Toute projet éducatif doit avoir un objet sur lequel elle focalise son attention. Jacques Maritain porte une attention particulière à deux éléments majeurs : le programme des études et son contenu. Le premier doit être harmonisé et adapté selon les aptitudes des apprenants. Quant au second, il doit contenir les éléments permettant d’atteindre les objectifs sociaux en respectant les lois du développement psychologique de l’enfant.
- Les programmes des études : La raison pour laquelle nous nous intéressons au programme des études, est qu’il joue un grand rôle dans le domaine de l’éducation. Elle a des finalités et des buts. C’est pourquoi tout ne peut être appris dans la mesure où tout n’a pas la même importance : « La catégorie de l’étude est réservée aux matières dont la valeur principale est la valeur de connaissance et il faut préciser les principaux traits d’un programme normal d’enseignement pour un jeune d’aujourd’hui. Mais pour y arriver, il faut opérer un discernement. »404 La pratique éducative ne peut se passer du recours à l’universel pour permettre aux apprenants de développer une forme d’ouverture au monde. Or, seule une approche qui s’ouvre à la réalité est capable de conférer à une matière d’enseignement sa valeur universelle. Car, l’universel se vérifie avant tout dans la réalité locale. Le fondement premier est donc le critère de la vérité qui constitue le principe par excellence du discernement et la première condition de la validité d’un programme. Il y a pour ce faire un seul élément qui doit avoir de l’influence sur l’Ecole et sur l’Université, ce sont la vérité et les réalités intelligibles.
- Le contenu des programmes : Le choix du contenu obéira aux lois du développement psychologique de l’enfant. La croissance de celui-ci se fait en trois grandes étapes et le contenu des programmes se doit de les respecter. Il est impérieux de respecter cette loi qui est à la fois vitale et normale de l’imagination, ce qui permettra au contenu d’être choisi de manière à permettre un rapprochement progressif de l’imagination et de la raison. La vigueur intellectuelle et le jugement se développent chez l’adolescent mais ils sont loin d’être acquis réellement. Son univers qui est plein d’inquiétude, de mouvance et d’impulsions, suit les tendances naturelles de l’intelligence humaine. Il est évident que sa capacité intellectuelle n’a pas encore atteint la maturité nécessaire pour aborder certaines sciences, œuvres d’art ou textes de sagesse. Cependant, elle demeure fraîche et pénétrante, pleine de confiance, avec la soif de porter un jugement et une vision intuitives.
La troisième étape de l’évolution psychologique, c’est celle du jeune adulte, au moment où commence la maturité. La pensée personnelle y trouve sa formation et c’est le moment par excellence pour acquérir les connaissances spécialisées. Cette période peut être comparée à celle des études post-secondaires. Certes, le contenu des programmes devra s’adapter à tous les âges. Mais il n’est pas souhaitable que l’enseignement se contente de présenter aux plus jeunes les mêmes connaissances étudiées plus tard sous des formes soit simplifiées, soit condensées. En plus, il y aura un quadrivium qui s’intéressera à l’activité connaissante et rationnelle, se rapportant à l’intuition405 et au jugement406. Au cœur de l’enseignement civique et moral, Jacques Maritain propose que soit enseignée la charte démocratique, considérée comme l’étude des Droits de l’Homme. Ces droits constituent une nouvelle discipline qu’il faudra introduire dans les programmes et que tout enseignement aura le devoir de dispenser. Le développement humain et social exige un respect scrupuleux des Droits Humains. La particularité de Jacques Maritain dans cette approche est le fait d’exiger que ceux qui doivent enseigner la charte démocratique soient les premiers à s’y conformer : « ceux qui enseignent la charte démocratique doivent engager sur elle leurs convictions personnelles, leur conscience et les profondeurs de leur vie morale. Ils doivent donc expliquer et justifier ces articles à la lumière de la foi philosophique à laquelle ils adhèrent et qui vivifie en eux leur croyance en cette charte. »407 Cette discipline doit être dispensée dans les écoles publiques mais sans y être obligatoire. Transmettre les convictions et non la connaissance abstraite, voilà une attitude qui remet en surface la vocation pédagogique. Une vocation qui concerne les différents agents de l’éducation, pour ne pas confondre l’enseignement à n’importe quelle profession lucrative.
G. PALLANTE, Une éducation libérale pour la démocratie. Jacques Maritain, Pour une philosophie de l’éducation, Yaoundé, PUCAC, 2001, p. 41.
Concernant l’intuition effectivement, Jacques Maritain se réfère à son ancien maître Henri Bergson, estimant que, « l’intuition centrale d’où proviennent les grandes doctrines philosophiques et de l’image intermédiaire entre la simplicité absolue de cette intuition et la complexité de ses traductions conceptuelles, ce qui caractérise d’abord cette image, c’est la puissance de négation qu’elle porte en elle. Devant des idées couramment acceptées, des thèses qui paraissent évidentes, elle souffle à l’oreille du philosophe le mot : impossible. Impossible quand bien même les faits et les raisons sembleraient t’inciter à croire que cela est possible et réel et certain. » J. MARITAIN, Quatre essais sur l’esprit dans sa condition charnelle, Paris, Desclée de Brouwer, 1939, p. 257.
Cf. J. MARITAIN, L’éducation à la croisée des chemins, op. cit., p. 117.
Idem, p. 169.