3.2.2.2. Les méthodes éducatives

Concernant les méthodes éducationnelles, il faut incessamment les adapter et les renouveler. Plus qu’ailleurs, les méthodes pédagogiques nécessitent une adaptation permanente. Quant à l’antagonisme opposant les méthodes anciennes, « éducation à la baguette » aux nouvelles méthodes « éducation progressive, » Jacques Maritain préfère les secondes, qui accordent de l’importance à la liberté et à la vitalité naturelle de l’enfant. Sans nier la valeur instrumentale des méthodes pédagogiques et leur efficacité, il estime que ces méthodes « ne doivent pas devenir un culte des moyens techniques considérés comme perfectionnant l’entendement et produisant la science par leur seule vertu, oubliant l’intelligence à former.»417 L’éducation de la raison de l’élève ne peut se réaliser par des aménagements pédagogiques stériles, mais par une attention personnelle à la floraison intérieure de la nature rationnelle et par un grand soin de confronter cette raison, prête à éclore, à un système de connaissance cohérent.

- L’expérience : La praxis, c’est-à-dire, une pédagogie fondée sur un dialogue critique et constructif entre enseignants et apprenants. Il s’agit en fait, « d’une pédagogie de la communication pour vaincre l’anti-dialogue privé d’amour et de jugement critique. »418 Cette pratique est en même temps, une voie vers la connaissance et un auxiliaire normal pour soutenir l’intérêt personnel de l’élève pour l’empêcher de sombrer dans une sorte d’« instruction contemplative » qui peut facilement dégénérer en passivité. Ce qui importe ce n’est donc pas l’habilité et le développement technique des facultés de l’élève, mais la tâche du maître est de lui communiquer les capacités nécessaires pour qu’il soit capable de saisir la vérité par ses propres efforts. Car la vérité à intégrer par l’apprenant est plus important que les méthodes utilisées pour y accéder. En conséquence, l’éducation par l’expérience permet aux apprenants de contribuer à leur propre formation. Pour faire participer l’apprenant à ce processus, le travail manuel comme le jeu, sont des éléments qui lui permettent de ne pas participer de façon passive à l’action qui lui est consacrée, mais plutôt en acteur qui collabore à une activité dont il est l’agent principal.

- Le travail manuel et le jeu : Le travail et le jeu se rattachent à l’expérience comme les parties d’un tout. A partir de l’unité substantielle de l’âme et du corps419, de l’individualité et de la personnalité, la philosophie de l’éducation souligne l’importance et la dignité du travail à l’école. En effet, l’intelligence de l’homme est dans sa tête mais aussi dans ses doigts. Une importance capitale est accordée au travail manuel parce qu’il correspond à une caractéristique du monde d’aujourd’hui où la dignité du travail est de plus en plus reconnue. Il implique aussi une dimension sociale puisqu’il combat l’individualisme et donne un sens plus profond de l’expérience communautaire à l’éducation. Cette forme de travail peut aussi se détacher de l’école pour jouer un rôle positif dans une société en mutation en favorisant l’équilibre social. Contrairement aux éducateurs qui estiment arbitrairement que le jeu est une distraction nocive à l’éducation, nous pensons que le jeu a sa place à l’école. Mais la place qui lui revient est à côté des études proprement dites qui sont prioritaires. Dans certaines démocraties, l’éducation doit s’ouvrir aux loisirs humains, étant donné qu’ils font partie de la vie de tout citoyen420.

- L’Auto-organisation : A ce sujet, Jacques Maritain fait allusion à une expérience dont il a été témoin. Selon lui, les équipes sont responsables de la discipline de leurs membres et de leur progrès dans le travail. Ces équipes se réuniront en assemblées régulières pour examiner le comportement du groupe et les problèmes auxquels il est appelé à faire face. Dans le fonctionnement, les chefs d’équipes entretiendront des contacts réguliers avec les autorités scolaires, devant lesquelles ils transmettront leurs suggestions, leurs expériences et les problèmes du groupe. L’avantage supplémentaire de cette méthode est qu’elle « développe chez les jeunes un sens de la dignité et de la discipline personnelle, de l’autonomie collective et de l’honneur collectif. »421 En plus de son objectif essentiel, les équipes de travail peuvent aussi être utiles à la redynamisation de l’attention au niveau des études, surtout lorsqu’on sait qu’il y a des élèves que les cours endorment ou accablent d’ennui. Enfin, un mouvement d’entraide fraternelle où se donneraient des éclaircissements sur différentes matières, serait salutaire. Ainsi, les élèves pourraient tenir des rencontres entre eux et permettre à chacun d’y participer selon son niveau et de mieux assimiler ce qu’on n’a pas pu comprendre à travers l’explication du professeur. Cette démarche est confirmée par Gianna Pallante pour qui, « ces réunions d’équipes aideraient à mieux comprendre l’enseignement reçu des professeurs et rendraient intéressant ce que les cours formels peuvent présenter d’ennuyeux. »422 L’habitude de l’auto-organisation et du travail en groupe ouvre la perspective d’une participation effective des jeunes générations à la gestion de la cité.

Notes
417.

J. MARITAIN, Pour une philosophie de l’éducation, op. cit., , p. 143.

418.

P. FREIRE, Education pratique de la liberté, Paris, Cerf, 1973, p. 113.

419.

Le rapport de l’âme au corps est à prendre ici au sens d’une unité hylémorphique. Ce ne sont pas deux entités séparées l’une de l’autre, mais plutôt un tout constitué. En évoquant cette unité en éducation, Jacques Maritain voudrait voir le maître s’occuper de l’épanouissement de tout l’être de l’élève et non seulement de son intelligence. Nous pouvons comprendre cette relation comme l’expression fondamentale de l’incarnation du sujet en lui-même et dans la société. C’est-à-dire, « la situation d’un être qui s’apparaît comme lié fondamentalement et non accidentellement à un corps. C’est cet acte mystérieux par lequel une essence prend corps, acte qui déjà faisait cristalliser autour de soi la méditation d’un Platon, et dont les philosophes modernes ne tendent à détourner leur attention que dans la mesure où ils ont perdu la grâce essentielle de l’intelligence, qui est celle de l’émerveillement. »G. MARCEL, Le Mystère de l’Etre, T. I, Paris, Aubier-Montaigne, 1951, p. 117.

420.

Cf. Idem, p. 59.

421.

Idem, p. 144.

422.

G. PALLANTE, Op. cit., p. 60.