3.1.3. L’éducation à la démocratie

L’histoire enseigne qu’aucun nouveau droit n’a jamais été accepté sans avoir eu à combattre les coutumes existantes. L’Afrique ne peut nullement prétendre faire exception à cette règle. Telle a été l’aventure du droit au juste salaire face aux droits de la propriété privée : « Quand en 1850, la loi sur les esclaves fugitifs fut mis en vigueur en Amérique, la conscience des biens des gens ne tenait-elle pas toute aide apportée à un esclave fugitif, pour un attentat criminel contre les droits de propriété ? »390 Réciproquement, les nouveaux droits livrent une bataille acharnée contre les anciennes lois et coutumes et font parfois que celles-ci sont injustement méconnues. Au temps de la révolution française, une loi promulguée en 1791 interdisait aux ouvriers de recourir à la grève pour obtenir une augmentation de salaire391. Apparaissant comme un retour au vieux système de corporation, cela a été purement et simplement perçu comme une attaque contre la liberté et la déclaration des Droits de l’Homme. C’est en vertu d’une analyse effectuée à l’égard d’un type de société libérale individualiste, communiste ou personnaliste qu’il est possible de constater dans quelle mesure les droits et libertés de la personne humaine peuvent être respectés. Les partisans de la société libérale individualiste voient la marque de la dignité humaine avant tout dans le pouvoir de chaque personne de s'approprier individuellement les biens de la nature, afin d’en user librement, comme bon leur semble. Les partisans d’un type de société communiste voient la marque de la dignité humaine avant tout dans le pouvoir de soumettre les mêmes biens à la maîtrise collective du corps social, afin de libérer le travail humain et de gagner le contrôle de l’histoire. Les partisans d’un type de société personnaliste voient la marque de la dignité humaine dans le pouvoir de faire en sorte que ces mêmes biens de la nature servent à la conquête des éléments fondamentaux de l’existence au-delà des simples biens matériels. Ces trois groupes s’accusent les uns les autres de méconnaître certains droits humains. Il reste donc à savoir lequel se fait une image défigurée. Quant aux Africains, il y a un jour où, quel que soit le mépris des principes de la démocratie et du respect des Droits Humains, on sera appelé à les reconnaître sans y être obligé, mais uniquement pour l’amour de la vérité, de la justice et du bien être.

Il est difficile de séparer les problèmes politiques de la dimension sociale et politique qui les accompagne. Pour Olivier Reboul, il est possible de « penser qu’il existe une relation entre le régime politique d’une société et la pédagogie qu’elle utilise en enseignant. Mais la relation n’est pas à sens unique, car si l’enseignement est déterminé par la société globale, il la détermine à son tour, il la fixe ou il la change. »392 Cette relation entre la pédagogie et la politique montre que l’éducation doit toujours se positionner face à la société comme un défi à relever. Sa tâche n’est certainement pas facile. Elle ne consiste pas à former un être abstrait. Elle est de former un enfant concret « appartenant à une nation donnée,à un milieu social donné, à un moment historique donné.»393 Avant d’être un enfant de quelque part, on est un enfant d’homme. Le premier devoir de l’homme est de devenir ce qu’il est. Rien n’est plus difficile que de devenir un homme. Après cet éclairage, Jacques Maritain écrit que « la tâche principale de l’éducation est avant tout de former l’homme, ou plutôt de guider le développement dynamique par lequel l’homme se forme lui-même à être un homme.»394 A la lumière de cette mise au point, nous pouvons affirmer que, pour Jacques Maritain, l’éducation est l’éducation de l’homme tout entier. Revenant à l’approche définitionnelle, Jacques Maritain relève trois définitions du mot éducation. La première recouvre « le processus quel qu’il soit au moyen duquel un homme est formé et conduit vers son accomplissement.»395 C’est la question de l’éducation au sens large, c’est-à-dire ce processus qui implique la promotion de tout l’homme pour le bien de la société. Ensuite, il la définit au sens restreint, il la compare à « l’œuvre de formation que les adultes entreprennent auprès de la jeunesse. » Finalement au sens le plus spécifique, à savoir « la tâche spéciale des écoles et des Universités.»396 Une considération qui ouvre sur une interrogation sur les finalités de la pratique éducative.

Notes
390.

Idem, p. 600.

391.

Cf. J. MARITAIN, Œuvres complètes, Vol VII, op. cit., p. 672.

392.

O. REBOUL, La philosophie de l’éducation, Paris, PUF, 2006,p. 77.

393.

J. MARITAIN, Pour une philosophie de l’éducation, op. cit., p. 17.

394.

Idem, p. 18.

395.

Ibidem.

396.

Ibidem.