de ce concept. Le seul point commun à toutes ces démocraties est qu’elles reconnaissent la pleine souveraineté du peuple comme le seul gestionnaire du pouvoir, politique, mais que ce peuple délègue ce pouvoir pour une durée limitée, à des élus auxquels il fait confiance. Dans la réalité, il y a deux variantes principales de démocratie : la démocratie libérale et la démocratie socialiste. La démocratie socialiste s’oppose à la démocratie libérale qu’elle taxe souvent de « bourgeoise », celle du monde capitaliste, considérée comme une fausse démocratie animée par des bourgeois ne fonctionnant que pour favoriser leurs intérêts. La démocratie socialiste se veut quant à elle « populaire ». Ce genre de démocratie a été longtemps pratiquée en Afrique par des régimes où le pouvoir était à la fois conçu comme démocratique et révolutionnaire et assumé au sein du parti par la classe ouvrière qui devait en exercer la dictature. L’essentiel à souligner est que la démocratie populaire a fonctionné comme dans la démocratie libérale, sur la base de la notion de représentation. Quand bien même elle se dit populaire, elle n’a jamais été parfaite, en faisant réellement participer tous les citoyens au gouvernement de la communauté nationale selon des chances égales.
J. MARITAIN, Christianisme et démocratie, Paris, Desclée de Brouwer, 1989, p. 61.
Cité par J. MARITAIN, Op. cit., p. 209.