3.2. Finalités et buts de l’éducation

Selon Olivier Reboul, la première finalité de l’éducation consiste à faciliter « l’épanouissement de l’enfant. »397 Cette première mission permet à l’enfant d’être intégré dans la société et de s’y adapter. Pour être plus clair, il définit la finalité de l’éducation comme un effort permettant à chacun d’accomplir sa nature : « Il nous semble que la fin de l’éducation est de permettre à chacun d’accomplir sa nature au sein d’une culture qui soit vraiment humaine. Si cette fin paraît utopique, elle est la seule qui préserve l’éducation du laisser-faire comme de l’endoctrinement. »398 Dans la posture qui est la sienne, Jacques Maritain ne voit pas les choses de la même manière qu’Olivier Reboul. Il pense que le rôle central de l’éducation consiste à aider la société à se restaurer. C’est donc le moyen par lequel le bon sens pourrait être transmis aux jeunes générations.

- Finalités de l’éducation : Après avoir rappelé que l’éducation est un art particulièrement difficile appartenant au domaine de la morale et de la sagesse pratique, Jacques Maritain précise qu’elle constitue un art moral. Pourtant, toute œuvre d’art dispose d’une finalité. Néanmoins, les gens commettent l’erreur de valoriser plus les moyens, plutôt que la finalité. Il reproche à l’éducation contemporaine, d’accorder la suprématie aux moyens plutôt qu’aux fins, ce qui précipite l’effondrement de toute finalité et de toute efficacité réelle. Les moyens de l’éducation contemporaine sont appréciés à leur juste valeur, mais on leur reproche de faire oublier la finalité. Mais une sorte de cécité pointe aux portes de la pratique éducative actuelle. On s’arrange pour bien tester l’apprenant. On l’observé et ses besoins sont clairement détaillés. Des méthodes sont mises en place pour faciliter la tâche tout en ignorant une chose à savoir, la finalité à assigner de l’éducation. A ce sujet, Jacques Maritain s’insurge contre les idées fausses véhiculées par les systèmes éducatifs qui ignorent la valeur fondamentale de la personne humaine. C’est ici qu’il montre l’importance d’une philosophie servant de fondement de toute pratique éducative en affirmant que « l’éducation ne peut échapper aux problèmes et aux difficultés de la philosophie, car elle suppose par sa nature même une philosophie de l’homme, et dès l’abord elle est obligée de répondre à la question : qu’est-ce que l’homme ?»399

Toute forme d’éducation où la finalité ne serait pas l’homme à bâtir, est simplement considérée comme un château des cartes, prêt à s’écrouler dès que le moindre vent l’agite. Cela exige de « former l’homme à mener une vie normale, utile et dévouée dans la communauté… en éveillant et en affermissant le sens de sa liberté comme celui de ses obligations et de ses responsabilités. »400 Malgré l’importance qu’il accorde à la finalité de l’éducation, elle n’en constitue pas le premier fondement. Dans le classement qu’élabore Jacques Maritain sur les principaux fondements de l’éducation, celle-ci vient en seconde position. Car la fin première de l’éducation concerne la personne humaine dans sa vie personnelle et son progrès spirituel, et non uniquement dans ses relations sociales. L’essence de l’éducation ne se limite pas à adapter l’enfant aux conditions et interactions de la vie sociale, mais d’abord et avant tout à en faireun homme et, dans le même sens, à en faire un citoyen. L’éducation de la personne implique nécessairement celle de la communauté:« en vérité l’éducation pour la communauté implique elle-même et requiert avant tout l’éducation pour la personne, car on ne forme un homme qu’au sein d’une vie de communauté.»401 C’est ce qui justifie le reproche adressé aux anciennes méthodes pédagogiques suite à leur individualisme abstrait et livresque. Avoir donné à l’éducation un sens plus profond de l’expérience et l’avoir rendue plus proche de la vie concrète, c’est un progrès dont l’éducation moderne doit être fière. Dans la formation du citoyen capable de défendre ses droits et de participer à la gestion progressive de la cité, ce qui importe c’est l’intérieur de la conscience personnelle du sujet à former. La conscience est le lieu où prennent naissance à la fois la solidarité et la générosité, le sens de la loi et le sens de l’amitié, le respect d’autrui et une indépendance à l’égard de l’opinion commune.

- Les buts de l’éducation : Concernant les buts à lui assigner, Jacques Maritain soutient la conception qui fait de l’éducation elle-même une expérience constamment renouvelée, partant des premières difficultés qui se présentent à l’élève, et qui propose de les résoudre en s’appuyant sur sa « débrouillardise ». Une pratique éducative qui s’inspire de la philosophie pragmatique a ses mérites en ce qui concerne la nécessité d’adapter les méthodes pédagogiques aux intérêts de l’enfant. Mais elle ne dispose pas de critères pour juger les buts et les valeurs qui se succèdent dans l’esprit de l’éduqué. Une vraie éducation devra d’abord avoir un but pour son propre compte et, s’il lui manque ce but, elle devient un art sans objet comparable à une architecture qui n’aurait aucune idée de ce qu’il faut bâtir et qui, « tendrait à faire grandir sa construction dans n’importe quelle direction, là où il est possibled’amener de nouveaux matériaux.»402 Une telle conception de l’éducation mérite les reproches de tout éducateur honnête car « le but final de l’éducation c’est l’accomplissement de l’homme en tant que personne humaine est infiniment plus élevé et plus large que le but de l’art architectural, ou même de l’art médical, car il a trait à la liberté même de l’esprit.»403 Ainsi donc, la spontanéité vitale de l’éduqué comme le constant élargissement de son expérience, jouent un rôle capital dans le progrès vers le but final. Tous comptes faits, le besoin d’une adaptation qui doit être tous les jours renouvelée à travers les méthodes, les moyens et les voies d’approches devient beaucoup plus pressant encore dans l’art de l’éducation que dans aucun autre art qui se limiterait seulement à sculpter certaines œuvres matérielles qu’il faut rendre performantes, présentables ou agréables. Enfin, l’éducation se mesure par le but qu’elle s’assigne et la finalité qu’elle se propose d’atteindre. Toute conception éducative qui serait comparable à un bateau sans destination constituerait un danger certain pour la société d’aujourd’hui et de demain.

Notes
397.

O. REBOUL, Op. cit., p. 21.

398.

Idem, p. 25.

399.

J. MARITAIN, Pour une philosophie de l’éducation, op. cit., p. 20.

400.

Idem, p. 31.

401.

Idem, p. 32.

402.

Idem, p. 34.

403.

Idem, p. 35.